silver Aristas Neireides Chant XIX D'une aube sombre 1

Chant XIX D'une aube sombre 1

Il y avait des côtés agréables à cette île. Par exemple, ce bassin à l'arrière où la statue en granit blanc d'une lionne fixait la table installée face à elle. C'était une facture de fer forgé avec les chaises assortis. Un coussin en lin blanc avait été glissé sous le derrière de l'hôtesse tandis que Néoméris devait supporter l'assise dure. Sur la table, elle regardait avec envie les dattes, le miel, l'infusion, le pain de seigle. Dans son ventre, le raisin de la veille et le fruit de ce matin peinait à tasser la faim. Mais, elle ne voulait pas manger de cette nourriture magique. Tandis que son hôtesse buvait du lait épais, à l'odeur sucrée, Néoméris observa les environs.


La jungle qui se développait devant elle n'était pas si différente de la forêt de Naxos. Elles étaient au sommet du mont qui surplombait l'île. La vue en plongée lui serra le cœur. La plage de sable fin les entourait. La navire était pleinement visible. La marée s'était retirée laissant le sable mouillé autour de lui. Comme si elle aussi les avait abandonnés. Personne ne s'en était approché. Même si elle était loin, Néoméris aurait vu les silhouettes se dessiner :


— Tu cherches quelque chose ? Demanda l'hôtesse.


— Les marins avec qui je suis venue...


— Trésor, la coupa-t-elle, je me demande si tu as toute ta tête. Je suis seule sur cette île depuis des siècles et je n'ai vu personne depuis... une vingtaine d'années. Tu es ma première visite et je suis si contente. Mais, tu sembles obsédée par ces hommes qui t'accompagnaient et qui t'ont abandonnées.


Néoméris la dévisagea. Choquée par ces mots, elle ne vit pas les singes qui avaient osé sortir de la forêt. Ils se rassemblèrent autour du bassin observant avec avidité la scène qui se déroulait sous leurs yeux. Néoméris secoua la tête :


— Non. Assomma-t-elle. Méléagre n'aurait pas abandonné.


L'hôtesse partit d'un rire tonitruant. Elle rejeta la tête en arrière. La courbe de sa nuque était si arquée qu'on aurait dit que ses os allaient s'effondrer sous le choc. Mais, elle se redressa. Ses cheveux de jais éparpillés autour de son visage. Elle posa la main sur celle de Néoméris avec un sourire conciliant. Le sourire d'une tante qui ne veut pas dire la vérité mais qui ne peut pas masquer le fond de sa pensée :


— Un général n'a que faire d'une fillette dans ton genre.


— Comment le savez-vous ?


— Quoi ?


— Comment savez-vous que Méléagre est général ? Je ne l'ai jamais dit.


Le sourire se fana. L'hôtesse remonta sa main jusqu'au visage de Néoméris. Où sa peau passait, elle électrisa la jeune femme. Mais, lorsqu'elle voulut atteindre sa cicatrice, elle retira vivement sa main. Néoméris eut tout juste de voir sa paume abîmée, parcourue de cloques et sa peau rougie qui tombait déjà en lambeau. Mais, l'hôtesse s'empressa de la soustraire à sa vue en l'enroulant dans sa cape. Elle lui lança un regard noir :


— Trésor, tu t'es fait berner. Mais ne t'en fais pas car moi aussi. Par deux fois, des mortels sont venus sur mon île et mon ravie ma dignité. Je les ai aimés, loués. Ils ont prospéré sur mon île qui leur donnait tout. Et, ils sont partis. Ils m'ont abandonnée.


— Ils sont retournés chez eux. Rectifia Néoméris. Les mortels ne sont pas comme les immortelles. Notre vie est comptée. Nous pouvons parcourir des milliers de lieues, nous ne serons chez nous qu'à l'endroit où nous sommes nés et nous ne désirons pas en partir. Il n'y a rien qui compte plus... pas même une femme.


— Tu as certainement raison mais ces hommes ont agi comme les immortelles : ils ont pris ce qu'ils voulaient et m'ont laissée.


— Est-ce une raison pour vous venger sur les autres mortels ?


La discussion s'arrêta là. L'hôtesse se redressa avec la même vitalité que la veille. Si elle souriait, ses yeux noirs envoyaient des éclairs. Avant qu'elle ne puisse répondre, la terre vibra. La secousse, furtive, renversa le contenu de la table. Les macaques s'enfuirent avec des cris aigus. Et la femme regarda ses pieds. Pour la première fois, Néoméris la vit désarçonnée. Elle-même ne se sentait pas à l'aise. Derrière ce tremblement de terre, elle savait que c'était son père. Le dieu des volcans la menaçait. Elle toisa un instant la jeune femme avant de décréter :


— Je n'ai pas vu tes marins. Peut-être se sont-ils perdus sur mon île. Ils ne seraient pas les premiers. Ou bien...


— Ou bien ? Insista Néoméris.


— Ou bien, peut-être les as-tu inventés.


C'était fois, ce fut la demie-mortelle de partir dans un éclat de rire. Elle s'arrêta cependant en voyant que son hôtesse ne la suivait pas :


— Tu n'as pas l'air au courant des choses que peut produire ta race.


— Je n'ai pas hérité des pouvoirs de mon père et j'ai grandi aussi vite qu'une mortelle.


— Si tu le penses ainsi.


Elle quitta la table. Néoméris resta un moment à observer la place qu'elle avait laissé vide. Elle devait avouer que cette femme ne l'avait pas à la mauvaise. Sinon, elle aurait eu mille occasions de s'en prendre à elle. Mais, elle ne désirait pas non plus qu'elle quittât sa compagnie. Et cela, la jeune femme ne pouvait pas le concevoir. Sa vie, elle ignorait ce qu'elle était mais elle savait qu'elle n'était pas sur cette île.


Elle remarqua alors qu'un des singes n'était pas parti. Du coin de l'œil, elle reconnut la démarche chaloupée qui s'approchait craintivement d'elle. Elle ne fut pas surprise de découvrir le singe blond. La veille, elle l'avait vu dans les jupes de la femme avant qu'il ne fut chassé. Elle ignorait donc si elle pouvait lui faire confiance mais, il l'avait nourrie cette nuit. Et puis, il tenait entre ses pattes sa dague qu'il lui tendit. Néoméris se pencha. En guise de remerciement, elle lui caressa le sommet du crâne ce qu'il accueillit avec un rire discret. Et puis, il leva la tête vers le ciel. Son regard terrorisé s'arrêta un instant. Il poussa un couinement avant de s'enfuir. Lorsque Néoméris redressa la tête, elle vit son hôtesse qui les regardait tous les deux une fenêtre. Ses yeux plissés l'épiaient. Le regard de l'hôtesse était encore plus noir avec cette hauteur. Néoméris ne reprit son souffle que lorsqu'elle quitta son poste d'observatoire.

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