Fyctia

02 février 2026, Levallois, Paris

Je n'avais plus de certitudes, plus de souvenirs clairs, juste cette conscience oppressante que chaque geste, chaque parole, chaque regard entraînait une conséquence. J'avais appris cette vérité bien trop tôt, et elle m'accompagnait comme une ombre. Pourtant, rien ne me préparait à cette terreur omniprésente qui avait envahi la ville. Depuis plusieurs mois, l'angoisse avait pris racine, et moi, je n'étais qu'une proie facile, une silhouette fuyante, me cachant à chaque coin de rue, à chaque bruit suspect. Le soir, en rentrant chez moi, je me retournais sans cesse, comme si mes pas étaient suivis par des présences invisibles, glacées.

Je ne parlais plus. À mes proches, à ceux qui vivaient à des milliers de kilomètres, je n'avais plus rien à dire. Rien d'essentiel, rien qui puisse les sauver de ce qui me dévorait de l'intérieur. Parfois, je laissais échapper des pleurs, mais ce n'était ni la peur, ni la tristesse qui dominaient. C'était un mélange de tout, un tourbillon dans lequel je me noyais lentement. La peur m'avait envahie, une peur sans visage, sans raison apparente. J'avais peur de tout. Mais ce qui me tourmentait le plus, c'était ces femmes. Ces jeunes vies fauchées dans une violence insensée. Qu'avaient-elles fait pour croiser ce monstre, pour être les victimes de ce tueur impitoyable ? Je n'avais aucune réponse. Seulement des questions qui me hantaient, des questions qui me retournaient l'âme.

Et pourtant, je savais, tout me ramenait à cet endroit. À cet abîme. L'endroit où je travaillais. Chaque jour, les policiers, les enquêteurs, venaient, se glissaient dans les couloirs de l'entreprise, marquant leur présence par un regard froid, une question sans fin. Ils avaient compris. Tous les corps, toutes les victimes avaient un lien avec cet endroit. Et moi, je me sentais prise au piège. J'avais voulu fuir. À plusieurs reprises, j'avais envisagé de simuler une maladie, de tout abandonner, de fuir comme un réflexe de survie. Mais j'étais accrochée à cette vie, à cette routine qui me pesait, et qui, paradoxalement, était mon seul moyen de partir un jour. Je comptais les jours, les mois. Il n'en restait plus beaucoup. Bientôt, je pourrais quitter cette ville, cette atmosphère étouffante, cette peur qui s'insinuait dans chaque recoin de ma vie. La fin du stress, la fin de cette oppression constante. Mais en attendant, je me sentais comme une ombre, attendant de m'effacer dans le noir, cherchant désespérément à fuir les conséquences d'un problème qui n'était pas le mien. Un problème dont je n'étais ni la cause, ni la victime, mais que je vivais comme une malédiction.

— Alex, réunion dans la salle 03, apporte-nous les bilans de la comptabilité ainsi que des cafés, me crie le RH à travers ma porte vitrée.

Je sursaute, mon cœur rate un battement. Je me lève lentement, mon esprit toujours pris par d'autres préoccupations. Je m'en vais chercher les papiers demandés. Je prends la thermos, les gobelets, et au détour du couloir, je tombe sur Isaac. Lui. Toujours aussi lui. La même silhouette décontractée dans son survêtement d'une marque indépendante, ses yeux qui captent les miens d'un seul coup. Il me voit et lève les yeux vers moi, un sourire en coin qui semble vouloir dissiper l'air lourd qui nous entoure.

— Yo Alex, tu vas bien ? Moi, mieux depuis que je te vois, me dit-il avec son sourire, celui qui m’atteint à chaque fois, ce sourire qui me fait perdre tout sens de la réalité.

Nos sorties ensemble ces dernières semaines ont eu un effet étrange sur moi. Il y a eu ce rapprochement, cette complicité, mais parfois, je me demande si c'est moi qui me raccroche à lui, à cette lumière douce qu'il semble incarner, ou si c'est lui qui s'évade dans un monde parallèle, loin des problèmes qui assiègent notre quotidien. Peut-être que c'est sa façon à lui de tout affronter. À sa manière, Isaac semble toujours déconnecté de la vie telle que je la vis, comme s'il flottait dans un espace-temps parallèle où rien n'est aussi lourd qu'il n'y paraît.

— Salut Isaac, prêt pour ta réunion qui te permettra de prouver que tu as encore explosé tout YouTube ? je dis en glissant une pointe d'humour.

— Je suis plus que prêt, ma chère ! me dit-il avant de se décoller du mur, me laissant passer pour entrer dans la salle de réunion.

Je m'occupe de remplir les verres de café à une table au fond de la salle. Une impression de déjà-vu me submerge. J'ai déjà vécu cette scène. Il y a plusieurs mois. Je souris en voyant Isaac me faire des signes, avec son sourire espiègle, pour tenter de détendre l’atmosphère trop bureaucratique de la réunion.

Une fois la tâche terminée, je sors de la salle. Je réponds à un SMS d'Isaac, un éclat de rire m'échappant alors que je lis ses mots. Mais en levant les yeux, la réalité me frappe. Deux agents de police se tiennent devant mon poste, immobiles, leur présence imposant un silence oppressant. Je m'arrête net, mes doigts suspendus au-dessus de mon téléphone, un serrement au creux du ventre.

— Bonjour, Mademoiselle, dit l'un des agents, la voix grave. Je suis le commissaire Tale, et voici mon partenaire, en charge de l'enquête sur les meurtres dans la capitale. Il me fait signe de m'asseoir, son regard insistant, presque une exigence.

Je hoche la tête sans un mot, un frisson d'inquiétude m'envahissant, alors que mes yeux se posent sur les deux hommes. Ils sont bruns, âgés d'une quarantaine d'années. Mais je m'assieds, comme on m'y invite, mon cœur battant fort, une angoisse sourde me serrant la gorge.