Fyctia
Chant XXIV : Des océans fous 1
Arès faisait couler le sang de sa cité. Les cris de rage des Spartes se mêlaient aux tintements des boucliers qui résistaient face à la menace des Troyens. Leur hargne était à la hauteur de la défaite qu'ils n'avaient jamais acceptée. Accompagnés d'Aphrodite et Apollon, ils assiégeaient les cités grecques, riant de leurs victoires. Cependant, les Spartes ne baissèrent pas la tête. Ils rendaient chaque coup avec la volonté de tuer. Leur rage faisait peur à elle seule :
— Les Spartes sont fidèles à eux-mêmes. Ils préfèrent mourir que perdre. Déclara Méléagre.
Il avait les poings et la mâchoire serrée. Un homme de guerre ne pouvait qu'admirer la cité du sang. S'en prendre aux Spartes, c'était l'insulter. Mais, il restait un Naxien, leur général qui plus est. Il se tourna vers ses hommes. L'effroi se lisait dans leurs yeux. Au cours de la traversée, ils avaient oublié qu'ils n'étaient que des pêcheurs. S'ils gouvernaient les mers, ils avaient maintenant devant eux les résultats des batailles terrestres :
— Nous n'accosterons pas. Les rassura le général. Nous ne ferons que perdre. Si les Spartes ne tiennent pas, il ne nous sert à rien de vouloir tenir tête aux Troyens sur Terre. Levez la voile...
Avant même qu'il ne put finir sa phrase, une lance passa perfora le ciel. La lame brillante fusa. Une étoile filante qui passa devant le visage du général pour se planter dans la poitrine de l'homme qui lui faisait face. Le Naxien s'effondra sans même un bruit. Une seconde de silence figea le navire, brisée par une seconde lance qui se planta dans le bastingage envoyant en éclat le bois. Une troisième lance se planta elle sur le pont entre Cléandros et Néoméris :
— On est attaqué ! Constata Polydamas.
Méléagre se précipita vers le gouvernail qu'il tourna avec un mouvement si ample que le navire fit un demi-tour assez soudain pour déstabiliser les Naxiens. Malgré la voile levée, le bateau bougea à peine. Les pêcheurs coururent vers les cales afin de saisir les rames.
Devant autant de précipitations, Néoméris se perdit. Elle ignorait où se situait sa place. Elle songea à se cacher dans la chambre du général, pour ne pas que sa présence trouble les marins. Mais, elle serait alors une lâche. Elle ne pouvait pas non plus rester plantée au milieu du pont où elle gênait.
D'un pas tremblant, elle se dirigea vers la rampe. La lance avait formé un trou dans le pont qui permit à la jeune femme de se pencher. L'eau était souillé par les morceaux de bois et le sang des hommes. En portant son regard plus haut, elle remarqua alors les navires légers qui se dirigeaient vers eux. Les soldats à bord ne comptaient pas rejoindre la berge en vie, ni même les laisser partir.
Une rage furieuse s'empara de Néoméris. Elle avait entendu les raisons de la guerre de Troie. Comme le prince Pâris avait humilié les Hellènes en capturant la reine d'un royaume, leur défaite était le résultat de leur arrogance. Aujourd'hui, ils voulaient de nouveaux les humilier, comme si une fois n'avait pas suffi. Comme si les Hellènes étaient une nation sur laquelle on pouvait marcher sans impunité.
Sa poitrine se souleva comme la houle d'une vague. Le souffle puissant de la jeune femme se mêla au chant de l'océan. Une comptine qui tomba jusqu'aux abymes. L'eau se souleva à son tour. D'abord discrètement, elle fit glisser le bateau des Naxos. Le fronton perça les vagues s'éloignant à une vitesse ahurissante des côtes. Les marins dans les cales furent secoués sans comprendre d'où venait ce rythme.
Méléagre bascula en avant, retenant Polydamas qui manqua de chuter dans les eaux. Les deux hommes étaient aussi désemparés que l'équipage en voyant le soudain mouvement de leur embarcation. Dans leurs dos, les Troyens ne pouvaient qu'assister à leur fuite sans même tenter de les rattraper. De toute façon, les vagues formées par la houle du bateau naxien faisaient jaillir des murs d'eau infranchissable.
Un soubresaut fit vibrer la coque. Malgré le déséquilibre, aucun Naxien ne tomba. Un mouvement souleva leurs cœurs. Ils fusèrent dans les cieux. Ballotés d'un côté à l'autre de la proue, les plus téméraires osèrent s'approcher du bord. Ces hommes, plus habitués aux flots qu'à la terre ferme, frémirent en passant la tête au-dessus du bastingage. Un socle d'eau salée portait le bateau. Un tourbillon sur lequel ils ne nous tournèrent pas mais qui les éloigna considérablement des barques troyennes.
Il fallut quelques instants, le ciel s'assombrit. Le vent se leva et les voiles claquèrent. Ils ne tentèrent pas de les refermer, trop effrayés pour bouger. Puis, Cleandros réagit. Il avait vu Néoméris debout à l'arrière, qui fixait avec rage les côtes spartes. Il courut jusqu'au cordage dont il fit un nœud un à son bassin et indiqua aux hommes d'en faire autant. Il fallut attendre leur général pour que les Naxiens lui obéissent.
Méléagre, attaché au mât avec Cleandros et Polydamas, se tourna vers Néoméris. Elle était toujours debout, au milieu de l'eau qui lui fouettait le corps. Sa toge flottait autour d'elle quand l'humidité ne la collait pas à son corps. Ses longs cheveux n'étaient plus qu'un masse sombre et mouillé. Méléagre vit un morceau de corde qui attendait d'être attachée. Il la saisit et entreprit de s'approcher de la demi-immortelle. Mais, Cleandros lui prit le poignet et le tira légèrement en arrière :
— Ne l'humilie pas, général. Chuchota le médecin. Les dieux la protègent.
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