Lyaminh Celle que je ne suis pas TROIS...

TROIS...

Je soulève les paupières... Une clarté bienfaisante filtre entre les persiennes. La fenêtre de ma chambre se trouve à droite du lit double où je repose. Une chambre que je reconnais sans la connaître. Des périodes de sommeil ont alterné avec des phases d'éveil. J'étais consciente, sans être pour autant lucide. J'ai vu ces murs ciel, le plafond clair mansardé, les poutres en chêne doré, le mobilier en pin.


Les souvenirs affluent et la panique me gagne. Combien de jours depuis l'accident ? Suis-je toujours aux mains du chirurgien ? Oui, je me rappelle sa voix rocailleuse quand il venait me visiter. Il restait à mon chevet, me parlant de cicatrisation, caressant mon bras d'une main moite.


Cicatrisation ? Caresse ? Je frissonne de dégoût, baissant les yeux sur mon membre, là où il m'a touchée. Je suis gênée à la limite de ma vision par le bord effiloché d'un tissu blanc posé sous mes yeux. Instinctivement, je lève les mains vers mon visage parcouru d'insupportables démangeaisons. Je suis perfusée au poignet droit, et mes doigts son couverts de pansements.


Que m'a fait ce malade ?


Quand mes phalanges rencontrent ma figure, je n'éprouve aucune sensation à la surface de ma peau. L'envie de me gratter est de plus en plus forte. Je me sers de mes paumes pour tâter mon visage. Je suffoque en réalisant que celui-ci est bandé du front au menton, mis à part un petit espace pour les yeux, les narines, et la bouche.


– Uumm...


Ne pouvant parler, je m'affole, puis inspecte mon corps. Je suis couverte d'un drap et d'une blouse vert pâle sous laquelle je suis nue et... sondée. Ce salopard m'a déshabillée et s'est approché de mon intimité. Peut-être en a-t-il profité, faisant fi de mon consentement. Mes larmes débordent, aussitôt absorbées par l'épais bandage. Mon diaphragme se contracte alors que les sanglots remontent dans ma trachée.


Ce fumier a posé ses mains sur moi... Il a opéré mon visage... Vais-je me reconnaître ?


Je n'ai pas le loisir de m'interroger davantage. La porte de la chambre s'ouvre sur l'homme dont j'ai tué la captive, vêtu d'un chino gris et d'un polo noir brodé d'un crocodile vert. Je ne peux retenir un frémissement à la vue de son regard sombre et envieux braqué sur moi. Il me fait l'effet d'un prédateur venu vérifié si sa proie est consommable.


– Ah, te voilà réveillée, Célya ! Comment te sens-tu, ma belle ?


En plus de poser une question idiote, il oublie que je ne peux m'exprimer...


Prenant appui sur mes paumes, je me redresse contre les oreillers. Le chirurgien se précipite sur la télécommande posée sur la table de nuit, afin de lever le matelas en position assise. Il pose ensuite une fesse sur le bord du lit en saisissant ma main, découvrant une parcelle de dents jaunies entre ses lèvres molles. Ses cheveux bruns, plus longs du côté gauche, sont peignés de manière à recouvrir sa calvitie, laissant des traits de peau apparents.


D'un mouvement sec, je me soustrais à son contact, récoltant un regard réprobateur.


– Il est inutile de prendre tes distances, Célya, car toi et moi seront bientôt très proches.


Reprenant ma main, il entreprend d'ôter la perfusion, puis les pansements qui me couvrent les doigts, continuant son monologue :


– Je t'ai effacée... Grâce à moi, personne ne peut remonter jusqu'à toi, tu ne risques rien. J'ai opéré tes dermatoglyphes, les crêtes papillaires de tes dernières phalanges si tu préfères, ainsi tu n'as plus d'empreintes digitales identifiables. Il reste bien entendu les traces papillaires de tes paumes et de tes plantes de pieds, mais je doute qu'elles soient répertoriées dans le fichier de la police. Tu n'es pas une criminelle ! Du moins, avant ces quinze derniers jours, jusqu'à ce que tu blesses mortellement Sonia...


Mes yeux doivent refléter le profond désarroi dans lequel le rappel de ce drame me plonge, car son sourire pervers s'élargit. Je n'aurais jamais dû emprunter cette petite route de campagne... Je baisse le regard sur la pulpe de mon pouce, zébrée de minuscules cicatrices roses. L'opération se répète sur mes autres doigts, tandis que mon tourmenteur poursuit :


– Tu n'as aucun souci à te faire, Célya, j'excelle dans mon domaine. Ma spécialité est la chirurgie plastique. Je répare, modèle, et reconstitue. Sous la lame de mon scalpel, la chair se sublime pour devenir œuvre d'art. Tu seras ma plus belle réalisation...


Ce disant, il s'applique à dérouler la bande de gaze autour de ma tête, dévoilant un peu plus de peau à chaque passage. Je tremble comme une feuille. Je ne suis pas une beauté fatale, mais j'ai peur que ce cinglé m'ait charcutée sans conserver le moindre de mes traits et de finir par oublier mon visage.


– J'ai suturé avec des points très fins, ainsi tu n'auras aucune cicatrice. Les seules traces de mon bistouri sont nichées au fond des plis naturels de l'expression, donc indécelables. Tu seras très belle une fois que les hématomes se seront résorbés et que les chairs auront désenflé.


Lorsque le bandage emporte avec lui l'ultime compresse collée à mon menton, j'esquisse un geste pour porter mes mains à ma figure. Le chirurgien me retient par les poignets, fronçant les sourcils.


– Ne va pas gâcher mon travail en grattant les croûtes ! Parce que là, c'est sûr, tu en auras des cicatrices ! Alors, tiens-toi tranquille !


– Ça me démange...


– Eh bien, pense à autre chose ! Je vais enlever la sonde, ainsi tu pourras te lever.


J'écarquille des yeux en le voyant soulever le drap sans la moindre gêne et me cramponne à ma blouse, récoltant un rire moqueur.


– Que crois-tu ? Je t'ai vue à poil, Célya ! D'ailleurs, tu es plutôt bien foutue. Plus petite que Sonia, mais plus pulpeuse. On va en passer du bon temps, toi et moi... Ne bouge pas si tu ne veux pas avoir mal !


Repoussant mes mains avec fermeté, il me dénude jusqu'à la taille avant d'écarter mes cuisses et retirer la sonde urinaire d'un geste technique. Je le regarde faire, mortifiée, puis rabat ma chemise sur mes jambes dès qu'il en a terminé. Son regard devient lubrique et sa voix s'épaissit, tandis qu'il sort une photo de la poche de son pantalon, avant de la brandir sous mes yeux. Devant un buisson de roses, une jeune femme blonde, d'une grande beauté, me sourit.


– Est-ce Sonia plus jeune ? demande-je.


– Sonia n'était qu'une pâle copie ! Non, c'est Sarah... ma Sarah, ma femme, ma muse, mon modèle... Elle s'est suicidée.


...et il cherche chirurgicalement à la reproduire ...


– Vous avez opéré Sonia aussi ?


– Oui... mais je ne l'ai pas aussi bien réussie que toi... Tu seras la perfection, Célya... Mon chef d’œuvre ! En attendant ta complète guérison, repose-toi et ne cherche pas à te sauver ou à signaler ta présence, autrement je serai contraint de prendre des mesures drastiques.


La dureté de son ton me fait tressaillir. Il empoche la photo et quitte la chambre. La porte à peine refermée, je me lève pour explorer mon sanctuaire et trouve la salle de bain. Face au miroir du lavabo, je pousse un hurlement en découvrant mon visage...



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53

53 commentaires

kleo

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Il y a 4 ans

Intriguant et flippant le type

Lyaminh

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Il y a 4 ans

Un grand malade du bistouri...

Val Kyria

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Il y a 4 ans

Il faut l’interner! 😱

Lyaminh

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Il y a 4 ans

Bienvenue en HP !!!😉

Sonyawriter

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Il y a 4 ans

Il est carrément terrifiant ! La pauvre

Pénellope Van Haver

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Il y a 4 ans

Oh l'horreur ! Ne plus voir son visage, mais celui d'une autre !😱

Lyaminh

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Il y a 4 ans

C'est terrible à imaginer, tu te regardes dans le miroir, et là... ce n'est pas toi ! Merci de passer me soutenir 👍😃

Léoneplomb

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Il y a 4 ans

Un chirurgien plastique fou d'amour pour sa "défunte" épouse et qui cherche par tous les moyens à faire de ses victime, des remplaçantes qui seront ses sosies, l'une après l'autre .

Lyaminh

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Il y a 4 ans

C'est précisément ce qu'il a en tête, il reproduit/copie sa femme !

Ludivine Delaune

-

Il y a 4 ans

mais quel fou !!
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