Fyctia
Illumination
06 décembre 2025, Grand Est, Nancy
Les éclats des lumières et le défilé des chars illuminaient la place Stanislas de Nancy. Ce lieu, où j'avais grandi, où j'avais passé mes premières années de vie. Pourtant, derrière cette fête bariolée, quelque chose d’étrange flottait dans l’air. Le parfum des épices et du chocolat chaud se mêlait à la froideur de la température.
L’homme déguisé en Saint-Nicolas, vêtu de blanc et de rouge, se tenait fièrement au centre de la scène. Autour de lui, des enfants couraient, espérant des bonbons ou des pain d’épices. C’était notre tradition, celle de la région, le Saint-Nicolas, qui en avait fait la fierté de la ville. Mais sous ce masque de joie et de bienveillance, l’histoire de cet homme n’était pas celle d’un simple saint. Non, Saint-Nicolas avait d’autres secrets, des secrets qu’on se racontait, des murmures d’enfants perdus, d’un boucher qui tuait et d’un homme étrange qui ressuscitait les âmes disparues. Une légende vieille comme le temps, que j'avais entendue mille fois dans mon enfance.
Je frissonnai alors qu’un vent glacial soufflait sur la place. Mes yeux capturèrent l'image de l’événement, le spectacle des lumières s’étendant à perte de vue. À mes côtés, Alicia observait, les yeux fixés sur le Saint-Nicolas. Elle avait toujours ce sourire en coin, ce regard mystérieux que je connaissais si bien. Ses cheveux blonds, dissimulés sous un bonnet noir, étaient presque invisibles, comme si elle voulait se fondre dans l’ombre. Elle tourna lentement la tête vers moi, un léger sourire complice au coin des lèvres.
Cette ville, ce moment, m’envoûtaient d’une manière étrange. Pour une fois, je voulais rester ici, loin de la capitale, loin de cette ville bruyante et étrangère. Depuis les meurtres d’Amanda et Camille, le silence du tueur m’étouffait. Une ombre invisible flottait sur la ville, comme un nuage suspendu au-dessus de nous, attendant le moment propice pour frapper à nouveau. Peut-être qu’il nous offrait simplement un répit, un calme précaire pendant les fêtes de fin d'année. Mais tout cela n’était qu’une illusion. La vérité, c’est qu’on savait tous, au fond, que ce silence n’était que temporaire.
Le mois passé avait été d’une étrangeté sans nom. Mon travail, qui au départ me semblait anodin, devenait de plus en plus prenant. Et puis il y avait Isaac. Il était là, presque tout le temps, que ce soit pendant les tournages ou dans les moments de pause. Il m’avait appris à naviguer dans ce milieu que je connaissais à peine, à m’adapter, à comprendre les règles tacites de ce monde. Lui, un des vidéastes les plus influents de cette grande entreprise. Moi, une simple assistante, reléguée au rôle de faire-valoir dans l’ombre de sa réussite. Pourtant, Isaac n’avait jamais joué de son statut. Dans ses yeux, il n’y avait pas de supériorité. Juste des conseils, des gestes pour m’aider à comprendre cet univers.
Je voyais bien comment certains le considéraient. Il était plus qu’un simple créateur de contenu. Il était une machine à cash pour l’entreprise, un diamant brut que chacun cherchait à exploiter à son maximum. Et pourtant, Isaac n’était rien de tout cela. Il était simplement Isaac, me montrant les ficelles de ce métier, sans jamais chercher à se mettre en avant. Pour une fois, un homme ne semblait rien attendre de moi, ou du moins, pour l'instant.
— Ici la Terre, Alex. Le spectacle est fini. m'annonça Alicia, un sourire en coin.
— C’était beau, et je suis là, répondis-je, en la poussant légèrement avec mon épaule.
— Viens, on va se promener dans la rue, faire les vitrines des boutiques, dit-elle, m’entraînant par le bras.
Nous avançons dans la rue commerçante. Il y avait ce calme étrange autour de nous, comme si le monde tournait encore un peu plus lentement. Ce genre de moment, si simple et fugace, semblait presque trop parfait. Trop paisible.
— Alors, tu me parlais de ton boulot et de ce Isaac... lança Alicia, ses yeux me fixant de côté, comme si elle cherchait à percer un secret.
Je laissai échapper un petit rire, sans vraiment savoir pourquoi.
— Oui, rigolai-je, le boulot est assez simple. Je réponds aux appels, aux mails, tout ce genre de trucs, mais Isaac… lui, il est assez connu sur les réseaux sociaux. Il m'apprend un peu son métier. Je haussai les épaules. Il est cool, il ne semble rien attendre de moi, pour une fois, avouai-je en souriant.
— C’est cool, mon chat, dit-elle, une lueur dans les yeux.
— Ouais, disons que, vu les derniers événements, j’avais aussi besoin de retrouver quelque chose de simple. Quelque chose qui me sorte de mes pensées, avouai-je, les mots m’échappant sans que je puisse vraiment les maîtriser.
— Les deux meurtres ? demanda-t-elle, le ton soudainement plus sérieux. Elle baissa un peu la voix, comme si les murs avaient des oreilles. Tu sais, même ma mère et ses collègues vont peut-être devoir se rendre là-haut, enquêter. Je crois que tout le monde veut retrouver ce type avant qu’il fasse d’autres victimes.
— Elle a des informations ? demandai-je, l’angoisse me serrant la gorge.
— Pas vraiment. Tu sais, elle bosse dans cette petite ville… enfin, Nancy n’est pas si petite, mais comparée à Paris, c’est une autre dimension. Elle marqua une pause, puis ajouta d’un ton presque imperceptible : Disons juste qu’elle et ses collègues essaient de comprendre le comportement du meurtrier, ce qu’il recherche.
Un frisson me parcourut. Ce genre de discours n’avait rien de banal. Elle avait raison : il fallait comprendre ce qu’un tueur pouvait vouloir, ce qui le poussait à agir.
— Peut-être qu’il connaissait les deux femmes, supposai-je, mais ma voix sonnait déjà comme un écho dans ma propre tête.
— Je pense pareil. Et ma mère aussi, répondit Alicia, son regard s’assombrissant légèrement. Selon elle, ce type essaie de calmer ses pulsions meurtrières en s’attaquant à des femmes qu’il devait connaître. Peut-être que c’est une vengeance, mais de quoi, exactement ? Ça, on ne sait pas encore. Elle soupira, comme si cette hypothèse ne suffisait pas à lever le voile sur ce mystère qui la hantait autant que moi.
Je n’étais plus sûr de vouloir en savoir davantage. Mais il était déjà trop tard. Le mystère était trop grand, trop présent. Et quelque part, je savais qu’il ne me lâcherait pas avant que la vérité n’éclate, que la vérité, ou quelque chose de bien pire, ne finisse par nous rattraper. Je laissai échapper un souffle que je ne réalisai même pas avoir retenu. Les mots d’Alicia tournaient dans ma tête, s’accrochaient comme des griffes à ma peau. Vengeance. Quelqu’un parmi une foule de personne, quelqu’un que je côtoyais peut-être, que je croisais tous les jours, était capable de tuer. Je fixai le pavé sous mes pieds, essayant de me concentrer sur la simple tâche de marcher. Mais la peur s’insinuait en moi, silencieuse, insidieuse. Je n'arrivais pas à m’empêcher de penser aux deux victimes, à ce que le tueur pouvait ressentir en les approchant. À leur dernière heure.
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