Fyctia
CINQ...
Au cœur d'une nuit sans lune, de puissants éclairs zèbrent le ciel d'encre. Cela n'augure rien de bon... Sur cette route de campagne isolée, je laisse libre cours à ma mauvaise humeur, mains crispées sur le volant, et peste toute seule contre mon imprudence.
J'ai choisi d'emprunter un raccourci et me suis perdue dans cette contrée avare de panneaux de signalisation, présentement noyée sous des trombes d'eau. Je n'y vois strictement rien. Les balais d'essuie-glace réglés sur la vitesse maximale ne parviennent plus à lutter contre la pluie diluvienne qui s'abat avec violence sur le pare-brise de ma petite citadine, et comme un malheur n'arrive jamais seul, le phare côté passager ne fonctionne plus en mode feux de route.
La furie des éléments semblent s'accentuer à mesure que je progresse vers Houlgate... si toutefois je suis dans la bonne direction ! Finie la vie parisienne, je retourne chez mes parents sur la Côte Fleurie. Du moins, provisoirement, en attendant de me trouver un logement et un travail. J'ai tout quitté pour prendre un nouveau départ en province après mon divorce.
À vingt-cinq ans, sans enfant, je ne crois déjà plus en l'amour !
D'un geste rageur, j'essuie du dos de la main les larmes qui me brouillent la vue, tout en guettant les indications au prochain croisement. Houlgate, sept kilomètres ! Je suis sur la bonne départementale, c'est déjà ça ! Confiante, j'appuie sur l'accélérateur. Il me tarde d'arriver pour me mettre à l'abri et profiter d'un bon feu de cheminée. La vie étant ce qu'elle est, je n'ai pas le choix, il me faut avancer.
En parlant d'avancer, je ne vois pas bien où je vais. Je conduis à l'aveugle, le regard rivé sur le faisceau étroit de mon phare, alors que la voiture s'enfonce dans une portion de route boisée. Il fait si sombre que je ne distingue plus la voûte céleste où s'affrontent les éléments au cœur de l'orage.
Lorsqu'une silhouette auréolée de blanc jaillit à la droite de mon champ de vision, j'écrase la pédale de frein, modifiant ma trajectoire pour éviter l'obstacle. Je sens la voiture déraper sur le bitume gorgé d'eau, les pneus crisser. Les feux de détresse s'activent automatiquement, puis c'est le choc, brutal, inévitable, avant que mon véhicule ne s'immobilise.
Qu'ai-je heurté ? Je suis maintenue contre le dossier de mon siège par ma ceinture de sécurité qui vient de se bloquer. Pas un son, mis à part le martèlement du déluge sur la carrosserie. Tétanisée, je n'ose plus bouger. Était-ce un animal ? Une personne ?
Du mouvement devant mon capot me force à sortir de ma léthargie. Je détache ma ceinture, les doigts tremblants, sans parvenir à manœuvrer le loquet de ma portière. Lorsque celle-ci s'ouvre à la volée, m'envoyant une rafale tempétueuse en plein visage, je lâche un cri de terreur.
– Descendez ! hurle l'intrus.
L'homme qui se dresse devant moi semble tout droit sorti d'un film d'épouvante. Immense, large d'épaules, des mèches de cheveux noirs plaquées sur un crâne en forme d'obus, des lèvres retroussées sur une dentition jaunie, et de petits yeux enfoncés dans leurs orbites... aussi sombres que la nuit. La pluie ruisselle sur sa calvitie et sa figure déformée par la rage, le faisant ciller, alors qu'il répète d'une voix forte pour couvrir le mugissement du vent :
– Descendez, j'vous dis !
Sans attendre que je m'exécute, il m'agrippe le bras pour me faire sortir de l'habitacle, me traînant derrière lui jusqu'à l'avant de la voiture, puis me jette au sol. Je me réceptionne à plat ventre sur le macadam, menton et poignets endoloris. Mon slim écru et mon pull fin en mohair violet ne résistent pas longtemps aux assauts dantesques des cieux. Trempée jusqu'aux os, je peine à réaliser ce qui m'arrive.
Quand je redresse la tête pour regarder autour de moi et évaluer la situation, mes iris apeurés rencontrent les prunelles fixes d'une femme blonde couchée sur la route, à moins d'un mètre des pneus de la citadine. Dilué par la pluie, le sang qui coule de sa tempe rougit le côté gauche de son visage. Ma victime sans doute, la silhouette que j'ai percutée et projetée à plusieurs mètres, si j'en juge l'état déplorable de ses vêtements et sa position par rapport au véhicule.
Enfin, ses vêtements... L'inconnue porte un déshabillé de dentelle blanche, déchiré par endroits, révélant sa peau diaphane. Que fait-elle dehors dans cette tenue par ce temps, en plein mois de novembre ? Lorsqu'elle tend un bras blessé vers moi, articulant "Aidez-moi" d'une voix d'outre-tombe, je me redresse à quatre pattes en hurlant, refusant qu'elle me touche.
– Tu vois ce que tu as fait, salope !
Une main énorme me saisit par les cheveux. Mon chignon boule s'est dénoué durant ma chute, facilitant sa prise. Ma tête pivote vers celui qui m'invective. La colère déforme ses traits, et je prends peur. Le vent rabat contre ses jambes les pans de son long imperméable foncé, tandis qu'il m'oblige à me mettre debout.
– Je suis désolée...
J'ignore s'il m'entend, parce qu'il ne réagit pas et me pilote avec rudesse vers le côté passager de la voiture, avant d'ouvrir la portière et de me pousser sur le siège. Mon front cogne le montant de l'habitacle, si bien que j'y porte la paume à l'instant où la portière se referme sur moi.
Mes vêtements mouillés et sales me collent à la peau. Glacée, je grelotte, tout en observant l'homme sous l'orage, dans le faisceau blafard, soulever dans ses bras le corps de la femme pour l'installer sur la banquette arrière, sans prendre la peine de retirer ma parka posée dessus. Je me ratatine, bras autour du corps, quand il prend place derrière le volant. Mais que fait-il ?
Prenant mon courage à deux mains, j'interviens alors qu'il recule le siège et redémarre le moteur calé :
– Il ne faut pas bouger une personne accidentée.
D'un mouvement vif, il se tourne vers moi, son regard fou me dévisage un moment à la lueur du tableau de bord rétroéclairé.
– Je suis chirurgien, je sais ce que j'ai à faire ! Pensez-vous que je vais laisser ma femme crever sur cette route ?
– Non, bien sûr... Il faut la transporter à l'hôpital.
Un silence oppressant nous enveloppe, tandis que l'inconnu éteint les warnings, enclenche la première vitesse, puis lance la citadine sur l'étroite bande de bitume. Nous n'avons pas fait cent mètres, qu'il actionne le clignotant pour tourner à droite sur un chemin carrossable coupant à travers la forêt.
– Je... où allez-vous ?
– Fermez-la !
Terrorisée, je tremble de plus belle, alors que mille scénarios défilent dans mon esprit. J'amorce un geste pour prendre mon téléphone portable dans mon sac à main posé entre mes chevilles, mais l'homme m'en empêche, empoignant le fourre-tout qu'il balance à l'arrière sur la blessée.
– Hey ! Ça va pas !
Il me gratifie d'un regard étrange, détaillant mon corps frissonnant de la tête aux pieds, avant de se concentrer sur sa conduite. J'en profite pour l'observer à mon tour. Son imper mal fermé me révèle un bas de pyjama rayé et une panse velue...
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marx15
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Lyaminh
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Val Kyria
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Sabrina A. Jia
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Il y a 4 ans