Fyctia
DEUX...
Je sais à présent que je ne serai plus jamais la même... Deux mois plus tôt, lorsque j'ai vu mon reflet dans ce miroir, celui devant lequel je suis en train de me maquiller, j'ai compris que Célya Minh n'existait plus. Mon visage bleui, enflé, déformé, asymétrique, ne m'appartenait plus. J'étais une abomination aux mains d'un monstre.
Je vis en captivité depuis dix semaines, modelée à l'image de Sarah, la première femme, celle qui consentit au mariage il y a une vingtaine d'années. Depuis les terribles confidences du chirurgien – dont j'ignore toujours le prénom – devant la cheminée le soir de Noël, je connais toute l'histoire. Une rencontre, un coup de foudre, une passion destructrice, un mari jaloux et possessif, une épouse dépressive. Un cocktail létal qui a mené Sarah au suicide. Fou de douleur, le chirurgien n'a de cesse de rectifier le passé...
Inconsolable, il a enlevé Sonia pour la métamorphoser en Sarah. Seule et faible, celle-ci s'est aisément acclimatée à sa nouvelle vie, et n'a commencé à se rebeller qu'en entendant son kidnappeur parler d'interventions esthétiques afin de lutter contre les affres du vieillissement... jusqu'à ce que je mette accidentellement fin à son tourment.
Je suis la troisième femme, la deuxième copie... À mesure que les incisions guérissent et s'affinent, je vois apparaître le visage de cette autre... celle que je ne suis pas. Je vois aussi le regard du chirurgien sur moi s'altérer, s'assombrir, se teinter de désir, et je suis terrifiée. Ma complète guérison annoncera mon entrée dans le rôle de la compagne attitrée... dans tous les sens du terme. Un spasme de répulsion me tord le ventre.
En ce début février, mon ravisseur m'a confié une trousse de maquillage, m'ordonnant de gommer de mon mieux les stigmates des opérations et de me faire belle. Pour quelle raison ? Qu'a-t-il en tête ?
Les doigts tremblants, j'étale la couche de fond de teint sur mon joli front bombé, mes joues fermes, mon nez court et mutin. Je touche cette peau qui est mienne sous les traits embellis de Sarah. Belle, je le suis devenue. Magnifique, même. J'applique un peu de blush, du fard à paupière pailleté. Un trait d'eye-liner redessine mes yeux en amande. Je mets du mascara pour allonger mes cils, puis j'accentue au pinceau la rondeur délicate de mes lèvres pleines avec un rose nacré. Ma longue chevelure soigneusement brossée, je défroisse le chemisier de soie gris perle qui épouse à la perfection mes courbes.
Le chirurgien fou a pris mes mensurations, avant de me doter d'une garde-robe à faire pâlir une gravure de mode. Loin de m'en réjouir, j'y vois la confirmation de mon séjour à long terme en ces murs, enfermée, séquestrée, avec l'interdiction d'approcher les limites de la propriété. Celles-ci sont matérialisées par un fil de cuivre le long duquel circulent des ondes reliées au récepteur fixé à ma cheville droite. Si je m'approche à moins d'un mètre, le bracelet vibre. Si je persiste, je reçois une décharge électrique. Pire qu'une détenue en liberté surveillée...
La seule fois où je suis sortie de la maison pour un tour de reconnaissance, c'était avec lui, accrochée à son bras. J'ai rempli mes poumons d'air normand, observant avec attention les alentours, notant l'emplacement des caméras, avant de me retrouver à nouveau cloîtrée, libre de circuler dans certaines pièces de la demeure.
Un frisson d'effroi dévale ma colonne vertébrale en entendant la porte de la chambre s'ouvrir. Je reconnais son parfum boisé, avant que son faciès commun ne s'imprime au-dessus du mien dans le miroir. Il est grand, au moins un mètre quatre-vingt-dix, et n'a rien de séduisant. À presque cinquante ans, les traits du plasticien sont épais, grossiers, prolongement d'un corps massif qui doit faire le double de mon poids. Ses iris noirs se mettent à luire de contentement.
– Bordel, tu es somptueuse... mon œuvre... ma création...
Sa grosse main écarte mes cheveux pour effleurer ma nuque. Ma bouche s'assèche. Je ne supporte pas son contact et me mets à trembler.
– Viens avec moi, Célya...
– Nn...non...
– Non ? Il me semble que tu n'as pas ton mot à dire !
Il m'attrape par le coude et me tracte jusqu'à la chambre pour me placer face à lui, dos au mur, avant de sortir de sa poche son téléphone. Je louche avec envie sur l'appareil, seul lien avec le monde extérieur dans cette maison, puis détourne les yeux en rencontrant son regard cynique. J'ai l'impression désagréable qu'il lit dans mes pensées et anticipe toutes mes intentions.
– Regarde-moi fixement et ne souris pas, me commande-t-il.
Il met le portable en mode photo, puis me mitraille sous tous les angles.
– Maintenant, souris... Montre-moi que tu veux me séduire...
J'arrondis les yeux, refusant de me soumettre à son manège.
– Je ne tiens pas à vous séduire.
– Que tu y tiennes ou pas, je suis fou de toi, ma Sarah...
– Je ne suis pas Sarah !
Vif comme un cobra, son poing énorme s'enroule autour de mon cou.
– Tu es ce que je veux que tu sois ! Tu es Sarah !
Je bats des cils, tandis qu'il me postillonne sur le visage. Ses doigts se resserrent, me privant d'oxygène. Je gémis. Une larme glisse sur ma joue fardée, avant qu'il ne me relâche brusquement.
– Putain... qu'est-ce que tu me fais faire...
Le chirurgien caresse l'ovale de mon visage du dos de la main, écrasant la goutte salée au coin de ma paupière, avant de poser un baiser mouillé à la commissure de mes lèvres. Je retiens avec difficulté un haut-le-cœur.
– Ne me provoque pas, Célya... Tu es mon trophée, ma chose... Si je veux que tu sois Sarah, tu es Sarah, tu entends ? Tu ne dois pas t'opposer à ma volonté.
– Vous êtes conscient qu'un jour ou l'autre, votre petit jeu s'achèvera. La police viendra frapper à votre porte pour me récupérer et me rendre à ma famille...
Il recule, un rictus mauvais déforme sa figure ingrate.
– Te récupérer ou t'emprisonner ? Je me suis renseigné, Célya, tu n'as plus que tes parents, et ceux-ci croient à ta disparition volontaire. Ta voiture a été retrouvée sur cette fameuse route, près du corps sans vie de Sonia, ta parka pleine de sang à l'arrière. J'ai reconstitué la scène à l'identique, confirmant ton rôle dans l'accident, ainsi que ta culpabilité et ta fuite. Les flics ne viendront jamais te chercher ici, ils te pensent déjà loin, en cavale. Tant que tu es avec moi, tu ne risques rien.
– Vous m'offrez une cage dorée... mais le résultat est le même, je suis captive !
– Tu préfères les geôles de ce pays à mon hospitalité ?
Je plante mes dents blanches dans ma lèvre inférieure, suscitant un éclat sauvage dans les yeux de mon ravisseur, et choisis d'endormir sa méfiance au lieu de m'opposer à lui.
– Ce n'est pas ce que j'ai dit...
– Tu me plais, Célya, alors ne gâche pas tout.
Son ton licencieux me met au supplice. Je représente une obsession, son fantasme personnifié, et tout dans son attitude me prédit qu'il passera bientôt à l'acte. Je refuse de céder à sa concupiscence. Ce soir, je brave l'interdit...
37 commentaires
Sonyawriter
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Il y a 4 ans
Sabrina A. Jia
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Il y a 4 ans
Lyaminh
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Val Kyria
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Lyaminh
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Pénellope Van Haver
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Lyaminh
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Léoneplomb
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Lyaminh
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Il y a 4 ans