Fyctia
Chant XVI D'un voyage manqué 2
Et puis, il vit la servante à l'autre bout du port. Elle faisait mine de parler avec d'autres jeunes femmes mais, son regard tenta immédiatement d'accaparer celui du général :
— C'est celle qui te caressait le bras quand je suis entrée au palais du roi Ulysse. Se rappela Néoméris. Quand je suis venue vous avertir de l'invasion, elle m'a presque jeté l'eau pour se laver les mains à la figure.
— Laetitia est une dure à cuire. Admit le général avec un sourire.
— C'est ainsi que vous les aimez ? Provoquante et vulgaire ?
Méléagre ricana. Néoméris n'avait jamais fait ça et cela se voyait. Elle se battait comme une enfant avec des arguments bien en-dessous de sa valeur. Il ne lui répondit pas se contentant de la laisser sur le pont pour aller s'occuper des derniers préparatifs.
Néoméris retrouva alors sa place : à l'arrière contre le garde-fou. Elle profita que personne ne s'intéressa à elle pour ouvrir le sac en bandoulière qu'elle portait. Il avait été crocheté par la reine elle-même qui le lui avait donné. Dedans, elle avait à peine la place pour des changes, ignorant qu'une caisse avec des effets qu'on lui donnait avait déjà été montée, et la jarre. Cette dernière avait été enroulée dans un drap d'une grande richesse lorsque Néoméris avait expliqué ce qu'elle était. Le bouchon était humide car il ne parvenait pas à se fermer correctement. Elle le dévissa et versa le contenu par-dessus le bastingage sous le regard des marins qui prièrent le ciel que la sorcière ne les maudissait pas. Lorsque la dernière goutte retourna à la mer, la corne de bru du prince Télémaque retentit à l'autre bout du convoi. Il partit en premier avec le bateau du roi Eurylipe. Et puis, Méléagre et Néoméris fermèrent la marche.
Les bateaux se hissaient dans l'étendue bleue. Leurs mats surplombaient les eaux avec autant de fierté que les généraux qui les dirigeaient. Les cris de guerre retentissaient sur chaque navire. Télémaque en tête prenait de la vitesse alors que Méléagre fit baisser la cadence du sien. Néoméris traversa le pont. Elle avait l'impression que ce navire était le sien. Elle était la seule dont la démarche n'était pas chahutée par les vagues. Son corps, resté des nuits et jours au contact de la mer, portait déjà les stigmates du voyage. Elle était presque comme une néréide au sein de ces hommes qui n'étaient pas encore burinés par le soleil. Ils l'observèrent du coin de l'œil craignant son courroux. Lorsqu'elle atteignit l'avant où Méléagre discutait avec le chef des gardes, le ciel s'assombrit :
— Un mauvais présage ? Hasarda le capitaine, Polydamas.
— Une tempête en haute mer... Songea Méléagre. C'est chose commune mais fais remonter la voile.
Polydamas plaqua sa main sur son pectoral et quitta l'avant pour donner ses ordres. Néoméris regardait toujours le ciel. Elle avait senti le regard du général sur elle quand le capitaine avait parlé de mauvais présage. Elle aurait aimé qu'il réfute complètement ses paroles. Elle se tourna pour lui parler.
Dans le coin de l'œil de Méléagre, elle vit la vague se former. Ce n'était pas vraiment une vague scélérate. C'était plus comme un typhon. Les gouttes d'eau envahirent le bateau en premier. Les vêtements des marins furent imbibés mais, ils n'eurent pas le temps de s'en inquiéter. Une corne de bru résonna au loin. Il était déjà trop tard. Des murs d'eau se formèrent autour du navire. Ils ne pouvaient plus avancer ou reculer. Et de toute façon, la brume les empêchait de voir.
D'un coup, les cris fusèrent sur le pont. Le tambour qui aidait les hommes à la barre s'arrêta. Les rames furent suspendues. La voile remontait. Mais, le marin suspendu en haut du main hurla. Tous les regards se tournèrent vers lui. Sa silhouette se découpait dans le brouillard. Ils le virent tenir le mât. Puis, ses pieds furent tirés. Et soudain, il disparut. Comme un fantôme qui se dissipa, il fut englouti par le mur d'eau. Ses camarades n'eurent pas le temps de pleurer sa disparition. Le bateau fut balancé d'avant en arrière, de gauche à droite. Ils n'étaient plus question de reprendre la barre mais de se sauver. Les hommes passaient par-dessus bord.
Néoméris sentit ses pieds déraper sur le pont trempé. Elle eut tout juste le temps d'agripper la rembarde. Son poignet se coinça et elle émit un cri alors que son os se brisa. Elle lâcha sa prise. Soudain, elle fut planquée en avant. Méléagre la poussait de son poids. Sa main se glissa sous la taille de la jeune femme tandis que de l'autre il attrapa le bastingage. Leurs corps flottaient, percutaient le pont, remontaient, descendaient. Les muscles du général bandés étaient au bout de la rupture lorsque le noir s'abattit sur eux.
Était-ce une de ces vagues aussi grandes qu'un titan ou un ouragan qui les entraîna ? Personne ne le sut. Avant que les autres navires ne réalisèrent qu'il n'en manque un, ils étaient déjà perdus dans l'immensité de l'océan. Seuls les corps des marins qui n'avaient pas eu la chance de se retenir. Leurs cadavres gonflés d'eau flottaient en attendant d'être dévorés par les créatures qui peuplaient les fonds marins. Les Naxiens d'Eurylipe furent pris par la panique. C'était forcément la malédiction de Néoméris qui s'abattait sur eux. Elle avait pris leur fier général et la moitié de leur armée restante, la guerre à venir ne pouvait pas être gagnée.
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