Fyctia
Chant VI De la présomption 2
Le regard de Nycème se porta sur le banc de sable et la trainée qu'avait formé son corps. Son sourire lumineux réapparut :
— Tu es jaloux parce que j'ai battu ton record ?
— Tu y étais presque. Il te faudra encore t'entraîner pour y arriver. Répondit Méléagre sur le même ton.
— La vieillesse ne m'aide pas. Peut- être que Eurylipe y parviendra.
Le regard du père se posa sur le fils. Il n'y avait que dans les yeux verts de Nycème que Eurylipe se sentait vivre. Pour les autres, il était un raté ou un maudit. Il s'autorisa à l'ombre d'un sourire. Il surprit le regard en coin de Méléagre également ce qui le fit reprendre son masque d'indifférence :
— C'est tout le mal que je lui souhaite. Plaisanta le général en se redressant. Ca et la fortune, et la victoire, et l'honneur.
Il posa sa main sur l'épaule du prince. Enfin, chez Méléagre s'était comme si une bourrasque emportait une fouille tant il le faisait avec force. S'il n'avait pas tenu fermement Eurylipe, il serait tombé en avant :
— Il deviendra un bon roi. Assura-t-il.
La surprise, qui envahit le prince, contamina les lèvres du roi qui s'étirèrent prolongeant son sourire. Jamais Méléagre ne lui faisait de compliment. Il fallait convenir que c'était un autre en présence de son ami. Nycème n'aimait ni la sévérité, ni la tyrannie et Méléagre s'autorisait à se ramollir pour lui. Mais pas trop. En témoigner ses doigts enfoncés dans l'épaule d'Eurylipe qui n'osa pas faire le moindre mouvement pour se dégager malgré la douleur :
— Allons mon fils, veux-tu me montrer comme Méléagre n'a pas perdu son temps avec toi et que nous ne logeons pas, et ne le nourrissons pas, pour rien ?
La boutade fit pouffer de rire Eurylipe. Il trouva même le soupçon d'un sourire dans les yeux du général. Ce dernier lui indiqua de retirer sa tunique. Aussi belle fusse-t-elle, le sable rouge du gymnasium allait la tâcher. Et puis, ses mouvements y étaient réduits. Malgré son jeune âge, Eurylipe avait déjà les muscles aussi développés que des hommes de dix-sept ans. Il ne s'en targuait pas n'y voyant aucun intérêt puisqu'il ne remportait aucun combat. Méléagre en fit de même et Eurylipe comme Nycème purent voir à quoi ressembler un vrai guerrier. Chaque muscule, même le plus minuscule, roulait sous sa peau d'or. Par endroits, elle était rosie. Preuve d'une blessure de guerre que Méléagre collectionnait comme d'autres le faisaient avec leurs médailles.
Méléagre les disséqua une par une, tentant de trouver leur origine. Trois ronds presque parfaits dans le haut du dos. Des flèches. Une sur la côte droite. Une lance à laquelle il avait dû échapper en se jetant de côté. Sur les poignets, des cercles. D'anciennes cordes quand il avait été prisonnier de guerre. Un sourire à l'envers sur l'abdomen. Une estafilade entre ses deux pectoraux. Les plus impressionnantes. Des épées. Un combat en un contre un. Celle entre les pectoraux aurait dû le tuer. Qui était-il Méléagre qui survivait à de pareils épreuves ?
Il saisit une lance et un filet qu'il lança au garçon. C'était ses armes préférées qui laissaient la place à la stratégie. Méléagre choisit une épée courte. Il était du genre fonceur. Tuer un homme à mains nues ne lui était pas inconnu. Un jour, Eurylipe avait réussi dans un combat de lutte à le mettre à terre et le bloqua. Alors, Méléagre avait oublié que c'était son prince qui le surplombait. Ses dents s'étaient plantés dans son coude. Eurylipe avait hurlé à la mort, sentant pour la première fois une blessure de guerre. Méléagre avait été si confus qu'il s'était de lui-même retirer de ses obligations durant plusieurs jours. Eurylipe était retourné le chercher et lui avait demandé de continuer son enseignement. Son premier geste de roi : oublier la traîtrise de son général et le faire revenir au devant du champ de bataille. Sans jamais s'en targuer car le professeur et l'élève étaient les seuls à connaître cette incartade.
Méléagre rôdait autour de lui comme un fauve autour d'une brebis. Pourtant, Eurylipe ne se sentait pas la proie. Il était une raie, qui attendait sous le sable le premier poisson assez bête pour ne pas l'avoir remarqué. Alors que le général l'entourait avec de rapides enjambées, le regard du prince ne se détachait jamais de sa silhouette. Par moment, Méléagre plissait les yeux et faisait jouer le pommeau de son arme entre ses doigts robustes, Eurylipe répondait alors en pointant sa lance vers lui.
Soudain, Méléagre se jeta sur la gauche. Eurylipe s'en doutait. C'était le côté duquel il tenait son filet. Il le jeta dans les jambes du général qui l'enjamba. Durant cet instant, le prince fit passer sa lance dans sa main gauche. Il était ambidextre. On avait beau lui dire qu'utiliser la gauche n'était pas un présage, Méléagre lui avait annoncé l'inverse :
— Gauche ou droite, du moment que tu te bats peu m'importe.
Pour une fois, il avait donné raison au général en dépit de tous les autres. Mais, Méléagre le savait aussi. Il s'arrêta juste à temps avant que la pointe de l'arme ne rencontre son torse et attrapa la hampe de sa main libre. Avant que Eurylipe ne s'en rendit compte, il fut tiré en avant et se retrouva à terre. Devant le roi Nycème, Méléagre ne posa son pied sur le dos du garçon mais il l'aurait fait s'il n'avait été là. Pour montrer sa victoire. Eurylipe grinça des dents.
Des éclats de voix leur parvinrent. Ils regardèrent tous les droits le ciel comme si c'était les dieux qui se disputaient. Nycème attendit un instant, ayant compris que cela provenait de l'extérieur, il se dit que les gardes s'en occuperont. Mais, les voix redoublèrent :
— Je dois y aller. Soupira-t-il en se levant.
Méléagre saisit l'épaule de Eurylipe et le remit sur ses jambes :
— Allons-y.
On ne l'avait pas invité mais en voyant le roi boîtait, il n'avait pas envie de le laisser seul. Et puis, c'était le rôle d'Eurylipe de suivre son père pour apprendre de lui.
1 commentaire
Jessica Goudy
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Il y a 10 mois