Fyctia
Chant XIX D'une aube sombre 2
Un vent glacial se répandit en Néoméris. Le piège se refermait. Chaque seconde qu'elle passait sur cette île la rendait encore plus prisonnière. Elle ne pouvait plus compter sur les marins qui avaient disparu. Et alors, comment repartir ? Son regard se posa sur l'épave gisant sur la plage. Elle ne savait pas manœuvrer un tel édifice. Mais, peut-être qu'elle n'en avait pas besoin. La mer pouvait la guider sans qu'elle n'intervienne. Depuis des années, elle priait avec sa mère la déesse des eaux Amphitrite. Elle pouvait lui demander en remerciement que cette dernière oriente les flots pour la faire revenir à Ithaque. Mais, c'était aussi aussi cette même mer qui les avait perdus.
Elle se leva. Si vite que la chaise bascula. Maintenant qu'elle avait récupéré son poignard, elle se sentait plus forte. C'était ridicule. Si son hôtesse dominait des hordes de singes, réalimentait son palais d'un claquement de doigt, une simple dague ne pouvait rien contre elle. Néoméris était tout de même revigorer. Mais, alors qu'elle rentra dans le palais, elle trouva sa jarre. Celle-ci était retournée gisant sur le sol. Le bouchon était rejeté plus loin. Une marre d'eau salée débordait autour de l'ustensile. Elle récupéra sa jarre et se décida à la remplir en même temps qu'elle cherchera les marins.
Elle contourna l'édifice jusqu'à la recherche de l'entrée qu'elle avait prise la veille. Cette dernière était introuvable. Elle ignorait si c'était à cause de la taille démesurée du palais ou de la magie de sa châtelaine. Mais, le mur restait vierge de porte. Alors, elle observa les environs. La forêt était si dense qu'aucun sentier ne se dessinait. Et Néoméris ne savait pas se diriger dans cet élément. Pourtant, elle fit un pas en avant. Elle se dit qu'il lui suffisait de marcher tout droit pour trouver son chemin. L'île n'était pas bien grande. Elle l'avait dans le palais : la plage en contre-bas en faisait le tour.
Qu'importe où elle apparaissait, elle retrouvera son élément. Ses pieds atteignirent à peine le banc de sable qu'un sourire se dessina sur son visage. Elle était peut-être la fille du dieux des volcans, son élément était l'eau. Elle ferma les yeux. L'odeur iodée parcourut ses narines. La brise souffleta sur ses cheveux. Elle sentait contre ses mollets les vagues affluer bien qu'elles étaient encore loin. Elle s'approcha du bord gouttant chaque pas. Le sol meuble était tellement plus agréable que celui ferme de la terre. C'était comme si le sol épousait la plante de ses pieds pour lui faire une place. Transportée par cette redécouverte, Néoméris prit le chemin vers le bateau. Elle ignorait si elle était proche ou si elle s'éloignait. La ballade lui fit oublié le but de ce trajet.
Ce n'était pas la magie de la châtelaine mais bien la mer qui la guida. Elle oublia qu'elle était prisonnière d'une île ensorcelée. Elle attendit de trouver un coin de mer propre pour s'accroupir et remplir sa jarre. Sa robe imbibée d'eau ne la gênait pas. Elle retrouva avec plaisir la sensation collante du tissu contre sa peau et le sel qui la parfumait. Elle observa le flot tranquille des vagues. Elle n'avait pas l'habitude de prendre la mer. Amphitrite avait fait en sorte que les eaux près de leur cabanon étaient poissonneuses. Ni Néoméris, ni Anatola n'avait eu besoin de prendre un bateau pour aller pêcher au loin. Bien qu'elles savaient manœuvrer les plus petits d'entre eux. Malgré l'émotion qui avait guidé chacun de ses voyages, Néoméris aimait le balancier de la coque. Elle aimait l'infini qui se développait sous ses yeux. Elle aimait ne voir que du bleu autour d'elle. Et, il lui tardait de reprendre la mer.
Un cri déchira la matinée. Sans peur, elle se redressa en prenant soin de reboucher sa jarre. Elle ne craignait plus les bêtes. Elle devina qu'elles étaient manipulées par la châtelaine et que, tant qu'elle ne montrait pas trop son envie de partir, ils ne s'en prendraient pas à elle. Elle continua alors à longer la plage. Les hurlements étaient de plus en plus fréquents. Elle reconnut le cri aigu des singes qui l'avaient chassée. Elle n'en prit pas peur pour autant. La châtelaine ne leur demandait plus de la terroriser.
Mais lorsqu'elle vit la carcasse du navire, elle laissa tomber sa jarre au sol et s'y précipita. Au milieu des planches sombres, les singes avaient envahi le bateau. Ils orientaient la barre, embarquaient les caisses, levaient la voile. Ils agissaient comme de petits mortels qui s'apprêtaient à embarquer. Néoméris fondit sur eux. Elle pensa que ce simple mouvement suffirait à les faire déguerpir. Mais, ils ne lui jetèrent pas un seul regard continuant leur tâche comme si leurs vies en dépendaient. C'était la première fois que Néoméris les vit aussi... humains. Ils lançaient des regards effrayés en direction de la forêt et du palais, semblant fuir quelque chose.
Pendant que Néoméris les regardait faire, le temps s'obscurcit. Les nuages tonnèrent puis les gouttes se répandirent sur l'île. Le sable prit des teintes sombres. Les vagues s'érigèrent. Leurs ombres grises avalèrent avant les flots la berge. Malgré l'agitation, les singes ne cessèrent pas leurs occupations. Ils ne ressemblaient pas à des marionnettes sans âme mais des êtres traversés par un seul but. Une ombre se hissa parmi les vagues. Une silhouette se dessina. Elle n'émit aucun son. Et pourtant, Néoméris entendit sa voix dans sa tête qui lui indiquait de venir à elle. Malgré les hurlements paniqués du singe doré, elle s'engouffra en travers de la vague pour rejoindre la silhouette.
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