Fyctia
Chant XV Du roi Ulysse 1
Néoméris sentit un vent de panique s'emparer d'elle. Elle jeta un regard désespéré à Méléagre dont le regard brun passait d'elle aux gardes sans masquer sa surprise. Comprenant sa question muette, il se redressa et se plaça derrière elle alors que le prince et le roi la précédèrent suivant les traces des gardes. Tandis qu'ils fendirent les couloirs du palais, ce qui n'était pas bien long car Ulysse n'avait pas voulu mille fioritures pour son foyer en revanche sans guide c'était tout bonnement impossible de se retrouver bien que l'endroit ne fut pas construit par Dédale, Néoméris tourna sa tête de trois-quarts vers le général. Elle chuchota si bas qu'il dut pencher la tête l'envoûtant de son parfum vinaigré :
— Pourquoi veut-il me voir ? Et comment me connaît-il ?
— Je l'ignore. Ton nom n'a jamais été prononcé dans ce palais.
— Jamais, jamais ?
Méléagre secoua la tête et Néoméris ressentit un pincement au cœur. Non pas que sa réputation d'être maudite lui manquait mais, elle avait espéré que le général eût évoqué son cas auprès du roi Eurylipe. Pour que ce dernier la délivre de sa prison. Mais, elle comprenait que cette situation lui convenait bien mieux. Une femme au port, l'autre au palais. Bien qu'ils n'avaient jamais rien fait, et elle s'en félicitait à présent, elle n'ignorait pas les regards qu'il lui lançait. Jusqu'à présent, cela l'avait troublé car jamais un homme ne l'avait regardé ainsi. Mais, elle se sentait salie maintenant qu'elle comprenait qu'elle n'était qu'une de plus. Ravalant sa fierté, elle redressa le menton. La voix murmurée du général chatouilla sa nuque :
— Je n'ai jamais vu le roi.
Néoméris eut du mal à retenir le sourire qui fendait son visage. Voilà un privilège qu'elle lui ravissait. Mais, elle ne pouvait guère s'en étonner. Après tout, le garde avait bien énuméré sa filiation faisait comprendre à tous qu'elle était plus l'égal d'Ulysse, héros de Troie, roi d'Ithaque, que de ces vulgaires mortels. Elle redressa encore plus haut le menton tandis qu'ils s'arrêtèrent devant une porte de bois qui aurait pu être celle menant aux cuisines. Ce fut Télémaque qui frappa et s'annonça. Alors, la porte s'ouvrir.
Une vieille femme, ratatinée par les années, le visage strié de rides, était penchée sur un métier à tisser alors qu'un homme se tenait contre la fenêtre. Devant lui, un jeu d'échec avec des pièces en bois attendait un partenaire. Le vieil homme ne s'en souciait pas. D'ailleurs, il ne devait se soucier de grand chose car, mis à part le cercle d'or qui cintrait sa tête, rien n'indiquait qu'il était le roi Ulysse. Il observait, la tête reposée contre la bordure de la fenêtre, la mer calme sous ses yeux lassés de la vie. Enfin, il les tourna pour les poser sur le petit groupe. Néoméris chancela en reconnaissant le vieil homme qui lui avait offert le poignard lors de sa première nuit. L'ombre d'un sourire apparut sur les lèvres fanées du roi. Malgré les années passées, il n'avait pas perdu son goût pour la farce intelligente. Méléagre dut retenir Néoméris qui manqua de tomber de surprise :
— Tu es un fourbe, Uysse. Lança la voix chevrotante de la vieille femme qui ne leva pas les yeux de son métier à tisser.
— Ne le prends pas ainsi, ma reine. Répondit-il en agrandissant son sourire. Je voulais juste m'amuser.
— Au détriment de cette pauvre jeune fille. Viens donc t'asseoir, mon enfant.
Pénélope désigna un siège non loin d'elle. Néoméris interrogea Eurylipe du regard, qui ne cachait pas son mécontentement mais ce fut Télémaque qui lui répondit, lui glissant à l'oreille :
— Tu devrais obéir, ma mère n'est guère commode lorsqu'on ne l'écoute pas.
Néoméris s'empressa alors de suivre le doigt noueux de la reine et de s'asseoir à ses côtés. Pénélope arrêta son ouvrage et se tourna vers elle. Elle saisit les mains de la jeune femme qu'elle frotta contre ses paumes puis traça le contour de son visage, s'attardant sur sa brûlure. Néoméris réalisa alors que les années avaient rendu la reine Pénélope aveugle :
— Je ne quitte presque jamais cette pièce, expliqua Ulysse en déplaçant sa tour, car je suis ses yeux.
— Je pourrais me débrouiller sans toi. Répondit Pénélope.
— C'est vrai mais je n'aime pas te savoir seule avec ton... infirmité.
La reine haussa les épaules. Derrière ses paupières closes, Néoméris la vit rouler des yeux ce qui la fit sourire. L'index de la reine tomba dans le creux de sa commissure :
— Tu es une enfant triste.
— Comment en aurait-il pu être autrement lorsque l'on vit au ban de la société.
— Quelle histoire. Les dieux ne t'ont guère gâtée.
— Qu'attendez-vous d'elle ?
L'intervention d'Eurylipe avait instauré un silence gêné. Le roi et la reine tournèrent chacun leurs visages l'un vers l'autre, utilisant leur lien pour se sonder. Finalement, Ulysse parla :
— Je comprends ta colère, jeune roi. Tu penses comme ton peuple que cette enfant des dieux est venue au monde pour te jeter une malédiction. Mais, pourquoi ne pas le prendre autrement ?
— Et comment le faire ? Cette femme a entraîné le mauvais sort jusque sur ton île, roi d'Ithaque. Peut-être n'était-elle pas maudite mais alors, elle est une sorcière et la malchance qu'elle porte aux autres et volontaire. C'est donc pire.
— De quel malchance parles-tu ?
— Je peux te le dire car j'en suis moi-même victime. Lorsque je n'avais pas six ans quand j'eus la malchance d'être entraîné dans les flots par cette femme. J'ignorais ce qui m'a sauvé, très certaine notre chère déesse protectrice, Amphitrite. Mais, elle me relâcha et je pus être sauvé. C'est ma nourrice qui me l'a raconté.
— Mon roi...
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