Fyctia
Chant XXV D'un roi fatigué 1
Nestor était le doyen des roi hellènes. Il avait connu Héraclès, Troie, la douleur de perdre des fils, la guerre et la paix. Il posait sur le monde un regard fatigué et serein. Il arrivait que les autres rois demandèrent ses conseils. Un acte qui vexait toujours Ulysse, le plus intelligent d'entre eux. Mais, Nestor avait une qualité, il était sage et n'aimait pas le conflit. Cela en faisait un homme qui cherchait toujours le chemin le plus paisible sans pour autant que cela ne touchât à son honneur. Sa réputation était telle que même Néoméris avait entendu parler de lui.
Elle n'était donc pas surprise en voyant son palais. Si Nestor était aussi riche qu'un roi de Crète puisse l'être, il ne montrait pas plus sa fortune qu'un simple marchand qui avait un peu réussi. Son palais était d'une propreté médicinale, tous ses domestiques bien habillés, y compris les esclaves, ses jardins taillés.
Et pourtant, le roi se tenait non pas sur un trône mais sur une klismos. Sa chaise au dos incurvé éteinte à la feuille d'or. De simples arabesques avaient été dessinées sur le dossier. C'était le genre de mobilier désuet que l'on trouvait dans les salles de stratèges ou n'importe quel endroit où la décoration avait moins d'importance que ce qu'il s'y passait. A la façon dont se tenait le roi, on devinait que sa chaise avait été choisie pour une question de confort. Il était avachi et chaque mouvement était suivi par des grincements de douleur.
Pourtant, en voyant le prince Télémaque pénétrait dans son palais suivi d'un général de guerre fatigué et d'une jeune femme dont la peau avait ce caractère flottant des reflets sur l'eau, il se redressa subitement. Un page, qui tenait un plateau avec une carafe à vin à ses côtés, tendit la main dans sa direction pour l'aider. Le roi l'ignora.
Méléagre et Néoméris se jetèrent sur leurs genoux. A force d'être traités en également par Télémaque, ils en avaient presque oublié comment se conduire face à un roi. Nestor esquissa un sourire. Il croisa ses mains raides et fripés sur son manteau et fit un léger signe de tête à Télémaque.
— Je dois avouer, commença sa voix chevrotante, que je suis fort surpris de vous voir pénétrer dans mon palais, général Méléagre de Naxos.
L'intéresse redressa la tête, ne masquant pas son étonnement. Le roi de Crète ne s'était pas entretenu avec le prince d'Ithaque ? C'était impossible. Télémaque avait débarqué sur ses terres avec des hommes armés jusqu'aux dents. Il avait bien s'expliquer pour que Nestor ne pense pas qu'une guerre s'était déclaré entre leurs deux nations. Il tourna légèrement la tête vers Télémaque. Le front barré par le soucis de ce dernier finit de le faire trembler de peur.
— Je vous pensais mort, comme tout le monde.
— Il est vrai, mon roi, que j'ai disparu pendant quelques jours. Mais, je peux vous expliquer.
Méléagre expliqua alors au roi de Crète son retard dans la bataille. Il ne cacha pas avoir été assez sot pour tomber dans le piège de la sorcière Circé, ni comment Néoméris les avait tous sauvés. A la fin de son récit, il se risqua à observer le vieux roi et le jeune prince. Si les deux le croyaient, ils n'en échangeaient pas moins des regards désolés.
Néoméris tourna à son tour ses yeux vers Télémaque. Elle y vit alors des changements auxquelles elle n'avait pas prêté attention jusqu'ici. Ses bras étaient couverts de cicatrices, certaines guéries depuis quelques temps, ses cheveux tombaient sur ses épaules, et de petites rides naissaient aux coins de ses yeux. Avant qu'elle ne parvint à comprendre, Nestor annonça de sa voix lasse :
— Vous avez disparu depuis plus d'un an.
La nouvelle tomba comme un couperet, si bien que Néoméris saisit la main à terre de Méléagre pour l'empêcher de chuter. Le roi de Crète continua, enfonçant de plus en plus un couteau de mots dans la plaie qu'il avait ouverte.
— Le roi Eurylipe est venu se réfugier chez moi en t'attendant Méléagre mais, il s'est laissé convaincre par un vulgaire capitaine troyen, qui fut notre otage, que tu l'as trahi. Fou de rage, il a voulu attaquer leurs armées. Mais, il ne disposait pas de la moitié de la sienne et ils l'ont capturé. Pour l'heure, nous savons seulement qu'il est leur prisonnier mais si les Troyens remportent cette guerre, et ils sont en bonne voie, ils l'exécuteront, lui et les autres prisonniers naxiens.
Méléagre se jeta sur ses pieds. Il fusilla du regard le roi et, une main sur son épée, l'autre pointa Nestor, il éructa de colère :
— Jamais ! Jamais je ne trahirai mon roi ! Eurylipe le savait ! Son père fut comme un frère pour moi, il est pour ainsi dire mon neveu ! Comment n'avez-vous pas pu le convaincre ? Cela n'avait aucun sens !
Néoméris, terrifiée de le voir accuser un roi comme s'il était un vulgaire marin, saisit le doigt du général et usa de toutes ses forces pour le baisser. Télémaque agrippa tranquillement les épaules de la jeune femme, ignorant le picotement qui le traversa alors, et la tira en arrière.
Au regard effondré de Nestor, elle devina qu'aucune suite n'arrivera à Méléagre. En fait, le général retomba une seconde fois sur ses genoux et frappa du poing sur le sol. Il cria pour masquer ses sanglots. Le roi de Crète détourna les yeux, par pudeur. Sa voix était tout aussi fatiguée lorsqu'il reprit :
— Jamais, nous n'avons douté de votre fidélité envers votre roi. Et je doute qu'Eurylipe l'eût vraiment cru. Mais, il est jeune, bien trop pour être sur un champ de bataille et diriger une armée. La déclaration du capitaine a été une attaque, qu'il a pris personnellement. Nous n'avons pas pu le résonner. Il l'a lui-même exécuté avant de partir en guerre.
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