Fyctia
Chant XVIII D'une reine 2
Elle fut conduite au premier étage, au bout d'un long couloir où il n'y avait qu'une porte. L'hôtesse la garda ouverte tandis que la jeune femme pénétra dans la pièce. Ce n'était pas une chambre de princesse, ou même le genre d'endroit où l'on loge les invités de prestige. Mais pour Néoméris qui n'avait jamais vécu que dans la cabane de sa mère, le grand lit, les édredons, les tentures aux murs, le large coffre et l'armoire. Toutes ces choses préparées à son égard semblaient encore plus luxueuse que ce que la reine Pénélope avait mis à sa disposition. Néoméris retira sa robe et la laissa tomber au sol. Elle trouva un broc d'eau ainsi que du linge avec lesquels elle nettoya les restes de terre sur son corps. Puis, elle plongea dans le lit.
Son sommeil ne fut pas agréable. Elle rêva de macaques, de singes hurleurs qui lui tiraient les cheveux, des marins à l'agonie au fond d'une fosse, de la vie qui quittait le corps de Méléagre. Lorsque les premiers rayons d'Helios caressèrent son visage, elle n'ouvrit pas les yeux mais émergea. Elle resta, paupières closes, se prélassant sous la chaleur de cette journée. Dehors, les cris noctambules des animaux avaient été remplacés par le chant des diurnes. Néoméris se laissa bercée gouttant pour la première fois à une grasse matinée. Mais, elle, qui était habituée à se lever tôt pour gagner sa pitance, ne parvint pas à rester très longtemps. Et puis, elle entendait des mastications depuis quelques temps dans son oreille. Elle ouvrit un œil.
Le singe aux poils blonds lui faisait face. Il était assis devant son visage et mangeait des fruits jaunes dont le jus coula sur les draps. Néoméris glapit à sa vue et se jeta en arrière, tombant du lit. Le macaque ouvrit sa grande bouche aux dents pointues et émit un rire strident. La jeune femme se redressa, dévoilant sa nudité. Alors, le singe cessa de rire. Il la regarda un instant avant de se détourner vers la fenêtre. Il laissa ses fruits sur le lit et s'enfuit.
Gênée par cette rencontre matinale, Néoméris ne voulait pas passer une seconde de plus dans cette chambre. En fait, elle voulait quitter ce château, son hôtesse et cette île. Si elle ressemblait à un eldorado, perdue au milieu de la mer, éloignée des autres hommes, c'était une prison dorée. Ces singes agresseurs, cette table qui ne désemplissait pas. Et cette femme qui usait de ses sorts sur elle. Car Néoméris en était certaine : elle n'était ni mortelle, ni déesse.
En ouvrant les tiroirs, elle découvrit des vêtements à sa taille. Des tuniques au blanc émaillé, des robes brodées. Des bijoux de cuivre dont la finesse ne pouvaient faire appel qu'à un artisan de grandes qualités. Ou au dieu des forges lui-même. Dégoûtée, elle ne toucha à rien. Pourtant, elle devait avouer que tout était à son goût. C'était exactement le genre de parures et de vêtements sobres qu'elle aurait imaginé mettre si elle avait été plus riche. Elle récupéra sur le sol la robe donnée par Pénélope. Elle était noire de bout. Arrachée par certains endroits. Elle s'appliqua à la nettoyer avec l'eau du broc, rendue propre par elle ne savait quelle magie. Puis, avant de sortir, elle observa les fruits laissés par le singe. Ils étaient ronds, jaunes mais plus orangés que des citrons. Elle porta à sa bouche un morceau. La chaire était molle, sucrée. Elle dévora ce qu'il restait du repas du macaque. Alors qu'elle s'apprêta à sortir, elle remarqua que sa robe était anormalement légère. En tâtant son flan, elle remarqua que son poignard avait disparu. Elle fouilla les draps du lit, sous le sommier, vida chaque tiroir et se pencha même à la fenêtre. Mais, elle ne le retrouva pas. La veille, tant qu'elle l'avait sur elle, elle se fichait de l'avoir. Maintenant, elle craignait de sortir sans bien qu'elle n'avait pas le choix. .
Très vite, Néoméris se rendit dans le château. Si le couloir qui donnait sur sa chambre était simple de compréhension, le reste de la demeure était un vrai labyrinthe. Un couloir pouvait amener à un escalier montant qui lui-même donnait sur un cellier dans lequel on trouvait une trappe qui accédait à l'étage inférieur. Cet endroit n'avait aucune logique. Néoméris était si perturbée par l'architecture qu'elle se demanda si les pièces avaient bien une place fixe. Il lui avait semblé parcourir plusieurs fois le même couloir ou passer par deux fois au même endroit. Elle avait l'impression que le palais ne voulait pas la laisser sortir. Elle avait aussi le sentiment dérangeant qu'elle était seule.
Le cliquetis délicat de bijoux qui s'entrechoquaient la guida. C'était un couloir comme les autres, à ceux-ci près que le haut des murs étaient parus de fresques. Une porte, parmi toutes celles qui se présentaient à la jeune femme, était ouverte. Néoméris s'arrêta juste avant l'entrée. Cependant, elle put entrevoir un lit aux draps défaits. Mais surtout, aux pieds du sommier, réduits à un tas informe, l'équipement et les habits du général Méléagre étaient abandonnés. Alors qu'elle voulut faire demi-tour, une silhouette apparut. L'hôtesse s'appuya à la chambranle de la porte. Un sourire satisfait se dessina sur son visage :
— Ca tombe bien que tu sois là ! J'ai besoin de ton aide !
Elle parlait avec enthousiasme. Mais, c'était bien un ordre qu'elle avait donné :
— Je ne voudrais pas déranger.
Elle balaya d'un geste de la main le commentaire de Néoméris et agrippa son bras pour l'entraîner à l'intérieur. La jeune femme ferma les yeux, refusant de voir Méléagre dans son plus simple appareil étendu dans le lit de cette femme. Elle trébucha, se rattrapant à son hôtesse. Lorsqu'elle rouvrit les yeux, Méléagre n'était pas là. Elle ne saurait dit si elle était déçue car une fois de plus, elle était seule avec cette étrange femme. Ou rassurée. Mais, elle ne savait pas pourquoi elle l'était.
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