silver Aristas Neireides Chant XXIII : D'une cité 1

Chant XXIII : D'une cité 1

Mycènes la fière trônait sur sa colline. Les flans verdoyants réhaussaient la splendeur des pierres coupant le ciel bleu. On aurait dit que les dieux l'avaient débarrassé de ses nuages pour mieux voir l'affrontement. A cette pensée, Néoméris frémit. Le regard déformé par la victoire d'Aphrodite lui apparut. Elle était la déesse protectrice des Troyens.


Mais, Mycènes était invincible. C'était le royaume du roi Agamemnon. Si Aphrodite tenait les Troyens dans son cœur, Héra, déesse des déesses, protégeait la cité riche et puissante. C'était du moins les rumeurs qui arrivaient jusqu'aux oreilles des Naxiens :


— Nous sommes arrivés trop tard.


Aux murs de la cité, des étendards flottaient. Le fond était d'un bleu éclatant, une couleur que l'on imaginait sur un grand guerrier, alors qu'un casque avait été tissé au centre. Ce n'était ni les couleurs, ni les attributs que l'on accordait en tant normal à la cité. Mais, Néoméris reconnut le symbole qui avait orné les bateaux qui avaient envahi Naxos. Il était clair que Troie voulait montrer une nouvelle image. Il lavait leur défaite passée pour montrer les dents.


Méléagre traversa le pont. Son pas saccadé marqua chaque planche du navire. Il regardait devant lui et en même temps il ne voyait rien. Néoméris n'osa pas le rejoindre même si elle en mourrait d'envie. Le général ne se cachait pas pour l'embrasser ou glisser un bras autour de sa taille quand il passait près d'elle. Mais, elle savait distinguer l'homme et le général. Il se planta au centre de son équipage. Les soldats retinrent leur souffle :


— Inutile de vous dire ce qui est arrivé à Mycènes. Il ne sert à rien de foncer dans la Cité. Nous ignorons combien de Troyens sont retranchés derrière les murailles. Ils sont peut-être moins que nous mais ce n'est sûrement pas le cas. Nous sommes trop peu nombreux pour simplement charger. Alors, nous allons descendre jusqu'à Sparte qui sont également nos alliés.


Les Naxiens n'étaient pas des soldats. La plupart des hommes dans le navire avaient été pêcheurs avant de prendre les armes. Si la mer était leur épouse, rien ne leur était plus repoussant que la guerre. Ils ne tentèrent donc pas de s'opposer à leur général.


Cependant, derrière le gouvernail, Néoméris saisit plusieurs regards noirs lancés dans sa direction. Même la présence de Méléagre ne pouvait retirer sa mauvaise réputation. Une fois de plus, les soldats pensèrent que l'enfant maudite de Naxos avait abattu son courroux sur leur armée et maudit les otages. Aucun ne songea que la mère de Néoméris en faisait partie :


— Ne les écoute pas.


Cléandros s'était approché. Son tablier était tâché de vomissures et de pus secs. Sur le bateau, son travail consistait à s'occuper de ceux qui avaient le mal de mer mais parmi les Naxiens, on voyait peu de ce phénomène. Il s'adossa au bastingage, le regard fixé sur l'horizon :


— Ils doivent se rattacher à quelque chose pour penser qu'ils gagneront. Rien n'est mieux que de faire reposer la faute sur une femme.


— Pourquoi tu n'y crois pas toi ?


— As-tu entendu parler du sacrifice qui nous fit gagner la guerre de Troie ? Avant même qu'une quelconque prophétie ne s'abatte sur nos armées, le roi Agamemnon sacrifia sa fille, Iphigénie. Les rois pensèrent que donner une femme vierge aux dieux les calmeraient, cela rendit folle Artémis, la déesse protectrice de l'enfant. Elle laissa son frère abattre sa colère. Mon père m'a raconté les pleurs et les cris de l'enfant. Parfois quand je ferme les yeux pour dormir, j'ai l'impression qu'elle m'appelle. Elle m'implore de la sauver. Mais, je suis né après sa mort et je ne peux rien pour elle.


— Est-ce la raison pour laquelle vous êtes médecin ?


— Mon père avait été médecin et son père même avant lui. Cependant, je ne pensais pas pouvoir embrasser cette voie. Je le voyais résister aux nuits de sommeil pour accoucher une pauvresse qui n'aurait pas de quoi nous payer, accepter de s'arrêter alors qu'il profitait d'une balade pour soigner les escarts d'un vieil homme, ne jamais en vouloir au roi malgré les hommes qui revenaient en lambeau de la guerre. Je ne me pensais pas capable de jeter sur le monde le regard qu'il portait. Et puis, il m'a parlé d'Iphigénie. Elle fut sa première patiente car il dut recueillir son sang et panser ses plaies avant qu'on ne lui fasse les derniers sacrifices. Elle me hanta chaque jour après que j'appris son histoire et alors, je compris que j'étais fait de la même trempe que les hommes de ma famille.


Les paroles du médecin atteignirent Néoméris en pleine poitrine. Elle n'avait jamais pensé à la répercussion des enfants protégés des dieux sur les autres. Achille avait rendu son pays prospère, Iphigénie avait permis de guider les prêtres et les médecins, elle-même protégeait les marins de Naxos du courroux d'Amphitrite. Cleandros avait raison de les considérer comme une bénédiction.


Sur le pont, Méléagre donnait ses ordres. Il parlait avec le menton haut mais baissait la tête lorsqu'un homme s'adressait à lui. On reconnaissait en lui la même sagesse qui avait fait la réputation des grands chefs de guerre. Ils n'étaient pas de ces nobles qui avaient été éduqués pour régner et qui jouait au général. Méléagre avait gagné son statut au prix de son travail et des parties de son corps escamotées. C'était dans ces situations qu'il révélait sa vraie valeur.


Son regard se porta sur l'arrière du navire. Néoméris et Cleandros se tenaient prêts bien qu'on ne les appelât pas. Ils étaient ceux dont le front était le plus barré par le soucis. Les seuls à prendre conscience de ce que signifiait la chute de Mycènes. Le général gravit les marches qui les séparer. Il ignora le médecin, qui se redressa à sa vue, et se dirigea vers la demi-mortelle. Il avait passé deux nuits à ses côtés. C'était peu et pourtant, il avait cette sensation de tout connaître d'elle.

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