silver Aristas Neireides Chant XVI D'un voyage manqué 1

Chant XVI D'un voyage manqué 1

Néoméris observa les manches de sa robe. Elle était blanche, en laine bouillie. Des fils dorées et bleus faisaient le contour des extrémités, y compris du décolleté, qui laissait à peine voir ses clavicules. C'était presque une tenue entre la tunique d'homme et la robe d'une domestique mais c'était surtout le premier vêtement neuf, pour ainsi dire qu'elle portait. Elle ne pouvait s'empêcher d'admirer ce présent de la reine Pénélope. Alors qu'elle gardait la tête baissée, la femme de chambre, les mains rappeuses d'une femme de chambre redressa son visage pour qu'il fit face à un miroir ovoïde. Néoméris détestait cette vision. Ses cheveux étaient tirés en arrière, ramenés en une natte queue-de-poisson ce qui laissait sa cicatrice à la vue de tous. Elle tenta de tirer une mèche de sa coiffure mais la femme de chambre lui tapa la main :


— Le roi et la reine veulent que ton visage soit visible.


— Comme si je n'en avais pas déjà assez souffert... Soupira Néoméris.


La femme de chambre la regarda longuement. Elle n'avait pas quarante ans mais son visage vérolé et sa fonction auprès d'une reine aveugle depuis son plus jeune âge lui avait apporté la sagesse que l'on ne demandait pas à son rang. Alors qu'elle chauffa une épingle pour l'assouplir avant de la planter dans la chevelure de la demi-immortelle, sans faire attention à la grimace de douleur qui s'afficha sur son visage, elle déclara :


— Tu as toujours tout vu sous le prisme de Naxos, et qui pourrait t'en vouloir. Moi, je n'ai jamais connu que Ithaque. Je sais ce que c'est que de naître et grandir sur une île et de n'avoir qu'une seule perspective. Mais pour toi, ce temps est fini. Tu n'es plus à Naxos et notre roi pense que ta brûlure et la preuve que tu es un enchantement.


— Le roi Ulysse est bon.


— Il est surtout incroyablement intelligent. S'il pense ainsi, tu devrais le croire car il est béni lui par la déesse Athéna. Et, je ne saurais pas surprise d'apprendre qu'elle lui a donné un peu de sa ruse.


La femme de chambre tira ensuite le tabouret de Néoméris vers elle, la tirant de la contemplation de son reflet. Elle glissa une mèche derrière son oreille et la jeune femme ferma les yeux imaginant sa mère faire le même geste. La femme de chambre releva ensuite sa tête avec le plat de sa main :


— Et il n'est pas le seul à croire que tu es un porte-bonheur.


Mais, elle n'en dit pas un mot de plus et se leva. Elle passa un manteau dont les formes géométriques au pas faisant penser aux mosaïques sur le mur du palais d'Ithaque. Par cette tenue sobre mais riche, Pénélope et Ulysse rappelaient à tous que cette enfant des dieux était leur protégée. Néoméris mit ensuite des sandales couvertes qu'elle noua à ses chevilles. C'était une vraie tenue de voyageuse, pratique et chaude à la fois pour les nuits. Elle se sentit comme lorsqu'elle était enfant et qu'elle attendait que son oncle vienne la chercher pour l'emporter dans la montagne.


Elle se rendit compte alors que de lui non plus, elle n'avait aucune nouvelle. Il avait disparu avant l'arrivée des Troyens. Comme il était un homme, il ne pouvait pas être fait prisonnier. Elle espéra alors qu'il n'avait jamais croisé le chemin des guerriers. C'était fort probable car Hésiode n'aimait guère les humains, préférant ses bêtes même à sa sœur et sa nièce. Ne voulant pas se polluer l'esprit avec de telles pensées, Néoméris se persuada que son oncle avait trouvé refuge dans l'une des grottes de la montagne.




Le port était en ébullition. Les guerriers naxiens et d'Ithaque avaient revêtu des armures. Elles étaient toutes aux couleurs de l'île hôtesse mais Ulysse avait tenu à ce que les Naxiens soient frappés de leurs propres armoiries. Au milieu de ces hommes, les pêcheurs embarquaient sur les navires les caisses qui regroupaient les vivres. Plusieurs navires avaient été affrétés. Néoméris s'arrêta entre ceux qui portaient l'étendard de Naxos. Ces bateaux n'avaient rien à voir avec les rafiots qui les avaient conduits jusqu'à Ithaque. Ils étaient plus grands mais plus légers aussi. Une dizaine de rames de chaque côté de la coque indiquaient qu'une vingtaine d'hommes pouvaient prendre place, juste dans la cale.


Eurylipe se tenait sur le pont de l'un d'eux. Il parlait avec le chef des gardes. Sa cape volait au rythme de la brise. Pris d'une intuition, il baissa la tête et rencontra le regard de Néoméris. S'il ne lui lança pas un crachat grumeleux, l'envie se lisait sur sa figure juvénile. Intimidée, la jeune femme recula d'un pas. Elle sentit alors une main se poser sur la descente de son dos. Elle sursauta malgré elle et fit volteface. Méléagre eut un sourire en coin :


— Tu comprends que tu ne peux pas monter avec lui. Nous serons sur le second navire.


— Il n'y en a que deux pour Naxos ?


— Ils ont été prêté par Ithaque. Nous ne pouvons pas abuser de leur générosité. Et puis... le roi Eurylipe leur est déjà trop redevable.


— Ceux sont ses alliés...


Un regard en coin du général la réduisit au silence. Un homme, qui portait un sac en toile de jute, passait à côté de lui. Ils regardèrent aller jusqu'au bateau du prince Télémaque où il déposa son fardeau sur une passerelle qui montait à l'aide de poulies. La main de Méléagre dans le dos de Néoméris la poussa vers le second bateau. Il y avait bien longtemps que le prince avait cessé de la lorgner mais elle sentait tout de même un regard qui imprégnait son dos. En se tournant, elle vit cette servante qui la fusillait de ses yeux verts. Elle ne put s'empêcher d'arborer un sourire en coin :


— Ne t'avise pas de provoquer ainsi le roi. Chuchota Méléagre. Tu es peut-être protégée par les dieux et le roi d'Ithaque mais tu lui appartiens toujours.


— Oh ! Mais, je m'adressais pas au roi.


Méléagre surprit s'arrêta au milieu de la planche qui leur servait à monter. Comme un oiseau pris par surprise, il bougea la tête de droite à gauche. Néoméris ne put s'empêcher de pouffer de rire à sa vue.

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