Fyctia
Chant XIV D'une île perdue 2
La nuit était tombée. Au loin, le palais retentissait sous la fête. Les pêcheurs avaient déserté à leur tour le port pour rejoindre les festivités. Néoméris entendait la lointaine rumeur des tambourins. Elle s'était glissée jusqu'au pont mais plutôt que de s'intéresser aux mortels qui s'esclaffaient dans le palais royal, elle regardait une fois de plus la mer, sans rien en attendre.
C'était sûrement pour cette raison que Amphitrite décida de lui apparaître sous une forme plus originale. Des bulles apparurent sur la surface de l'eau. Et puis, comme si elle était en ébullition, l'eau se mit à jaillir. D'entre les flots, la déesse apparut sous la même forme humanoïde que la dernière fois. Néoméris se redressa. Elle avait l'impression que le regard noir d'Amphitrite était pour elle. Pourtant, son visage ne présentait aucune trace d'agacement :
— Anatola est en vie. Annonça-t-elle.
Sous le choc, Néoméris glissa à terre, une main sur son cœur. Si la déesse avait eu des pieds, elle les aurait embrassés. A la place, elle la dévisagea attendant la suite :
— Elle a été faite prisonnière avec les autres naxiennes par les Troyens. Cependant, elles ne sont plus sur l'île. Ils les ont conduites à leur campement principal.
— Sparte... Murmura Néoméris.
— L'heure de l'oisiveté est finie. Tu dois les prévenir.
— Ils ne m'écouteront jamais. Mais vous...
— Ce n'est pas ma terre mais c'est ton peuple. Bien que ce ne soit pas pour les bonnes raisons, ils se taisent à ta vue et t'écoutent par peur des paroles que tu puisses sortir. Tu as essayé une fois de les avertir. Ils ne l'ont pas fait, ils le regrettent à présent. Cette fois-ci, ils le croiront. Si jamais...
Le regard de la déesse passa sur le poignard de Néoméris qui gisait au sol. La jeune femme suivit son regard. Lorsqu'elle le reporta sur Amphitrite, cette dernière avait disparu mais une conque, à l'émaille rosée, avait pris sa place sur la rembarde du bateau. Néoméris la prit ainsi que l'arme et débarqua.
Elle eut un frisson glacé. Si elle connaissait par cœur le port et ses environs pour s'échapper chaque nuit, elle ignorait tout du reste d'Ithaque. Heureusement, une seule voie menait au palais dont elle apercevait les lumières depuis son nid de fortune. Elle serra le manche dans sa main, le coquillage contre sa poitrine et prit le sentier. La terre battue colla à ses sandales. La poussière salit le bas de sa robe. Le sel de la mer avait rendu ses cheveux secs et ondulés. Elle avait aussi beaucoup maigri à cause de sa mauvaise nutrition et les os de ses épaules et de ses bras étaient apparemment. Elle aura vraiment l'air d'une sorcière.
En tout cas, son effet fut convainquant. On ne la vit pas entrer dans le palais où les portes étaient grandes ouvertes. Elle put se glisser dans un coin et observer. Méléagre était assis avec Télémaque et Eurylipe. Tous les trois se délectaient des danseuses en riant. Une servante de Naxos remplissait sans cesse le verre du général. Lorsqu'elle le pouvait, elle faisait glisser sa main sur son épaule. La mâchoire de Néoméris se serra. Elle ignorait ce qu'était ce sentiment mais elle aurait bien enfoncé sa conque dans le visage de cette servante. Elle se retint et, à la place, décida de troubler les festivités.
D'un coup, la musique cessa. Les danseuses, dos à elle, se retournèrent. En voyant le visage de la jeune femme, certaines se décomposèrent, d'autres ne retinrent pas leur grimace. Néoméris les ignora. Ainsi que les insultes que les Naxiens murmuraient à son encontre. En revanche, Eurylipe ne s'en cacha pas. Il posa brutalement sa coupe sur une table à ses pieds et se redressa, le doigt pointé vers elle. Il crachait plus qu'il ne parlait :
— Toi ! Tu as ORDRE de rester à mer. Ne ramènes pas ta malédiction sur nos hôtes.
— Je suis venue vous avertir, mon roi, récita Néoméris.
Elle avait tout au long de son trajet répéter ce qu'elle voulait dire, s'étant préparée à la rage du roi. D'ailleurs, Eurylipe se rasséréna un peu en entendant son titre car peu l'utiliser. Il restait, aux yeux des hommes de son père, le prince :
— La mer m'a parlée... Je veux dire la déesse Amphitrite.
Des exclamations de surprise résonnèrent dans les rangs des Naxiens. Eurylipe ricana en croisant les bras. Néoméris chercha de l'aide auprès de Méléagre mais, le général gardait la tête baissée. Il ne pouvait supporter l'humiliation qu'elle était elle-même venue chercher :
— Ma... Je sais où se trouvent ceux qui ont été fait prisonniers.
— Et où sont-ils ? Je te prie. Ironisa le jeune roi.
— Ils ont été emportés à Sparte où les troupes des Troyens se rassemblent. Nous devons faire vite avant qu'ils ne soient trop nombreux et qu'ils ne nous rasent.
Et qu'ils ne les tuent. Songea-t-elle sans parvenir à le prononcer car elle savait qu'elle n'était pas la seule ici qui avait laissé un être aimé à Naxos :
— Tu ne dis rien qui ne m'apprennent quelque chose. Rétorqua Eurylipe. Tu es venue gâcher une magnifique fête donnée par nos hôtes pour ces enfantillages.
— Mais, répondit le prince Télémaque en se levant et s'approchant de la jeune femme, elle ne dit qui ne soit faux non plus. Nous nous laissons à la paresse depuis plusieurs jours alors que l'heure est à la guerre. Nous avons assez fêté les retrouvailles de nos deux peuples, que nous savons frères car descendants des mêmes mortels. Cependant, nous devons aux vôtres qui n'ont pas votre chance de s'enfuir.
Et, alors que les mots du prince d'Ithaque moururent sur ses lèvres gercées, la porte à l'arrière de la salle s'ouvrit dans un fracas. Deux hommes munis de lance et d'armure entrèrent. Leur démarche saccadée et leurs regards intenses firent comprendre qu'ils faisaient partie de la garde royale. L'un d'entre eux porta sa main à sa poitrine en s'adressant à Télémaque :
— Le roi demande à voir la jeune femme au visage brûlé, fille du dieu Héphaïstos.
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