Fyctia
Chant VIII D'une sorcière 2
Elle frémit jusqu'à la racine de ses cheveux et porta machinalement son bras pour protéger son visage. Méléagre fut touché. Il n'avait pas pensé à elle un seul instant. Il agrippa le doucement qu'il pouvait le faire son poignet et la fit descendre son bras avant de se rassoir sur le muret :
— Attendons les autres.
— Vous ne le croyez pas ?
— Il revient du port. Si des navires avaient eu besoin d'un asile ou voulaient juste se reposer, ils seraient allés là-bas. Mais, cela ne veut pas dire pour autant qu'aucun navire n'est autour de nos terres.
Néoméris esquissa un sourire. Elle ne pouvait s'empêcher de ressentir quelque chose de chaleureux pour Méléagre. Pour la première fois de sa vie, elle était vraiment considérée comme une femme. Elle se pencha et saisit une datte qu'elle mâchouilla sans se départir de son sourire.
Le second revint alors que l'après-midi touchait à sa fin. Il était aussi transpirant, essoufflé que l'autre. Mais en plus des ampoules au pied, il avait des égratignures sur les genoux et le visage brûlé par le soleil. Comme moi, s'amusa à penser Néoméris. Il s'agenouilla à son tour face à Méléagre :
— Je reviens du sommet le plus haut, mon seigneur. J'ai observé les mers pendant plusieurs heures. Un aigle a même pensé que je suis mort et a essayé de...
— Je ne t'ai pas demandé de partir en ermite pour revenir avec un poème. Qu'as-tu vu ?
— Mis à part les navires lointains d'Ithaque et nos pêcheurs revenant de leurs journées, il n'y avait rien.
Comme pour le premier, Méléagre le congédia mais un peu moins durement. Néoméris déchanta un peu. Elle commença à se demander si les dieux ne s'étaient pas joués d'elle. Peut-être n'était-ce qu'une vague illusion qu'elle avait pu voir. Non pas les mirages de l'eau salée qu'elle connaissait déjà par cœur mais un jeu de silhouettes qui n'existaient pas. Dans quel but ? Il n'y avait pas à lui rappeler où était sa place. Rien qu'à sentir les tremblements de malaise qui traversaient son corps, elle savait bien que les palais n'étaient pas pour elle. Et s'il s'agissait d'ego. Elle avait été si traînée dans la boue qu'elle n'avait aucune estime d'elle. C'était à peine si elle se voyait comme un être humain. Elle avait pour la première un comportement un peu plus enjoué et extraverti mais c'était la faute du général Méléagre qui la mettait à l'aise. Cependant, après le départ du second messager, il la laissa seule dans la cour.
Comme si c'était des rayons, la nuit filait sur Naxos et Néoméris frémit en songeant qu'elle allait devoir rentrer seule. Elle pensa à sa mère. Anatola ne savait pas pourquoi elle était partie. Elle devait être inquiète depuis son retour du temple. Elle l'imagina fouilla les endroits les plus incongrus à la recherche de sa fille, jusqu'à plonger ses mains dans le bac à la poisson en craignant de trouver une main ou un œil. Quelque chose qui lui fit comprendre qu'enfin, les habitants de Naxos avaient assouvi leurs pulsions meurtrières à son encontre. Mais, elle ne trouvera rien. Alors, ira-t-elle battre battre la plage à la recherche d'un corps flottant dans l'eau ou chercher l'aide de son frère dans la montagne ? Tandis que Néoméris était perdue dans ses pensées les plus sombres, Méléagre revint. Il avait perdu son air revêche. En fait, il était gêné, passant sa main dans sa barbe avec un soupire :
— Je me suis entretenu avec Nycème.
Néoméris attendit simplement la suite, transie d'effroi à l'idée que le roi puisse penser qu'elle lui a menti, qu'elle a voulu se jouer de lui :
— Il pense qu'il n'y a rien.
— Je n'ai pas menti !
— Je te crois. Mais, s'il n'y a rien à l'horizon, c'est qu'une armée n'est pas en train de nous encercler. Il y a peut-être un navire qui s'est échoué et du haut de la montagne, on ne peut pas voir depuis la montagne, la plage. Attendons le troisième messager mais il ne viendra pas avant demain.
Néoméris se leva. Elle épousseta sa robe bien qu'elle était faite d'un tissu usé qui présentait des tâches de vieillesse. Mais, sa présence dans un tel endroit la rendait précieuse malgré l'absurdité de son geste. Sous le regard prévenant de Méléagre, elle effectua un salut respectueux :
— Je vais rentrer, alors. Et, si vous le permettez, je reviendrai demain m'enquérir du rapport du dernier message. Je vous assure que je n'ai pas menti.
— Tu ne peux pas repartir seul. Une femme sur les routes dans la nuit.
— Personne n'osera me faire du mal. Même si tous me répudient, ils ont peur du courroux des dieux. On ne sait pas sur quel pied danser avec moi. Même moi, je ne sais pas...
Cette dernière phrase était prononcée du bout des lèvres, le regard perdu sur la grand-porte du palais. Un carré sombre se découpait sur le mur ocre. C'était la sortie mais elle avait l'impression que c'était l'entrée des enfers. Elle frémit un peu, repoussant ses pensées, et donna un dernier sourire à Méléagre avant de prendre le chemin du retour. Ce dernier se sentit impuissant. Il n'avait pas le droit d'accompagner Néoméris. Ou plutôt, il n'avait pas le droit de laisser Nycème et Eurylipe sans protection. Bien sûr, il y avait les gardes et les domestiques mais lui était général et il ne pouvait pas partir sans que son roi ne l'y autorise. Et Nycème était bien trop en colère d'avoir envoyé des messagers sur les dires d'une sorcière pour faire une telle chose.
Alors, Méléagre prit la place de Néoméris sur son tabouret. Malgré le froid et la fatigue, il campa devant l'entrée du palais jusqu'à ce que le troisième messager revienne. Celui-ci avait aussi des ampoules mais étaient moins haletants que les deux autres. Ses vêtements étaient imprégnés de l'eau de mer, ses cheveux crissaient du sable. Il s'affaissa en face du général. De gros cernes pochaient ses yeux :
— Je n'ai rien vu. Je suis allé jusqu'à la côte de la sorcière. J'ai attendu plusieurs heures devant sa cabane. Puis, j'ai fait le tour de l'île par les criques. Je les ai toutes fouillées. Mis à part des épaves, il n'y avait rien. Elle s'est moquée de vous.
— Va. Grinça Méléagre.
Le messager le salua avant de prendre un repos bien mérité. Méléagre ne partit pas se coucher. Il resta la tête enfouie dans les mains. Il avait été moqué, humilié par une sorcière et bientôt, tout Naxos sera au courant. La malédiction allait s'abattre sur lui. Et elle reviendra le lendemain.
1 commentaire
Jessica Goudy
-
Il y a 10 mois