Fyctia
Le calme
30 janvier 2026, Levallois, Paris
Quelques semaines s’étaient écoulées, et les rencontres entre Isaac et moi étaient devenues presque régulières. Chaque fois, je ne pouvais m'empêcher de me demander pourquoi je me laissais embarquer dans cette dynamique avec lui. Ce qui avait commencé comme une simple distraction s'était transformé en quelque chose de plus complexe. Plus intense. Et, d’une manière étrange, plus rassurant.
Ce soir-là, le café était à peine éclairé, la lueur douce des lampes créait une atmosphère intime. Je savais qu’Isaac serait là, à cette même table, comme toujours. Mais au fond de moi, je n’étais plus aussi sûre de ce que je cherchais en revenant ici. C’était comme une ligne fine entre la curiosité et quelque chose de plus profond, que je n'avais pas encore entièrement exploré.
Je poussai la porte du café et aperçus immédiatement Isaac, seul, absorbé par un carnet qu'il feuilletait lentement. Il n'avait pas l'air pressé, ni préoccupé par le monde extérieur, comme toujours. Quand il me remarqua, un sourire subtil se dessina sur ses lèvres, un sourire qu’il réservait uniquement pour moi. Et je sentis instantanément une vague de chaleur m'envahir, un mélange d'irritation et de fascination.
Il leva les yeux et, d’une voix calme, me dit : "Tu es en retard, mais je n’avais nulle part où aller." Il n’y avait aucune moquerie dans ses mots, juste une tranquillité profonde qui m'apaisait tout en m’effrayant.
Je m’assis en face de lui sans un mot, le regardant attentivement. Isaac n’était pas un homme facile à cerner. Il avait cette distance qu’il maintenait toujours avec tout et tout le monde. Et moi, je commençais à comprendre que cette distance faisait partie de lui, comme une armure invisible qu’il ne retirait jamais. Mais il m'attirait. D’un côté, il me perturbait. De l'autre, il me capturait d’une manière que je n’arrivais pas à expliquer.
"Alors, comment va ta journée, je ne t'ai pas vu beaucoup ?" demanda-t-il en feuilletant à nouveau son carnet, sans me quitter des yeux.
Je me retins de soupirer. Isaac avait cette capacité à m’observer, à me faire sentir comme si chaque détail de ma vie l’intéressait, mais il ne faisait jamais d’effort pour y participer. Tout chez lui semblait étudié, réfléchi. C’était fascinant et frustrant à la fois.
"Comme d'habitude", répondis-je, essayant de jouer la carte de l’indifférence. "Tu sais, rien d'extraordinaire. Et toi, Monsieur youtubeur ?"
Isaac haussait les épaules, sans répondre tout de suite. Il ferma lentement son carnet et le posa sur la table. "Je m’occupe", répondit-il d’une voix plus basse, presque murmurée. "Mais je préfère passer du temps ici, avec toi."
Ses mots, bien que simples, me frappèrent. Il n'avait pas précisé ce qu'il voulait dire par "passer du temps ici", mais il n'y avait pas besoin de mots pour comprendre. C'était la première fois qu’il me parlait de cette manière, sans détachement. Et, paradoxalement, cela me troublait plus que tout.
"Tu ne t’es jamais demandé pourquoi tu me cherchais, Isaac ? Pourquoi tu… prends le temps de rester avec moi, malgré tout ça ?" Je n’étais même pas sûre d’avoir envie de connaître la réponse, mais la question m’échappait.
Il sourit, mais il y avait dans ses yeux quelque chose d'inaccessible, comme si un voile se levait lentement, juste pour moi. "Parce que tu me fais voir le monde autrement, Alex", dit-il avec une douceur inhabituelle dans sa voix. "Tu n'es pas comme les autres. Il y a des parties de toi que tu ne veux pas laisser voir, mais je les vois. Et c’est ce qui me captive."
Je le regardais, surprise par cette sincérité qui m’étonnait. Isaac, l’homme si insaisissable, m’avouait des choses que je n’aurais jamais imaginé entendre de sa part. Mais à la fois, cela m'intriguait. Il y avait quelque chose dans sa manière de parler, dans ses silences, qui me faisait perdre pied à chaque fois. Il n’y avait pas de calcul chez lui, ou du moins il savait dissimuler ses intentions.
"Tu as un don pour savoir ce que les autres ne veulent pas voir", répondis-je doucement. "Mais toi, Isaac… qu’est-ce que tu veux vraiment ?"
Il marqua une pause, son regard s’attardant sur mon visage, comme s’il cherchait les mots parfaits. "Je veux comprendre. Je veux savoir ce qui fait tourner ta tête, ce qui te fait avancer, même quand tu veux fuir. Tu es une énigme, Alex. Mais il y a aussi des choses que je ne sais pas encore, des choses que je n’ai pas encore découvertes."
Je ne savais pas si c’était sa franchise qui me touchait ou le mystère qui l’entourait. Mais une partie de moi, celle que je croyais avoir fermée à double tour, se réveillait à chaque mot, à chaque geste.
Je baissai les yeux, cherchant à trouver un peu de recul, mais il n’y en avait plus. Il n’y avait plus de distance entre nous. Tout était devenu trop réel, trop présent. "Et si tu n’aimes pas ce que tu découvriras ?" demandai-je, presque en défi.
Isaac se pencha un peu plus près, et la lueur dans ses yeux devint plus intense. "Alors je resterai encore. Je ne partirai pas, Alex. Parce que je crois qu’il y a plus en toi que ce que tu veux bien voir toi-même. Et même si tu veux m'échapper, tu finiras par revenir."
Je sentis une chaleur envahir mes joues à ses mots, mais je refusais de lui donner la satisfaction de voir que son influence grandissait sur moi. "Tu es sûr de ne pas vouloir prendre un peu de recul ?" lançai-je, luttant contre l'envie de sourire.
Il laissa échapper un léger rire, mais il n’eut aucune réponse à ma question. Ses yeux ne me quittaient pas, et je savais, au fond de moi, qu'il n’avait jamais vraiment voulu me laisser m’échapper. "J’ai appris à ne pas avoir de recul", dit-il, son sourire s’élargissant légèrement. "Parce qu’avec toi, Alex, il n’y a jamais de recul. Il n’y a que des pas en avant."
Je le fixai intensément, essayant de ne pas céder à la tentation de sourire à mon tour. "Je me demande, tu sais, Isaac… qu’est-ce que tu fais vraiment quand tu n’es pas devant la caméra ?"
Un éclat furtif passa dans ses yeux, mais il ne répondit pas tout de suite. Il se passa une main dans les cheveux, un geste qu'il avait l'habitude de faire quand il était en pleine réflexion. "Je… vis", répondit-il, une pointe de mystère dans sa voix. "Mais, en vérité, je n’ai jamais vraiment l'impression d'être loin de la caméra, même quand elle est éteinte." Il marqua une pause, me lançant un regard lourd de sous-entendus. "C’est un peu comme une extension de moi, cette caméra. Ou plutôt, un filtre qui me permet de voir les choses autrement."
Je m'efforçai de ne pas paraître trop intéressée, mais l’idée qu’il vive constamment sous l’objectif, qu'il soit toujours en et avec sa caméra, m'intriguait. "Et à part ça ? Tu as des hobbies ? Des choses que tu fais juste pour toi, Isaac ?"
Il secoua lentement la tête, son regard se détournant un instant comme s'il cherchait une réponse dans la vapeur de son café. "Non", dit-il, presque nonchalamment
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