silver Aristas Neireides Chant XVIII D'une reine 1

Chant XVIII D'une reine 1

La femme était d'une magnificence indescriptible. Ses longs cheveux noirs de jais descendaient en cascade sur sa robe immaculée, sertie de bandelettes d'or. Un bandeau retenait sa tête. Sa peau laiteuse reflétait les rayons de la lune. Ses yeux étaient le plus impressionnants. Ils étaient aussi aussi noir qu'une nuit sans étoile. Elle gardait ses lèvres carmins serrées, comme si sourire lui ferait mal. Après un long silence durant lequel elle inspecta Néoméris, elle descendit les marches. Derrière elle, un petit singe au poils blonds la suivait. Il avait l'air morose, presque inquiet.


La femme passa sa main sous le visage de la jeune femme. Elle caressa sa peau sans se soucier de la terre qui s'effritait sur sa paume. Ses yeux s'attardèrent sur la cicatrice de Néoméris. Elle entrouvrit un peu la bouche, laissant voir des dents de perle et une langue rouge. Et puis, sans un mot, elle saisit sa main et la tira à l'intérieur. Elle chassa de la main le singe qui partit en émettant un gémissement étouffé.


Néoméris écarquilla les yeux en voyant l'intérieur du palais. Malgré la végétation qui s'invitait et les entrées qui étaient toutes grandes ouvertes, aucun grain de poussière, aucune feuille morte ne jonchait le sol. Des torches enflammées illuminaient les salles et les couloirs se reflétant sur le sol ambré. Les salles étaient séparées par de grandes arches. La main toujours dans celle de son hôtesse, Néoméris se laissa guider. Elle fut amenée dans une salle longiligne. Un feu brûlait dans l'âtre devant une chaise en bois épais qui aurait pu être confondu avec un trône. La femme lâcha Néoméris pour s'y installer. La jeune femme profita de son trajet pour observer la longue table devant laquelle elle restait pantoise.


Une autre chaise se tenait en face du trône, moins grandiloquente mais toujours plus impressionnante que les simples bancs de bois qui longeaient la table. Le compte-tenu de celle-ci attira l'attention de Néoméris. Son ventre grogna alors qu'elle ignorait jusqu'à présent qu'elle avait faim. Mais, la vue des fruits gorgés de soleil, du gibier fumant, de l'orge au lait, des desserts sucrés, du vin raviva son appétit. La femme prit une coupe dans sa main gauche et désigna la tablée de l'autre :


— Assieds-toi. Tu es mon invitée.


Néoméris resta debout, pantoise. La femme but une gorgée puis reposa son regard sur elle :


— Tu ne veux pas ? Comptes-tu insulter mon hospitalité aussi longtemps ?


— C'est que... vous semblez être une reine et moi, je ne suis qu'une roturière, je ne devrais pas prendre place à votre table.


L'ombre d'un sourire circula sur le visage de la femme, lui donnant l'air d'être envie. Elle reposa son gobelet, tapota sa bouche avec un torchon et posa ses poignets de chaque côté de la table :


— Je ne suis pas une simple reine. Je suis bien plus que ça. Et toi, tu es plus qu'une roturière. Je te connais, Néoméris. Je sais que tu es l'enfant du dieu des forges. Tu es donc une demie-immortelle et tu peux t'asseoir à ma table sans craindre mon courroux.


Sa voix était râpeuse, presque aussi grave que celle d'un homme. Malgré ses propos, elle n'inspira aucune confiance à Néoméris. Elle semblait forte, peut-être était-ce une déesse. Et, la jeune femme ignorait comment se comporter face à eux. Ne voulant pas la vexer, elle s'assit sur le banc, aussi loin que possible de son hôtesse :


— Mange et bois ce que tu veux.


Néoméris tendit la main. Elle agrippa un raisin. A peine l'avait-elle porté à sa bouche, que la grappe fit apparaître un nouveau fruit. Surpris, elle prit un peu de vin et observa le fond de la carafe. Elle se remplit immédiatement. Alors, tout se rassembla dans la tête de la jeune femme. Elle observa du coin de l'œil son hôtesse qui mangeait un large morceau de sanglier. Ses doigts étaient luisants de graisse. Dans sa bouche, les os se brisaient comme s'ils n'étaient pas plus durs que de la peau. Néoméris se redressa. C'était un coup de l'instinct mais cela suffit à attirer l'attention de son hôtesse. Elle posa sa cuisse de gibier et se redressa :


— Tu veux déjà me quitter ?


— Je... je suis à la recherche de mes camarades.


Néoméris préféra mentir plutôt que de dire la vérité. Elle ne savait pas comme son hôtesse réagirait si elle prenait que son invitée savait qui elle était. Cette dernière arqua un sourcil :


— Tes camarades ?


— Un groupe d'une douzaine de marins de Naxos. Nous nous sommes échoués sur votre île et nous désirions votre aide. Peut-être...


— Tu es bien loquace quand il s'agit d'eux. Je n'ai vu personne. Mais dis-moi, si eux sont partis. Pourquoi tu étais seule dans la forêt. Tu étais perdue ?


— Je... je suis restée sur le navire.


— Seule ? Tu n'es donc pas leur princesse. Une prisonnière ?


— Pas vraiment...


Néoméris baissa la tête. Si cette femme la connaissait, elle avait dû entendre les rumeurs à son sujet. Elle ne voulait pas se faire chasser encore une fois. Mais, si elle expliquait les conditions dans lesquelles ils étaient arrivés, alors le doute ne serait plus permis. Elle-même avait fini par admettre que sa présence était la raison de la tempête qui les avait fait dériver. Comment l'expliquer sinon ? L'hôtesse se redressa. Ses deux mains claquèrent sur la table en bois :


— Tu es fatiguée.


Tandis qu'elle prononça ces mots, le corps de Néoméris fut engourdi. Comme une brume qui se diffusa dans son esprit, elle sentit ses paupières s'alourdirent. Elle piqua du nez. Quand elle rouvrit les yeux. Son hôtesse était à ses côtés. Elle posa sa main sur le visage de Néoméris. Le côté qui n'était pas brûlé :


— Tu es exténuée. Je vais te conduire à ta chambre.


Néoméris ne parvint pas à rétorquer. De toute façon, son corps parla pour elle. Elle se leva et suivit docilement la reine de cette île déserte. Ne s'étonnant pas de ne trouver aucun domestique sur leur passage. Si tout le palais fonctionnait comme cette table magique, alors il n'y avait besoin de personne à part de son occupante.

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