Fyctia
Un... deux... trois...
01 mars 2026, Appartement d'Alex, 21h30, Paris
La soirée aurait dû être parfaite. Isaac et moi, dans une simplicité presque trompeuse, savourions mes pâtes maison — une recette que ma grand-mère italienne m'avait transmise, la seule chose qu'elle m'ait laissée avant qu'elle ne disparaisse. Il riait à mes blagues, décalées comme à mon habitude, et moi, je le regardais. Pas simplement comme on observe un visage, mais en scrutant chaque inflexion de ses traits, chaque lumière qui glissait sur sa peau, chaque ombre qui s’y installait. J’étais captivée.
Le silence de la pièce était pesant, et je savais qu'il ne s'agissait pas d'une simple tranquillité. Il y a toujours un prix à payer pour trop de calme. Je l'avais appris au fil des années. Quand tout semblait aller bien, trop bien même, je savais que l'équilibre finirait par se briser. Ce n'était qu'une question de temps. Tout ce qui est trop parfait se dérègle, et à ce moment-là, l'autre côté de la balance, celui du chaos, reviendrait inévitablement. Je n’avais pas besoin de preuves pour ça, juste de mon intuition. Les victimes s’étaient succédé. Des ombres qui avaient effleuré ma vie. Trois semaines sans rien, le calme avant la tempête.
Mais Isaac, il était différent. Il arrivait à briser chaque barrière, chaque mur que j'avais construit autour de moi. Moi qui avais toujours refusé de m'attacher à quelqu’un. Je n’avais jamais cru aux contes de fées, ni aux relations éternelles. Tout était précaire, fragile, éphémère. Il semblait avoir ce pouvoir étrange de remettre en question tout ce que j'avais cru. Ses mots, son regard... ils déstabilisaient tout.
– Du coup, ta grand-mère était italienne ? me demande-t-il, un éclat malicieux dans ses yeux.
– En effet, tu es observateur, répliquai-je, mon rire un peu trop bruyant pour ce qu'il est.
Il éclate de rire aussi, mais il y a quelque chose dans sa manière de boire son verre, une lenteur calculée, comme s'il savourait chaque instant, chaque seconde.
– Te moque pas, je pourrais mal le prendre, avoue-t-il en jetant un regard furtif.
– Et toi alors ? Parle-moi un peu de toi. À part devenir célèbre sur les réseaux sociaux, tu es fils unique ? T'es parents font quoi dans la vie ?
Je vois son visage se figer, un instant, comme un éclair rapide qui traverse son regard. Il se redresse alors brusquement, se reculant légèrement, allongeant ses jambes sous la table. Son attitude change en un clin d’œil, mais je sens que quelque chose se brise en lui, comme un mur de verre fissuré.
– Il n'y a rien à savoir. Je suis leur unique enfant, et ils bossent encore, dit-il, sa voix soudainement plus froide, plus distante. Je m'attarde sur ses mots, l'écoutant sans vraiment l’entendre. Un malaise glisse sous ma peau. Pourquoi cette réaction ? Pourquoi cette distance soudaine, ce besoin de s’éloigner ?
– Mmmh ! je souffle en détournant le regard.
Il semble capter ce léger malaise, et il continue d’un ton plus posé, presque un peu trop détaché pour que je puisse réellement y croire.
– Si tu veux savoir, il n'y a rien à vraiment savoir sur moi. Ses mots tombent dans l’air avec un poids étrange. Je suis seul, mes parents vivent leurs petites vies ensemble. Et moi, je tente de vivre la mienne, simplement.
Je sens une distance se creuser, comme un mur invisible qu’il dresse sans en avoir l’air. Mais je ne veux pas le laisser s’échapper aussi facilement. Il faut que je pousse un peu plus loin, juste un peu.
– En réalité, tu n’aimes pas parler de toi, alors que tu le fais devant des milliers de gens qui te suivent. Je le fixe, un sourire en coin, jouant avec l’idée qu’il est plus transparent qu’il ne le laisse paraître.
Il hausse un sourcil, amusé, mais il y a un instant d'hésitation dans son regard. Puis il se rapproche légèrement, un mouvement qui me prend par surprise. Il attrape doucement ma main, l'enserre, et je me fige. Je sens la chaleur de sa peau contre la mienne, mais une sorte de tension palpable flotte dans l’air.
– Sûrement, oui, tu m’as démasquée, dit-il en souriant, un sourire à la fois charmeur et désarmant, avant de serrer un peu plus ma main, comme s’il voulait me forcer à regarder la situation autrement.
Je baisse les yeux, le contact de sa peau m’enveloppant malgré moi. Je pourrais tenter de m’échapper, mais l’air autour de nous est devenu plus lourd, plus intime.
– Je te rends mal à l’aise à te tenir la main, ajoute-t-il, sa voix plus douce, un peu plus sincère, comme s’il dénudait une partie de lui-même.
Je prends une inspiration, et cette fois, ma réponse sort plus fluide, plus crue que je ne le souhaiterais.
– C’est moi. Je ne suis pas du tout romantique. Je me suis fait cette promesse après que plusieurs hommes m’ont brisé ce petit organe qui est mon cœur, avoue-je, fixant nos mains entrelacées. J’ai l’impression que ces mots résonnent plus fort qu’ils ne devraient.
Il me scrute un instant, et son regard semble plus intense, comme s’il cherchait à décoder chaque nuance de ma voix. Puis il parle, et ses mots viennent comme une caresse à la fois rassurante et déstabilisante.
– Tu ne l’as pas mérité, crois-moi. Ils ne savaient pas ce que tu allais devenir, et maintenant, ils rampent pour toi.
Je suis surprise par la profondeur de sa voix, par cette manière qu’il a de me regarder comme si tout avait déjà été écrit, comme si j’étais déjà une figure qui l’attirait bien plus que je ne l’imaginais. Un petit frisson me parcourt, mais je ne sais pas si c’est de la gêne, de la surprise, ou quelque chose de plus. Je ris nerveusement pour masquer ma confusion.
– Tu crois vraiment ça ? je demande, un sourire un peu sarcastique, cherchant à comprendre si ce qu’il vient de dire est une simple flatterie, ou un sous-entendu plus lourd. J’ai l’impression d’être piégée dans un jeu de mots, et pourtant, quelque chose me dit que ce n’est pas juste une blague.
Mais il ne me laisse pas le temps de réfléchir plus. Il tire doucement sur mon bras et, avant que je puisse protester, me rapproche de lui. Il m’entraîne dans ses bras, et je sens la chaleur de son corps contre le mien, la pression de ses mains qui me maintiennent là, dans cet instant suspendu. La musique qui passe à la radio semble s’adapter à la scène, comme si elle avait été écrite pour nous deux. "Breath of Roma" retentit, la mélodie triste et langoureuse enveloppe la pièce. Je me laisse porter, la chanson devient un mélange de nostalgie et d’émotion brute, comme si tout ce que nous venions de dire se cristallisait dans ce moment fragile. Et pourtant, je me laisse faire. Et dans ce moment, nos lèvres se touchent. Le temps s'arrête, comme un instant suspendu dans l’air glacé. Mon cœur s’emballe, trop vite, trop fort.
J'aurai aimé savoir que ce n'est un piège. Un mouvement stratégique, calculé, comme tout ce qu'il fait. Stupide Alex...
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