silver Aristas Neireides Chant XXI D'un sortilège 1

Chant XXI D'un sortilège 1

Les journées de Circé se partageaient entre ses flâneries desquelles découlaient ses soirées et ses repas. On ignorait si elle s'y adonnait avec autant d'effusions lorsqu'elle était seule. Très certainement pas. Mais, pour Néoméris, elle faisait toujours apprêter sa table des plus beaux et gouteux plats. Elle lui offrait un vrai siège digne d'un roi et l'approchait de l'âtre pour qu'elle ne prenne pas froid. Elle était si maternelle et douce que la jeune femme avait honte de sa propre défiance. Elle garda le silence, s'empêchant de boire le vin de table malgré la soif qui asséchait sa gorge.


De l'autre côté, Circé jouait avec ses singes. Ils s'approchèrent d'elle avec des yeux brillants. Elle leur lança des morceaux de fruits et de pain aux grains qu'ils se disputaient. Certains se mordaient, d'autres se griffaient. Ils n'y avaient plus de cette lueur humaine que Néoméris avait vu ce matin quand ils avaient eu peur. Comme une mère qui regardait ses enfants turbulents, Circé les observait avec un sourire en coin buvant quelques gouttes de son vin. Ses lèvres trempèrent dans sa coupe vide. Elle regarda le fond avec une moue déçue.


Ses yeux se portèrent vers Néoméris. Quand bien même son verre était toujours rempli à ras-bord de vin, elle n'y plongeait jamais les lèvres. Quand bien même Circé soupoudrait ses plats de sel, n'apportait que des mets secs, la jeune femme ne se laissait jamais avoir. Malgré sa bouche plus aride qu'un désert, elle garda le port haut et le regard droit osant même faire tinter le fer du gobelet du bout de son ongle.


La moly soigneusement cachée dans sa robe lui prodiguait l'arrogance du dieu qui la lui avait donnée. Elle en oubliait presque la personne à qui elle faisait face. Circé perçut ce trop plein de puissance. Son menton se leva alors que son regard se figea. Néoméris sentit des sueurs froides couler le long de son dos. Si la sorcière immortelle abattait ses pouvoirs, elle ne pourrait pas se relever :


— Vous ne buvez pas ?


Inutile de faire preuve de subtilité pour Circé. C'était elle, la reine de ces lieux. En tant que son hôte, Néoméris devait la respecter. Elle approcha sa main du gobelet. Des doigts longs et tremblants qui tirèrent un sourire sardonique à la reine sorcière. Cela ne servait plus de jouer la carte des non-dits.


Elles étaient deux femmes, l'une face à l'autre. Bien que chacun assise à un bout de la même table, le rapport de force n'annonçait qu'une seule issue. Une douce chaleur se répandit sur la cuisse de Néoméris. C'était la moly. La plante semblait doter de sa propre conscience car la demi-mortelle fut bercé par un sentiment d'apaisement.


Circé leva un doigt. Long, fin, aussi lisse que la cire. Elle détruisit alors le sentiment que la moly était parvenue à créer :


— Fais-moi plaisir. Une seule gorgée.


Une lourdeur tomba sur Néoméris. Elle sentit ses pieds s'ancrer au sol comme s'ils étaient devenus du marbre. Sa cage thoracique se leva avec difficulté. Et, ses paupières voulaient se refermer. C'était un sort. Malgré le flou qui s'abattit dans son crâne, Néoméris pouvait parfaitement comprendre qu'il provenait des effluves des cierges qui parsemaient la table.


Son esprit brisé, elle tendit la main vers son gobelet. Le breuvage lui sembla épais et sombre. En le portant à son visage, elle remarqua des parfums métalliques qui irritèrent ses narines. Qu'était-ce ? Au moment où elle bascula le récipient au bord de ses lèvres, un cri strident la fit lâcher le gobelet.


Les deux créatures tournèrent leurs regards vers les fenêtres qui tombaient sur la forêt. Les singes hurlaient à la lune. Soudain, une petite forme se détacha des feuillages noirs. Comme une étoile dorée tombée du ciel, elle surgit dans la salle du banquet. Néoméris eut à peine le temps de voir la petite main noire saisir son gobelet et le projeter contre le mur. Le liquide forma une tâche sombre sur le mur comme si à la place du gobelet, c'était un crâne qui avait explosé. Néoméris ne put s'empêcher de frémir.


Circé réagit sans attendre. Elle se jeta sur ses jambes. D'un geste leste, elle défit la ceinture qui serrait sa taille. Elle était faite d'un épais bandeau en cuir terminé par un boucle ovale en bronze. C'était une création sans âge ni lieu comme en portent les rois et les reines. La reine sorcière leva la ceinture. Le tissu claqua.


Le singe doré eut à peine le temps de réaliser ce qu'il se passait. La boucle l'atteignit à la tête. Du sang rouge jaillit de son arcade sourcilière. Il émit un cri aigue alors que son petit corps fut projeté à travers la pièce. A peine eut-il le temps de se relever que Circé apparut face à lui. Son visage n'était que colère. Elle leva encore la ceinture au-dessus de son visage.


Mais, alors qu'elle voulut abattre le vêtement, une étincelle jaillit à son bout. En un battement de cils, le feu se répandit jusqu'à atteindre de la reine sorcière. Circé lâcha la ceinture dont la boucle fondue aspergea le sol. Elle était immortelle, elle ne pouvait pas être blessée.


Et pourtant, la pulpe de ses doigts rosissaient, la douleur tirait son visage et la peur se lisait dans ses yeux. Cela ne pouvait être l'œuvre que d'un dieu supérieur. Alors qu'elle fit volteface à la recherche d'un onguent, une lame scintillante rencontra sa gorge. Une estafilade marqua sa peau mais elle fut moins douloureuse que le regard de Néoméris qui tenait l'arme.


Son corps de jeune femme tremblait. Elle savait comment aboutira ce geste. Elle était peut-être une enfant d'un dieu, elle restait une mortelle qui menaçait une immortelle. Elle l'avait même blessée. Mais, c'était la faute de Circé. Néoméris voulait juste la tenir en joug et la reine sorcière avait reculé trop vite. Elle ne pouvait pas voir ce que dévisageait Circé.


Les flammes des bougies dansaient comme en proie à une transe. L'iris des yeux de la jeune femme s'était teint de dorée. Malgré elle, l'ombre d'un sourire naquit sur les lèvres de la reine sorcière. Dès que Néoméris avait posé un pied sur son île, elle avait compris qu'elle n'était pas une simple humaine. Les enfants des dieux surpassaient toujours les autres. Ils étaient plus beaux, plus forts, plus intelligents, plus désirables mais certains dépassaient même ces talents. Comme Achille ou Hercule. Circé en avait la conviction : Néoméris était de cette trempe.

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