Fyctia
L'entretien 2.0
Plus l’entretien avançait, plus je me sentais étrangère à cet endroit. Chaque mot que je prononçais semblait déconnecté de la réalité qui m’entourait. Mon esprit, autrefois vif et précis, se noyait dans ce décor trop propre, trop lisse. J’avais l’impression de jouer un rôle que je n’avais pas appris à jouer. Je n’étais pas censée être ici. Je n’étais pas ce genre de personne. Je n’appartenais pas à ce monde. Tout en moi criait l’inadéquation, et plus je m’enfonçais dans cet échange, plus le ridicule me frappait. Qu’est-ce que je fais ici ?
Les gens autour de moi défilaient, leurs visages marqués par l’urgence, leurs gestes rapides et nets. Chaque pas, chaque mouvement semblait calculé, comme une danse mécanique bien réglée. Je n’étais qu’un fantôme dans cet endroit, une spectatrice qui n’avait pas sa place. Ils allaient et venaient, absorbés dans leurs tâches quotidiennes, et moi, je n’étais qu’une tâche, une anomalie dans ce tableau parfait. Je me forçai à garder mon calme, mais mon esprit était ailleurs, perdu dans une spirale de pensées. Une forme de malaise grandissait en moi, comme si cette atmosphère feutrée cachait quelque chose de plus sombre, de plus dangereux. Puis, je tournai la tête, attirée par quelque chose. Une ombre derrière la vitre. Le battement de mon cœur s’intensifia. Là, sur le rebord de la fenêtre extérieure, un corbeau. Le même que j’avais vu plus tôt. Il était là, de l’autre côté, les yeux fixés sur moi, implacables. Un frisson glacial parcourut ma nuque.
Je déglutis, une boule se formant dans ma gorge. Non… ce n’est pas possible. Mon regard se figea sur l’oiseau, une sensation étrange m’envahissant. C’était comme si l’animal me suivait, me traquait, me narguait. Un malaise irrationnel me noua l’estomac. Je luttais pour me concentrer, pour revenir à l’instant présent, mais une pression sourde me pesait. J'avais cette certitude que ce n'était pas une simple coïncidence… tout était lié d'une manière que je ne comprenais pas encore, mais que je commençais à percevoir. Un mauvais pressentiment. Une machination. Je pris une profonde inspiration, tentant de chasser l’angoisse qui montait en moi, mais elle restait là, tapie dans l’ombre de mes pensées, prête à refaire surface à tout moment.
- … Du coup, vous pourrez commencer dans deux jours. La voix de Tom m'arracha brusquement de ma torpeur, comme un coup de poignard qui me fit sursauter.
Je clignai des yeux, n'ayant pas saisi immédiatement la portée de ses paroles. Les mots avaient franchi mes lèvres avant même que mon esprit ne se remette en marche.
- Ok, répondis-je sans vraiment réfléchir, les sons de ma propre voix me paraissant lointains, presque étrangers.
Il hocha la tête, comme satisfait de ma réaction, et se leva de son fauteuil, l'air détendu, presque trop. Son sourire s'étira en un rictus un peu trop assuré, comme s'il avait déjà prévu ma réponse, comme si tout cela était déjà réglé.
- Parfait, vous verrez, ce n’est pas un travail très compliqué. Et si vous voulez en voir plus, nous serons ravis de vous former, dit-il en se dirigeant vers la porte avec une gestuelle fluide, presque théâtrale.
Je le suivis des yeux, encore un peu perdu dans ce qu'il venait de dire. Le vertige de l'acceptation me frappait de plein fouet. J'ai été prise ? Tout s’était passé si vite que je n'avais même pas réalisé qu’on venait de m’embaucher. Ce qui, en soi, était absurde. L'entretien, qui avait été l'un des pires moments de ma vie, m’avait laissé une sensation de vide. Je n’avais pas entendu ses explications sur le poste, rien de concret. Tout ce que je savais, c’était que je devais commencer dans deux jours, sans aucune idée précise de ce qui m’attendait.
Tom m’adressa un dernier sourire, une main tendue dans ma direction. Je me levai, toujours sous le poids de l’étrangeté de la situation, et il me serra la main d'une manière trop franche, presque glacée. Sans un mot de plus, il se détourna et m'indiqua le couloir avec un geste élégant de la main, comme si je n'étais plus qu'un invité indésirable dont il se débarrassait.
Je le suivis en silence, le cœur battant. À chaque pas, une sensation de plus en plus marquée de ne pas être au bon endroit grandissait en moi. L'ascenseur s’éloignait, et à mesure que le bâtiment se dérobait derrière moi, l’impression d’avoir pris une mauvaise décision devenait de plus en plus nette. Mais je n’avais pas le choix. Ce travail, aussi flou soit-il, me permettait de préparer mon départ à l'étranger. Pourtant, quelque chose me disait que la vérité derrière cette offre était bien plus sinistre que ce que j’avais voulu croire.
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