Fyctia
Chant XII D'un vieil homme 2
Cependant, à la façon dont ses iris brunes serpentèrent sur le côté gauche de son visage, elle se douta que c'était faux. Il n'en avait simplement rien à faire. Soudain, elle songea qu'en dehors de Naxos, elle était une parfaite inconnue. Et puis, elle se rappela des mots du vieil homme "enfant des dieux". Il était au courant :
— Tu penses fort. S'amusa le vieil homme. Pourquoi n'es-tu pas avec les autres ? On dit que le prince vous a accueilli dans son château, reléguant ses vieux parents dans ses appartements.
— Le roi Eurylipe pense que je suis maudite ainsi que les autres de mon île. Ils ne voulaient pas que je descende du navire. Je leur aurais obéi si ma jarre n'avait pas été vide et que l'eau du port n'aurait pas été gâtée.
— Etait-ce si important pour toi ?
— Bien sûr ! La déesse Amphitrite a toujours pris soin de ma mère et de moi. Nous leur devons toutes la vie...
La phrase mourut dans un sanglot. Pouvait-elle toujours parler de la vie de sa mère ? Il y avait de grands risques que Anatola fut morte. Elle ne voyait pas d'autres issues car sa mère n'aurait jamais quitté l'île sans elle alors que Néoméris n'avait pas hésité à suivre Méléagre. Le regard du vieil homme s'aiguisa alors qu'une larme argentée scintilla sur sa joue :
— Vous lui rendez hommage bien que votre royaume eut été envahis.
— Elle n'est pas Troyenne, elle n'a pas poussé leurs troupes sur nos côtes. Et puis... si je pouvais retrouver ma mère, je ne peux compter que sur elle.
Une fois de plus, un sanglot brisa la voix de la jeune femme. Une nouvelle larme dévala son visage pour se loger dans la mer. Elle forma une perle brillante dans l'eau noire. Le vieil homme ne pouvait s'empêcher de l'observer avec intérêt. Il savait qui elle était mais, il songea à tous les trésors qu'une telle personne renfermait. Et puis, comme pour le détourner, l'estomac de Néoméris gronda. Elle rougit un peu et porta la main à son ventre en se courbant. Elle n'avait pas mangé depuis la veille.
Le vieil homme glissa la main contre son flan. Il posa un balluchon sur ses cuisses. D'une main tremblotante, il déplia les coins du linge. Un pain rond, légèrement grignoté, et un fromage blanc apparurent, enveloppés par une lueur blanchâtre. Néoméris saliva immédiatement à cette vue. Le vieil homme coupa un morceau du pain sur lequel il étala une tranche de fromage et les lui tendirent. Ses doigts se précipitèrent vers la nourriture. Elle l'engloutit en oubliant de le remercier, ce qu'elle fit une fois repue. Le vieil homme esquissa un sourire en hochant la tête :
— Ils devraient avoir honte de te laisser ainsi. Un enfant d'Héphaïstos est un gage de renommée.
Néoméris secoua la tête. Ses cheveux bruns balayèrent chaque côté de son visage. Elle rétorqua :
— Mon père ne m'a pas bénie. Je ne suis pas une enfant des dieux au sens propre.
— Tu n'as jamais su ce que les Parques te réservaient ?
Les sourcils de Néoméris remontèrent jusqu'à la ligne de ses cheveux tant ils se levèrent de surprise. Elle retint un rire narquois ne voulant pas blesser le vieil homme qui se révélait une personne bien gentille. Elle secoua la tête de droite à gauche mais avant qu'elle ne puisse rétorquer, il la coupa dans son élan :
— Les Parques ont parlé de simples mortels. Elles leur ont prédit un avenir glorieux ou désastreux mais, elles se sont prononcées. Il n'y a pas un seul d'entre nous qui n'a pas un destin. Je ne peux pas croire qu'elles aient oublié l'enfant du dieu de forges. N'as-tu jamais posé la question durant l'une de tes prières ?
— Non... Avoua Néoméris perdue dans ses pensées. Non, je n'ai jamais posé la question. J'ai toujours songé que j'étais comme... c'est peut-être présomptueux mais comme cette Circé, cette magicienne exilée des dieux.
A l'entente de ce nom, le vieil homme frémit. C'était infime mais Néoméris le vit. Elle s'empressa de rajouter :
— Mais, je ne suis pas une sorcière. Je suis incapable de la moindre des choses. Je n'ai aucun pouvoir, aucune beauté, aucune intelligence, aucune force particulière. Je suis juste une parmi tant d'autres.
— Le penses-tu vraiment ?
— Et bien, je vis avec moi-même depuis assez longtemps pour le voir.
Gênée par l'attention que lui donnait le vieil homme, elle parlait avec un rire dans la voix comme pour atténuer sa vision d'elle-même. Loin d'elle l'envie de se victimiser pour attiser la pitié, elle avait simplement l'impression d'évoquer des faits :
— Qu'il en soit ainsi. Lâcha le vieil homme dans un murmure.
Il s'enveloppa dans sa cape. Les yeux plissés, il regarda l'horizon songeant à ces larmes d'argent qui dérivaient dans les abysses. Il garda le silence si longtemps que Néoméris pensa qu'il s'était endormi. Elle n'osa pas laisser un vieil homme seul dans un endroit aussi désert. Sa tête balla contre une parois. Elle glissa son bras pour s'appuyer et somnola. Le froid de la nuit s'était dissipé grâce à sa discussion avec le vieil homme.
Et puis, il se redressa. Malgré son âge, son mouvement était leste, puissant témoignant de son passé de guerrier. D'ailleurs, ses jambes secs étaient parcourus de cicatrices. Elles étaient brunes, presque lisses sur sa peau fripée. Il se tourna vers Néoméris. Son regard avait changé. Son œil brun brillait comme celui d'un faucon. Soudain, elle pensa qu'elle s'était peut-être trompée. Il était peut-être aussi un agresseur. Mais, il esquissa un sourire en coin et se pencha vers elle. Dans sa main, un poignard rutilait qu'il tendit à Néoméris. Elle le prit du bout des doigts, dessinant le dessin gravé dans le manche. Un monstre marin hideux. La nymphe Scylla :
— J'ai vu tous les Naxiens qui sont venus se réfugier sur nos côtes. Ils ont remonté les sentiers jusqu'au château, bruyant comme des enfants. De tous, et cela est cocasse, tu es la seule qui n'a aucune trace de l'invasion. Ni blessure... ni brûlure.
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