Fyctia

Inlassablement, je continue ma routine.

Le long couloir défile sous mes pas alors que je rejoins l’escalier menant à la partie la plus profonde du palais. Les pierres noires des murs rendent l’atmosphère pesante, en comparaison avec le sol lisse qui reflète la moindre lumière diffusée par les torches accrochées au mur. D’une main sûre, j’empoigne la lourde porte en bois massif pour me rendre dans les cachots. L’air se charge d’ondes négatives au fur et à mesure que je descends les marches. J’entends les complaintes incessantes des prisonniers qui demandent une rédemption. Ils sont arrivés là pour des faits graves, mais leur sort ne me concerne pas. Mes préoccupations sont tournées vers un tout autre étage, plus souterrain. Mes pas me guident jusqu’à cet endroit, où se trouve la créature que je suis chargé de surveiller.

Depuis quelque temps, il m’est devenu pénible de lui rendre visite chaque jour. Une tension lourde s’installe dans mes entrailles, dès que j’approche de l’épais battant blindé, et maintenir une distance avec elle n’est plus si aisé.

Pourquoi mon corps réagit-il ainsi à sa proximité?

Un frisson remonte le long de mon dos tandis que mes doigts liquéfient le bois devant moi d'un simple effleurement. L'humidité présente dans la pièce en permanence sature l'air d'une odeur caverneuse qui me saisit à chaque fois que je pénètre ici. J'avance dans l'antre où une bulle énorme retient la créature en son centre. Celle-ci paraît endormie vu d'ici, mais je sais qu'elle m'entend. Elle ne peut simplement pas bouger. J'ignorais tout de sa présence avant mon arrivée au poste le plus haut gradé de la légion. Les précautions prises pour maintenir le secret sont bien trop importantes pour imaginer la moindre fuite d'information. Les conséquences pour quiconque à l’origine du dévoilement d’un des secrets les mieux gardés d’Uahea seraient passibles de mort.

Je pose un pied devant l'autre jusqu'à n'être qu'à quelques centimètres de la prison d'eau.

Elle perçoit ma présence, je le constate car sa paupière se soulève et me dévoile sa pupille d'un rouge vif parsemé d'éclat blanchâtre. Son regard me transperce, m'observe et cherche à sonder mon âme, comme si elle était à la recherche de quelque chose. Je sais parfaitement ce qu'elle attend, ce qu'elle ressent. Une part de moi la comprend bien mieux que je ne le laisse paraître. Mon expression reste neutre alors que je scrute attentivement ma prisonnière. Elle pense peut-être que je vais lui infliger un nouvel entraînement, même si tous les autres n'ont rien donné. Ou bien espère-t-elle me dévorer pour satisfaire son appétit que l'on se plaît à ne jamais contenter ? Elle reste docile en position de faiblesse, même si je redoute son châtiment le jour où elle parviendra à retrouver sa liberté. Car s’il y a bien une chose dont je suis certain, c'est que ce jour approche, je le sens, je le sais… Il vaudra mieux pour moi que je me tienne éloigné d'elle à ce moment-là, car je pourrais bien y laisser quelques écailles.

Une alarme stridente résonne dans les étages au-dessus, et l'écho se fait entendre jusqu'ici. Il me faut rejoindre le seigneur et attendre les ordres. D'un geste provocateur, j'effleure la bulle pour lui montrer que je la domine, avant de tourner le dos à ma prisonnière afin de rejoindre les escaliers.

Les couloirs fourmillent de gardes prêts à prendre les armes. Tous me saluent. D'une démarche assurée, je les dépasse et me rends dans la salle du trône où ma présence est requise. Il n'existe qu'une seule raison à l'utilisation de cet appel : nous partons en guerre.