Fyctia
QUATRE...
Je m'efforce de ne plus poser les yeux sur cette peau nue, regardant droit devant moi.
L'horloge digitale affiche presque 22:00 lorsque nous stoppons devant un portail plein en fer blanc, matérialisant l'entrée d'une vaste propriété clôturée de hauts murs. Nous nous trouvons en marge d'un quartier résidentiel longeant la forêt entre le site protégé des Vaches Noires et Houlgate. Ce dont je suis certaine, c'est que nous ne sommes pas face aux urgences.
– Pourquoi n'allons-nous pas à l'hôpital ?
Sans répondre, l'homme baisse la vitre pour taper un code sur un boîtier électronique, actionnant l'ouverture des vantaux. Prise de panique, je déverrouille la fermeture centralisée des portières depuis la commande du tableau de bord, et me jette sur le loquet. Je n'ai pas le temps d'ouvrir qu'un bras se tend en travers de ma poitrine pour me coller à mon siège, pendant que la voiture avance sur l'allée.
Il fait trop sombre, je ne vois rien d'autre que les contours clairs d'une maison à deux étages, ressemblant aux villas calvadosiennes bordant le littoral. Ma respiration devient erratique. Le portail se referme, je suis piégée. Je repousse ce biceps qui me comprime, et crie pour couvrir le vacarme de la tempête :
– Où m'emmenez-vous à la fin ? Qu'allez-vous faire de moi ?
– Tiens-toi tranquille ou je t'en colle une !
D'un œil outré, j'évalue rapidement la largeur de ses mains, et m'astreins à plus de modération.
– Où sommes-nous ?
– Tu dois bien t'en douter ! Chez moi !
La porte automatique d'un garage double se lève à notre approche, confirmant que le chirurgien habite ici. Il gare ma citadine bleue à côté d'une grosse berline noire, alors que le rideau s'abaisse derrière nous. J'ai l'horrible sensation de pénétrer dans l'antre d'un monstre, et ne parviens plus à respirer normalement. Je ventile, tout en interrogeant :
– Qui êtes-vous ?
– Qu'est-ce que ça peut te foutre ? T'as déconné sur cette route, alors maintenant tu fermes ta gueule, tu sors, et tu m'aides à la transporter dans la maison.
Il désigne du pouce le corps allongé sur la banquette, et je comprends qu'il envisage de soigner lui-même sa femme. Après tout, pourquoi pas ? S'il dispose du matériel et de la thérapeutique nécessaires. Et moi dans tout ça ? Que me réserve-t-il ? Dans quel merdier je me suis fourrée...
Je le rejoins en contournant la voiture, à l'instant où il applique deux doigts sur la jugulaire de la blessée. Son bras retombe le long de son corps, tandis qu'il lâche d'un ton froid :
– Elle est morte.
J'arrondis les yeux, épouvantée.
– Comment ça, morte ? Vous en êtes sûr ?
Il me lance un regard ombrageux qui me paralyse. J'ai tué... j'ai tué SON épouse ! J'ai fauché la vie d'une jolie femme dans la quarantaine. J'ai commis un homicide involontaire et je vais finir en prison. Brisée, je m'effondre à genoux sur le sol en ciment, balbutiant entre deux sanglots :
– Je suis désolée... Je n'ai pas voulu ce qui est arrivé... Je vous prie de me croire ! Laissez-moi partir...
Je suis soulevée par les aisselles, avant d'être brutalement jetée en travers d'une épaule robuste. Tête en bas, le nez sur le tissu trempé de l'imperméable noir tendu sur le dos de son propriétaire, je vois le revêtement gris du sol défiler jusqu'à une porte intérieure menant directement à la maison.
– Reposez-moi par terre ! Je paierai pour ce que j'ai fait, mais reposez-moi ! m'écrie-je.
– Oh oui, tu vas payer, petite gourde...
Refusant d'entendre le double sens de son propos, je secoue les jambes pour l'inciter à me lâcher et reçois une grande claque sur les fesses. Ce geste familier me stoppe net, propageant une onde de terreur dans tout mon corps.
– Qu'allez-vous me faire ?
À force d'avoir la tête à l'envers, je commence à voir des étoiles. Le sang qui afflue dans mon cerveau rosit mes joues et me donne chaud. Tournant les yeux de chaque côté, j'aperçois les parois d'un long couloir, puis la descente d'un escalier menant au sous-sol.
– Où m'emmenez-vous ?
Toujours silencieux, mon tourmenteur pénètre dans une salle au sol carrelé, dont les larges néons au plafond me révèlent des murs peints en blanc, une armoire remplie de flacons et de fioles en tout genre, un chariot sur lequel sont alignés des instruments chirurgicaux, et une table d'opération.
Il me dépose sans précaution sur cette dernière, mon épaule heurtant brutalement la surface métallique, puis entreprend de me sangler les poignets et les chevilles. Comprenant que ce fou a l'intention de me torturer pour me faire payer le trépas de son épouse, je commence à me débattre farouchement. J'ai le temps de lui envoyer mon genou dans l'abdomen, avant que son poing n'atterrisse sur ma figure. Je sens l'os de mon nez craquer et pousse un cri de douleur, luttant contre le sang qui coule à gros bouillons dans ma bouche.
Impuissante, je me retrouve les quatre membres attachés, sans possibilité aucune de me soustraire à la vindicte bestiale du chirurgien. Les larmes roulent sur mes tempes, mon visage me brûle. J'ai atrocement mal, et peur aussi. Je ne suis pas certaine d'être très endurante à la douleur. Romancière à mes heures, j'ai écrit des thrillers dans lesquels je faisais subir des sévices corporels à mes personnages. Ce n'était pas très réjouissant, et la conclusion en était souvent tragique. Quitte à vivre une scène, je préfère endosser le rôle du bourreau...
En parlant du mien, le voilà qui quitte la pièce, m'abandonnant avec l'hémoglobine qui continue de s'écouler de mes narines. Je tourne la tête sur le côté pour cracher et évacuer le sang qui file vers ma gorge. Mon cœur bat furieusement dans ma poitrine, accroissant mon anxiété. J'ai des sueurs froides, et m'affole en le voyant revenir avec mon sac à main. Il en sort ma carte d'identité, puis s'exclame avec un rictus satisfait :
– Célya Minh, vingt-cinq ans ! Je ne perds pas au change, finalement ! Sonia en avait quarante-deux, et j'avoue que je commençais à m'en lasser. Je suis content que tu l'aies butée !
– Che ne l'ai pas bvutée... ch'était un acchident... articule-je avec difficulté, la bouche pleine de sang.
Le chirurgien s'approche jusqu'à ce que ses hanches touchent la table sur laquelle je suis retenue prisonnière.
– Peu importe, ma belle. Toi et moi, on va vivre une histoire grandiose !
– Che chui désolée pour vot' femme... ne me torturez pas, ch'il vous plaît...
Ce grand malade éclate de rire tout en me garrottant le bras, avant de s'emparer d'une seringue dosée d'un sérum incolore.
– Te torturer ? J'ai enlevé Sonia il y a huit ans pour en faire ma compagne. Je lui ai offert une vie de rêve, mais elle a voulu profiter de l'orage pour tenter de s'évader une fois encore. Le destin s'est chargé de la punir et... de la remplacer.
Il enfonce l'aiguille dans ma veine gonflée, et appuie sur le piston. J'ai une ultime pensée avant de perdre conscience ; séquestrée, Sonia essayait de fuir son kidnappeur lorsque je l'ai renversée... qu'entend-il par "remplacer", au juste ?
53 commentaires
Valentina H
-
Il y a 4 ans
Lyaminh
-
Il y a 4 ans
Val Kyria
-
Il y a 4 ans
Léoneplomb
-
Il y a 4 ans
Lyaminh
-
Il y a 4 ans
Ludivine Delaune
-
Il y a 4 ans
Lyaminh
-
Il y a 4 ans
cedemro
-
Il y a 4 ans
FleurDelatour
-
Il y a 4 ans
Lyaminh
-
Il y a 4 ans