Alice5474! Au Bord du Vide L' entretien

L' entretien

06 novembre 2025, Levallois-Peret, Paris


Après deux trajets en transport en commun, je montai enfin les marches, quittant les sous-sols de la ville pour émerger dans un quartier totalement différent. Mes yeux se posèrent sur le panneau indiquant « Pont de Levallois Bécon », un point de repère que je m’étais noté pour le retour, une petite précaution dans mon esprit toujours bien ordonné. Il ne me restait plus que deux rues à longer, rien de bien compliqué. Les bâtiments alentours étaient familiers, presque identiques à ceux près de chez moi, aucun détail ne trahissait le fait que je venais de passer 30 minutes à traverser la ville. Pourtant, quelque chose dans l'air avait changé. Le temps semblait avoir accéléré, et je pressais le pas, ne voulant pas risquer de retarder ce rendez-vous.

Mes cheveux bruns, presque auburn, volaient autour de mon visage, s'emmêlant dans la brise hivernale. Leur longueur frôlait mes reins, un détail insignifiant en temps normal, mais qui me rappelait soudainement une époque où les détails ne m’échappaient jamais. Je portais un look simple : une jupe/short, un pull clair, et par-dessus, mon manteau noir, le tout complété par mes Doc Martens, un contraste évident avec certains passants.


J’atteignis enfin la rue « Paul Couturier », et là, en face de moi, un grand bâtiment vitré se dressait. À première vue, il ressemblait à une façade d’établissement scolaire. Je montai les marches, mes pas résonnant dans le silence, et pénétrai dans l'édifice.

La beauté de l’entrée me stoppa un instant. Le design épuré me laissa sans voix, mais je me ressaisis rapidement. Mon esprit se remit en marche. La réception n'était pas loin. Un logo gravé sur le mur m'indiqua la direction, celui de l'entreprise. Je m’y dirigeai, le cœur un peu plus lourd à chaque pas.

La réceptionniste leva les yeux vers moi, un sourire automatique se dessinant sur ses lèvres.


- Bonjour, puis-je vous aider ? demanda-t-elle, se penchant légèrement en avant, ses cheveux blonds mi-longs bougeant doucement au rythme de son geste.

- Bonjour, j'ai un rendez-vous avec Monsieur Tribet pour un entretien, répondis-je en sortant ma carte d'identité.


Elle la prit sans un mot, hochant la tête, et se pencha sur son écran, les doigts frappant rapidement le clavier. Pendant ce temps, un bruit m'attira sur ma droite. Je tournai la tête. Un groupe d'hommes de mon âge passait, riant ensemble, leurs voix se mêlant aux échos de l’entrée. Mais quelque chose en eux me frappa, un sentiment bizarre, indescriptible, qui me fit me raidir sur place.


Je ne sais pas pourquoi, mais à cet instant précis, j'avais la sensation de pouvoir sentir leur présence d’une manière presque… palpable. Comme si leurs auras flottaient autour d’eux, me frôlant, me frémissant, me donnant un aperçu fugace de leurs émotions, de leurs intentions. Depuis mon enfance, j’avais cette étrange capacité de percevoir des sensations chez les gens, parfois si intenses qu'elles me paralysaient. Au début, je pensais que c'était de l'hypersensibilité, une simple hyperréactivité à l'environnement. Mais plus je vieillissais, plus je me rendais compte que ce n’était pas juste de l’intuition.

Je les observais un instant, leurs rires résonnant dans l’air comme un écho lointain. Puis je chassai cette pensée de ma tête, forçant mon esprit à se concentrer. Une odeur douce et sucrée se mêla soudainement à l’air, perturbant mes pensées, avant qu'une voix ne m’interrompe, me ramenant brutalement au présent. Je repris le contrôle, récupérant ma carte d’identité que la réceptionniste me tendait. D’un geste professionnel, elle m’indiqua d'attendre quelques instants, son sourire toujours figé. Je me déplaçai lentement vers la gauche, près du comptoir, et me mis à attendre, les pensées encore floues, mon esprit oscillant entre la préparation du discours et l’incertitude qui commençait à m’envahir.

Je fermai les yeux un instant, cherchant à calmer les battements irréguliers de mon cœur. C'est alors que je vis une silhouette s'approcher. Un homme, relativement jeune, vêtu d'un costume trois pièces impeccable. Il se présenta à moi, et instinctivement, je tendis la main. Nous traversâmes plusieurs couloirs, jusqu’à un ascenseur que nous prenions sans un mot. Une fois arrivés à l’étage, nous avancions dans un long corridor silencieux, bordé de portes fermées, chacune portant un numéro. Chaque porte semblait identique, comme si cet endroit n’était qu’une machine bien huilée, une organisation parfaite… peut-être trop. L’odeur persistait, un parfum qui me semblait un peu trop artificiel, trop soigneusement choisi.

Il s’arrêta devant une porte vitrée. Il l’ouvrit sans hésitation, et je le suivis dans un bureau presque entièrement en verre, une pièce froide et contemporaine. L'atmosphère qui y régnait m’oppressait, me donnant une sensation étrange de surveillance, comme si chaque geste, chaque regard, étaient observés.

Je m’installai sur un petit canapé face à lui, tâchant de masquer ma nervosité. Mon manteau disparut dans un geste machinal. Je croisais les jambes pour cacher mon anxiété, m’efforçant d’adopter une posture détendue.

-Je peux vous appeler Alice ? dit l'homme, sa voix dénuée de toute pression, comme si la situation n’était rien de plus qu’une formalité.

Je le regardai, un instant figée par sa remarque.

- Euh… oui, bien sûr, répondis-je, un peu choquée par la simplicité de sa question, comme si tout cela était déjà joué.

Je suis Tom, dit-il en souriant, une touche de fierté dans la voix. Chargé de recrutement et responsable des ressources humaines, j’ai une double casquette, je sais. Mais bon, comment dire... je suis plutôt parfait. Il ponctua sa phrase d’un léger rire qui semblait déplacé.


Un frisson de malaise me parcourut. Son attitude, délibérément décontractée et loin d’être professionnelle, m'interpella.


- J’ai donc vu que vous avez postulé pour ce poste, continua-t-il, redevenant un peu plus sérieux. Mais en voyant votre CV, ce n’est pas vraiment votre domaine de compétence.

- C’est exact, répondis-je en toute honnêteté. Je cherche un job à durée limitée, ne nécessitant pas forcément des compétences spécifiques issues de mes études, afin de préparer mon départ à l'étranger.

Il me scruta un instant, comme s’il pesait chaque mot que je venais de dire.

- Je vois, dit-il, sans ciller. Et pour faire quoi, exactement ?

Je pris une respiration, mes pensées s’emballant quelques secondes avant de répondre.

- Travailler auprès de jeunes enfants dans une association humanitaire, expliquai-je, ma voix prenant une teinte plus calme et déterminée. À travers différents pays, différentes cultures.

Il n'y eut aucun signe de surprise. Pourtant, je ne pouvais m’empêcher de sentir qu’il savait déjà tout cela. Quelque chose dans sa façon de poser ses questions, dans la manière dont il me regardait, me faisait douter. Le regard de Tom ne quittait pas le mien, comme si il essayait de lire au-delà de mes mots, de déceler la vérité entre les lignes...



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