silver Aristas Neireides Chant XX De Néoméris 1

Chant XX De Néoméris 1

La robe de la demi-mortelle s'enroula entre ses mollets formant une nouvelle peau qui voulait l'emporter dans les flots. Le froid rendit sa peau grise, ses lèvres tremblantes. Elle entrouvrit la bouche devant la femme qui lui faisait face. Sa peau claire, ses yeux sombres, sa taille d'homme. Sa beauté était aussi glaçante que l'eau des abysses. C'était une divinité. Ses longs cheveux d'algues ne donnèrent aucun doute sur son identité. Fille du vieux Nérée et de l'océanide Doris. C'était une nymphe des mers, une néréides. Celle de qui la jeune femme tenait son nom : Néoméris.


Les mortels qui nommaient leurs enfants selon les immortels n'étaient pas rares. Parmi toutes les divinités de la mer, jamais Néoméris n'avait demandé à sa mère pourquoi avait-elle choisi cette néréide. Peut-être tout simplement qu'elle trouvait les sonorités qui composaient son nom belles :


— C'est Amphitrite qui m'envoie.


La voix éraillée de la néréide ressemblait à celle d'un homme. Avec ses yeux noirs, elle fit frissonner la jeune femme. Cette dernière hocha docilement la tête, attendant la suite. Voyant qu'elle avait son attention, et se délectant de cet état, l'ombre d'un sourire se dessina sur le visage de la néréide :


— Tu es en danger, jeune fille.


Pour une immortelle, Néoméris était toujours jeune. Pourquoi d'ailleurs la néréide ne prononçait pas son nom ? Elle était trop jalouse. Il ne pouvait y avoir qu'une seule Néoméris et elle refusait d'être en concurrence avec une mortelle. Son regard de déesse se posait sans cesse sur la cicatrice de la jeune femme comme pour lui rappeler son statut :


— Tu es chez Circé. Annonça-t-elle.


Un frisson parcourut Néoméris. Elle connaissait la réputation de cette femme mais ce n'était pas de la crainte qui la faisait frémir. L'histoire de Circé se racontait d'île en île. Jamais Néoméris ne perdait une miette des chants à son sujet. Car cette triste sorcière recluse sur son île lui ressemblait. L'une était paria des dieux, l'autre des hommes. La néréide continua sans s'arrêter sur elle :


— La sorcière, qui hait les humains, a transformé en porc tous les voyageurs venus jusqu'à elle et a séduit des grands princes qui ne le voulaient pas, comme Ulysse que tu connais déjà. Elle est perfide, cruelle et autoritaire. Tu ne dois pas t'éloigner des berges car Amphitrite est sommée de te protéger et elle ne le peut plus si tu t'éloignes de son domaine.


— Je cherchais les miens. Répondit Néoméris. Loin de moi l'envie de me diriger dans la gueule de la lionne mais, je ne peux repartir seule.


— Tu le peux. Monte sur ce bateau et Amphitrite te guidera à Ithaque.


Et que deviendrait-elle à rentrer sans armée, les vêtements en guenille ? Les rumeurs des mortels iraient plus forts encore. Elle serait définitivement une sorcière. Celle qui a décimé ce qu'il restait de l'armée de Naxos. Peut-être même que l'on penserait qu'elle est une alliée des Troyens et qu'elle avait eu connaissance de la tempête. Même Ulysse et Pénélope ne pourraient pas la protéger de telles rumeurs. Elle secoua la tête balayant la proposition de la néréide. Alors, sa voix claqua comme un fouet :


— Tu refuses l'aide d'une déesse ?


Néoméris se jeta à genoux. L'eau lui arriva au cou. Des gouttes salées perlèrent sur ses lèvres. La colère de la nymphe fit grossir les flots. Pour autant, la jeune femme ne se redressa pas :


— Je vous en conjure : je ne veux pas insulter ma déesse. Mais, je ne peux repartir sans ces hommes. Ils m'ont sauvées la vie lorsque nous nous sommes enfuis de Naxos. Si, comme vous le dites, ils ont été transformés en cochon, alors je dois les libérer.


Les lèvres de la néréide se retroussèrent présentant des dents de requin. Son rire fusa comme les vagues qui s'échouèrent sur les rochers. Elle mit une main pour cacher sa bouche. Puis, son rire s'évanouit aussi vite qu'il était arrivé. Elle regarda maintenant la jeune femme avec dédain :


— Soit. Si tu te crois assez maligne pour t'en prendre à une immortelle, je ne te retiendrai pas. Mais, tu es déjà morte en ce cas. Encore une chose : n'acceptes plus de son vin.


Néoméris pinça des lèvres. Peut-être était-ce le chemin que les Parques lui avaient réservé. Elle ne pouvait pas le dire, ni même la néréide face à elle. Mortels et immortels ignoraient tout de ce que ces femmes décidaient. La néréide se redressa et passa le mur d'eau qui s'évanouit sur son passage.


Alors, la jeune femme sentit l'abattement et la fatigue sur ses épaules. Elle se jeta sur la plage, ignorant le sable qui lui colla au visage. Elle resta quelques instants, peut-être des heures, dans cette position. Ne sachant pas ce qu'elle attendait exactement. Un signe des dieux ? Il était venu et n'était pas de bonne augure.

Tu as aimé ce chapitre ?

0

0

0 commentaire

Vous êtes hors connexion. Certaines actions sont désactivées.

Cookies

Nous utilisons des cookies d’origine et des cookies tiers. Ces cookies sont destinés à vous offrir une navigation optimisée sur ce site web et de nous donner un aperçu de son utilisation, en vue de l’amélioration des services que nous offrons. En poursuivant votre navigation, nous considérons que vous acceptez l’usage des cookies.