Fyctia
Chapitre 7
A quelques rues de là, dans la nuit et le froid de décembre, Indigo fulminait. Elle en avait plus qu’assez.
La jeune femme avait passé une journée terrible, avait enchaîné boulettes sur boulettes depuis qu’elle s’était réveillée ce matin à trois heures trente et voilà qu’un nouveau problème pointait le bout de son nez.
Et il était clairement la goutte d’eau qui faisait déborder le vase.
Trop, c’est trop.
Tentant en vain de se calmer afin de s’empêcher d’hurler à la lune tous ses soucis, Indigo ferma les yeux et s’essaya à quelques exercices de respiration qu’elle se souvenait avoir vu à la télévision, sur une chaîne pour humains... mais cela était complètement inefficace. Au contraire, cela ne fit que l’énerver encore plus.
En lançant un regard noir à vitrine devant elle, la jeune femme campa les jambes et planta les poings sur ses hanches généreuses en jurant. Du gel avait commencé à recouvrir la devanture de son lieu de travail, à travers laquelle le nom de sa boulangerie française était visible. A l’intérieur, bien installées sur une étale presque verticale, des lettres de pain formaient le nom de son échoppe ; My good bread était écrit en lettres capitales gothique.
Malgré son irritation, une étincelle de fierté illumina ses prunelles ; elle les avait elle-même réalisées. Elle les avait faites en passant des heures devant son plan de travail, à les concocter minutieusement, malaxant la pâte à pain farineuse avec dextérité, façonnant leur forme définitive et les regardant prendre cette jolie couleur dorée à la cuisson, embaumant les cuisines et l’étage supérieur de délicieuses effluves.
Une bourrasque de vent frais – mais qui aurait été glacial pour un humain à part entière – lui fit revenir à son actuel problème : le rideau de fer faisait encore des siennes. Rien que durant cette semaine, il s’était déjà bloqué trois fois. Entre problème de serrure, mécanisme qui demandait à être huiler et, maintenant, le gel, qui l’empêchait complètement de bouger, Indigo en avait par-dessus la tête.
Elle souffla en serrant les paupières pour s’empêcher de fondre en larmes. La journée avait été rude, son seul employé s’était fait porter pâle, il y avait eu beaucoup de clients à la boulangerie et, sans Stefan, elle avait dû se débrouiller seule, de la confection à la vente.
Et elle n’en pouvait plus.
Indigo fusillait la vitre devant elle comme si elle était la responsable de... tout. De tout ce qui n’allait pas dans sa minable vie. Elle était parfaitement consciente que prendre ce rideau de fer comme coupable était grotesque, mais c’était tout ce qu’elle avait sous la main pour l’instant.
La jeune femme se ressaisit en serrant les dents. Elle ne pouvait pas se laisser aller maintenant. Plus tard, oui, elle s’apitoierait sur son sort en engloutissant des litres de Ben & Jerry’s, exactement comme le feraient ces filles stupides dans les livres, mais pas maintenant, elle se l’interdit mentalement. Là, elle ferait face. Oh, que oui, elle réussirait !
Ras le bol d’être prit constamment pour une idiote !
Elle n’était l’esclave de personne. Et encore moins celle de son unique employé, qui décidait quand bon lui semblait qu’il avait besoin de prendre des congés, pensant utile d’en informer sa patronne qu’à la dernière minute, alors qu’il était déjà en Ehurop, en vacances improvisées avec sa famille.
Indigo se frotta les tempes, sentant venir une terrible migraine. Elle en avait de plus en plus souvent, ces temps-ci. La faute au stress. Elle soupira, sentant le poids de ses problèmes peser lourdement sur ses épaules.
La jeune femme avait seulement envie de se retrouver entre ses draps propres pour dormir quelques temps, bon sang ! Elle ne demandait rien de plus que quelques heures de sommeil ! Elle pourrait même se contenter de quelques minutes ! Mais, si, éventuellement, le destin voulait lui envoyer un petit coup de pouce, et la faire se reposer durant des heures, des jours, des mois, ou même des années... et bien elle n’y voyait aucun inconvénient.
Au lieu de quoi, elle se retrouvait seule à 22 heures passées, au beau milieu de la rue, à tenter de baisser son rideau de fer récalcitrant sur la vitrine de sa boulangerie.
Génial.
Indigo lança un regard désespéré en direction du ledit treillis métallique, bien sagement enroulé sur lui-même. Elle ne pouvait pas envisager de ne pas le baisser, étant donné le haut taux de criminalité de Mystwell – sans compter qu’il ne faisait qu’empirer ces temps-ci. Mais cette situation était à prévoir...
Mystwell était une ville à part, singulière. Indigo se plaisait ici, les clients allaient bon train et étaient sympathiques. Mais Mystwell n’était pas comme les autres. C’était une ville qui avait été construite, par pur hasard, s’en même en avoir eu conscience, sur des gisements et des croisements de lignes de magie souterraine. Indigo ne savait pas trop ce que cela signifiait, mais était quand même au courant que c’était un fait rare. Elle était presque sûre que c’était le seul cas de toute la planète.
Alors, selon une légende, la Confrérie du Pacte avait été incapable de la sectionner ou la ranger simplement dans un seul territoire. Évidemment, en plein milieu du territoire des elfes, si d’autres avaient eu vent de cette pépite, tous auraient voulu – au risque de créer de nouvelles guerres entre clans – ce petit filon... Alors ce coin perdu était une exception.
Ici, on trouvait aussi bien des humains que des métamorphes ou des vampires. Cependant, Indigo n’en avait jamais vu nulle part. Mais elle avait déjà croisé le chemin d’un elfe, une fois. Avec ses longs cheveux blancs, son impassibilité et sa silhouette élancée, elle n’aurait pas pu le confondre avec un humain.
Alors suite à la mixité des espèces, il y avait ici un peu plus de criminalité que dans une ville 100 % elfe...
Et Indigo ne souhaitait pas trouver sa boutique vandalisée et pillée le lendemain matin. Alors elle fermerait ce treillis en métal.
S’il aurait fallu être réaliste, Indigo aurait peut-être dit que ce truc tombait complètement en ruine, mais elle n’en avait pas l’envie. Pas envie de le dire, pas envie de concrétiser cette idée, car cela rendrait l’état de ce rideau plus réel. Et elle ne voulait pas envisager l’idée même de le remplacer. Son compte en banque ne le supporterait pas.
Pour se convaincre que le treillis métallique était en parfait état, elle plaqua un sourire de façade sur son visage et tenta une nouvelle fois de tourner la clé pour le faire descendre.
Il y eut un horrible grincement qui dû s’entendre jusqu’à l’autre bout de la rue, puis de la poussière orange – de la rouille, sûrement – et un boulon tombèrent au sol.
Allez, allez, allez...
Elle tourna un peu plus le poignet...
Allez !
... et la clé finit par se briser à l’intérieur même de la serrure.
4 commentaires
DeCoeurHacker
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Il y a 6 ans
PlumeDArgent06
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Il y a 6 ans
Aya-Jazz
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Il y a 6 ans