Fyctia

La reine esquissa un geste dans sa direction, la main légèrement tendue. Néoméris recula d'un pas. Une erreur. Le sourire de Circé s'accentua :

— Tu as peur mais ne t'inquiète pas. Je ne te ferai aucun mal.

Néoméris observa le sang doré qui coulait de la plaie déjà refermée de la sorcière. Elle secoua la tête, légèrement. Sa tête lui hurlait d'arrêter alors que son corps refusait de lui obéir :

— Je veux que vous le jurez. Ordonna-t-elle la voix tremblante.

— Bien, je te jure...

— Non ! Ne jurez pas sur moi. Je veux entendre le serment des grands dieux que vous ne nous attaquerez pas et que vous retrouverez les soldats qui m'accompagnaient !

Le sourire de Circé s'effaça. Elle retint le rictus nerveux qui voulait plisser son nez. Aucun serment n'importait plus que celui que l'on formait aux grands dieux. C'était une promesse inviolable. Si seulement il n'y avait que ça. Les grands dieux avaient chassé Circé du ciel. Ils l'avaient enfermée sur cette île ridicule, en proie aux marins violents et à la nature sauvage. Jamais la reine sorcière n'avait fait un tellement serment. Elle refusait de donner aux Olympiens la chance d'être garant de son honnêteté. Son regard tomba sur la ceinture. Le bronze s'était incrusté dans le sol. Elle avait été réduite en cendres :

— Bien. Je jure sur le serment des grands dieux que je ne te ferai pas de mal, ni à toi, ni aux marins avec qui tu voyageais et qu'ils retrouveront leur forme humaine.

Néoméris sentit la volupté des dieux l'entourer. C'était comme un souffle doré qui lui soulevait le cœur. Mais, ce n'était rien en comparaison du singe doré. Ses os craquèrent, ses poils chutèrent, ses dents rétrécirent, sa peau s'éclaircit. Il se tordit de douleur glissant sur le sol. Des râles de souffrance sortaient de ses lèvres passant de l'aiguë aux graves à mesure qu'il grandissait.

Méléagre apparut. Une balafre rouge marquait son front. Son regard hagard se balada sur les pieds des deux femmes face à lui jusqu'à leurs visages. Circé le dévisagea de la même façon qu'elle l'avait fait lorsqu'il était venu demander l'asile. Comme s'il n'était qu'un macaque qu'elle balayerait d'une main.

A la différence, Néoméris ne semblait pas croire en sa présence. Elle n'avait visiblement pas compris que ce singe qui cherchait à la protéger n'était d'autre que son général. Aucun regard de Méléagre n'aurait pu traduire son regret de ne pas l'avoir écouté. Il tenta de se redresser mais une douleur cingla l'arrière de son crâne. Néoméris se pencha vers lui.

Elle dégageait une douce chaleur réconfortante. On ne savait pas au juste pourquoi précisément elle tendait à moitié sa main vers le général de guerre. Mais en voyant sa paume blanche, sa tête fut naturellement attirée. Il logea son visage dans la main de la jeune femme. Malgré la surprise, Néoméris ne bougea pas laissant le général profiter du contact en fermant les yeux. Elle ne le reconnut pas.

Ce chef de guerre, qui dirigeait des troupes armées jusqu'aux dents, ne pouvait pas être réduit à cet homme doux au creux de sa main. Il leva ses yeux fiévreux vers elle. Néoméris ne connaissait rien des unions. Elle savait que les hommes et les femmes s'unissaient pour faire des enfants. Elle avait déjà vu des jeunes filles s'éclipser dans les falaises de Naxos pour échanger des baisers. Des hommes en faire de même dans les bois. Certains étaient mariés à d'autres mais elle ne savait pas vraiment ce que ces infidélités voulaient dire.

Cela aurait dû être à la charge d'Anatola mais jamais sa mère ne lui avait touché un mot sur le sujet. Peut-être pensait-elle que sa fille maudite ne connaîtrait jamais les douceurs de l'amour. Pourtant, Néoméris trouva le chemin de Méléagre. Une seconde peut durer un millier d'années. Jamais ils n'avaient pensé que l'éternité se trouvait sur les lèvres de quelqu'un d'autres. C'était un volcan qui explosait. Pourtant si Néoméris en était à son premier baiser, ce n'était pas le cas du général. Il avait connu des femmes depuis qu'il était en âge de les regarder mais jamais il n'avait eu cet impression que son cœur pouvait exploser s'il restait plus longtemps accroché à l'une d'elle.

Il se détacha lentement. Ses mains enserraient les bras de Néoméris comme s'il craignait qu'elle ne s'échappe aux enfers. Le trouble se lisait sur le visage de la jeune femme. Elle n'était pas capable d'expliquer ce qu'il venait de se passer mais elle ne pouvait pas non plus dire que cela avait été désagréable. Au contraire même, elle aurait aimé se blottir dans les bras du général. Alors qu'elle hésitait, la voix coupante de Circé la tira de ses pensées :

— A présent, enfant d'Héphaïstos, j'ai le devoir de me comporter en hôte pour toi. Passe cette nuit chez moi. Vous aussi général, je vais vous préparer une chambre.

Néoméris se retint de rétorquer que la reine sorcière aurait dû agir ainsi dès le début. La demi-mortelle se redressa pour lui faire face. Si Circé n'avait pas perdu sa superbe, la défaite ternissait son regard :

— Vous avez transformé Méléagre mais rien ne me dis que vous en avez fait de même pour nos compagnons. Tant que nous ne les aurons revus, je ne répondrai pas à votre invitation.

Un frisson parcourut la jeune femme alors que les yeux de Circé se plissèrent. On aurait dit une lionne prête à sauter sur l'antilope qui ose lui tenir tête. Pourtant, ce fut un rire tonitruant qui fit bondir la poitrine de la reine. Elle balança ses cheveux en arrière avant de se tourner et de se diriger vers l'entrée principale.

Sur le chemin qui descendait vers la forêt, des hommes remontaient le sentier. Leurs cuirasses brillaient sous la lune. Leurs rires contrastaient avec leurs visages tordus par la fureur. Certains portaient vers le ciel des torches enflammées. Ils voulaient s'en prendre à la reine sorcière.