silver Aristas Neireides Chant XXIII : D'une cité 2

Chant XXIII : D'une cité 2

Par exemple, ses yeux luisaient d'inquiétude, un regard ancré sur son visage comme la brûlure qui le barrait. C'était le garant de la souffrance qu'elle avait subi toutes ces années. Méléagre posa la main sur la joue droite de Néoméris. Elle eut un léger mouvement de recul partagée entre l'envie de garder le contact et celle de protéger le général de sa malédiction.


Les vagues se déchaînaient contre la cale du navire. Le bois grinçait d'un chant plus sinistre que celui des sirènes. Les soldats observaient sans cesse l'horizon, pensant encore à la tornade qui les avait conduits jusqu'à Circé. Malgré la crainte d'être exilés de nouveau, un sentiment nouveau montait en eux. Il était aussi ténu que le fil d'Ariane mais il prenait de plus en plus de place dans leurs cœurs. Néoméris n'était plus vue uniquement comme un boulet accroché à leurs chevilles. Elle était celle qui les avait délivrés d'une immortelle et qui avait même gagné son respect. Elle était protégée par les dieux des mers. Pour les soldats, cela revenait à penser qu'elle était invincible.


Allongée dans le lit du général, l'unique pièce à part que comptait ce navire, Néoméris était loin de se douter que les rumeurs dont elle était victime avaient changé. Elle ne pensait qu'à ce voyage qui n'en finissait pas. Elle se demanda si cela n'était pas la faute du roi d'Ithaque. Bien que le mot n'avait pas été prononcé, Ulysse avait été maudit par Poséidon. Est-ce que le dieu des océans n'aurait pas été courroucé de voir ses protégés demander de l'aide à son illustre ennemi ?


Son regard dériva vers Méléagre. Il ne craignait pas d'exposer les cicatrices qui barraient son corps. Sa peau mordorée lui donnait des aspects de criminels. La jeune femme attendait sa venue dans le lit comme une pucelle avec son amant. Pourtant, Méléagre tarda, la tête penchée sur une tablette :


— As-tu peur de la guerre ?


La tête du général se releva sans regarder Néoméris :


— Bien sûr. Celui qui ne craint pas la guerre et le dernier des imbéciles.


— Je pensais qu'un militaire n'aurait pas peur.


— J'ai peur et je hais la guerre.


La bouche de Néoméris s'ouvrit en O. Elle n'avait pas imaginé Méléagre capable de penser ainsi. Pour elle, la guerre n'était pas son affaire. C'était un ennemi lointain mais qui ne la regardait pas. Elle pensait que ceux qui l'avaient vue ne la craignaient plus. Un sourire se dessina sur les lèvres du général traversé par un souvenir lointain :


— J'aime l'exercice et l'armée mais la guerre n'est que mort. Certains pensent qu'elle forme aussi l'honneur.


— Pas toi ?


— L'honneur, ceux sont les dieux qui la donnent. Nous ne sommes que des pions sur l'échafaud de la vie. Certains naissent juste mieux que d'autres.


Les yeux brillants de Méléagre fixaient Néoméris avec l'intensité d'un brasero. Elle détourna le visage, gênée. Le général baissa la tête. Il ne pouvait s'empêcher d'être jaloux. Néoméris était née enfant d'un dieu. Cela signifiait qu'elle n'était pas une humaine parmi les autres. Elle devait ignorer que chacun de ses gestes était observé. Que les dieux se disputaient sa protection alors qu'ils ignoraient les autres pourtant plus braves.


Elle décroisa ses jambes et se baissa à la hauteur du général. Elle saisit les mains de Méléagre sur lesquelles elle déposa un baiser sans quitter son regard. Sa générosité transparaissait par les ports de sa peau. Elle aurait voulu tout donner pour Méléagre. Pas seulement parce qu'il avait été le premier à poser un regard différent sur elle mais surtout parce qu'il le méritait.


Il dévora la bouche de la jeune femme, la forçant à s'allonger sur le lit. Alors que sa main glissa le long du ventre de Néoméris, cette dernière se détacha :


— As-tu déjà aimé ?


— Tu poses beaucoup de questions. Rit-il un peu gêné. Je vais commencer à regretter le temps où tu n'osais pas ouvrir la bouche.


— Moi, je ne connais rien aux hommes. J'ignore ce que veulent dire tes regards et si je peux croire tes mots.


— Oui. J'ai aimé plus d'une d'entre vous.


Cette révélation rassura Néoméris. Pour la première fois dans sa vie, elle était une femme noyée parmi les autres. Elle se jeta sur le général, répondant avec ardeur à ses baisers. Leurs corps fondaient sous la chaleur l'un de l'autre. Néoméris s'abandonna. Elle avait du mal à penser qu'elle était la même jeune femme qu'au début de l'invasion. La jeune vierge qui restait cachée entre les criques de son île natale devenue l'amante d'un chef de guerre.


Qu'est-ce qu'il y avait bien pu se passer pour qu'elle ne frissonât plus face à la virilité du général et qu'elle apprécie ses coups de rein ? Pour qu'elle enfonce ses ongles dans ses épaules musclés, qu'elle enroule ses jambes autour du bassin, qu'elle lui fasse confiance au point de garder les yeux fermés en sa présence ? Dans la vague de plaisir qui la submergea, elle ressentit comme une aiguille qui s'enfonça dans son cœur. Un hoquet la parcourut.


Soudain, elle ne vit plus Méléagre et la cale. Son regard se remplit d'eau. Le bleu des mers l'entoura. Elle fut immergée mais pas noyée. Bientôt, sa vue devint plus nette. Elle distingua des algues qui voguaient, des poissons qui nageaient et des corps qui sombraient. Le visage de ses hommes était défiguré par l'horreur. Il y en eut d'abord un, puis deux, puis trois. Et bientôt, les corps ensanglantés des guerriers peuplèrent la mer.


Néoméris revint à elle aussi vite qu'elle avait sombré dans les abymes. Au-dessus d'elle, Méléagre luisant de sueur la dévisageait. Il caressa sa joue et se pencha sur ses lèvres :


— Que s'est-il passé ? D'un coup, tu n'étais plus là. Chuchota-t-il dans le cœur de son oreille.


— Je...


Une voix depuis le pont du navire la coupa :


— Sparte en vue ! Sparte est tombée !

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