silver Aristas Neireides Chant VI De la présomption 1

Chant VI De la présomption 1

Sept ans s'étaient écoulés depuis le prince Eurylipe avait été sauvé des eaux par la sorcière de Naxos. Il ne gardait presque aucun souvenir de cet événement. Il ne l'avait pas vu, resté inconscient jusqu'à ce qu'elle soit chassée par sa nourrice. Pourtant, il ressentait un frisson d'angoisse à cette pensée. Il avait l'impression que sa peau gardait le contact de ses mains sur son corps. Parfois il se mettait nu et s'observait sur tous les angles à la recherche d'une marque de sa malédiction. Il voyait les regards désespérés des domestiques lorsqu'il toussait, les soupirs de son père quand il ne répondait pas correctement, les lamentations étouffés de sa nourrice. Tout ça parce que les naxiens étaient maintenant persuadés qu'un malheur planait sur leur futur roi. La plupart du temps Eurylipe ne ressentait aucune menace. Il savait que les dieux l'observaient bien plus qu'un mortel basique. En tant que prince héritier, il était vouée à un destin au-dessus des hommes. Cependant, il lui arrivait parfois de ressentir un frisson glacé, comme si la malédiction était réelle.


La rencontre avec la sorcière avait vite été chassée par celle avec Méléagre. Le guerrier qui irradiait de puissance. Même s'il était misérablement assis sur un banc, face au grand roi Nycème, déjà un peu rond du vin, les yeux vitreux. Et pourtant, Eurylipe du haut de ses cinq ans n'était pas parvenu à le regarder dans les yeux. Ses iris étaient si noirs que, lorsque la colère montait en lui, on ne pouvait plus les distinguer de la pupille. Eurylipe imagina ce regard qui le terrorisait quand il réalisa qu'il était en retard.


Méléagre ne lui laissait aucun répit. Quand le prince n'était pas en train d'apprendre son futur rôle avec son père, le chef de guerre l'initier à la stratégie militaire et lui imposait des exercices d'armement digne des Spartes. Pourtant, Eurylipe lui avait déjà dit qu'il ne comptait pas s'illustrer de cette façon. A ses yeux, les Spartes étaient des rustres dont les méthodes de guerre les renvoyaient plus bas que la primitivité des étrusques :


— Lorsque tu seras sur le champ de bataille, personne ne viendra te sauver. Un roi se doit être un guerrier. Chaque affrontement que tu mèneras sera le tien, on te laissera lutter jusqu'à la mort car cette fin est encore préférable que d'être sauvé. Ton honneur et ta renommée sont plus importants que ta vie. Tu es prince.


La voix de Méléagre avait claqué dans le gymnasium. Les autres garçons de l'âge d'Eurylipe, qui deviendront ses fidèles soldats, ne s'étaient pas arrêtés dans leurs combats de lances et leurs lancées de disques. Ils avaient eu la décence de laisser le jeune prince seul face à sa honte. Mais, ils ne pouvaient non plus agir comme s'ils n'avaient pas entendu. Méléagre l'avait fait exprès pour l'humilier. Il pensait que Eurylipe ne méritait pas son statut. Le prince les imaginait lui et les jeunes garçons tapis dans l'obscurité de leur dortoir se moquant ouvertement d'Eurylipe le maudit. Bien qu'on ne lui en avait jamais fait part, il savait que ce titre était celui qu'on lui avait donné. La faute à cette île stupide qui s'était excitée d'une rencontre fortuite :


— Tu es retard.


Méléagre était campé sur ses jambes robustes, les mains croisées dans le dos. Son visage était tourné vers l'intérieur du gymnasium. Deux garçons jouaient aux épées. C'était les termes de Méléagre lorsque ses élèves étaient trop fatigués pour se battre avec véhémence. Cet homme... C'était comme s'il ne pouvait être que violence et hargne. Il était une machine à tuer fait uniquement pour assouvir les envies de conquête de son roi. C'était presque du gâchis qu'il fut aux ordres de Nycème, et il s'ennuiera bien plus avec Eurylipe :


— Qu'attends-tu ? Va donc te mettre en tenue. Tu commenceras pas la lutte.


C'était ce que Eurylipe détestait le plus. Il était un peu plus grand et trapu que les garçons de son âge mais Méléagre prenait un malin plaisir à le faire affronter des athlètes plus âgés. Si le général ne leur en donnait pas l'ordre, ils ménageraient leur futur roi et le laisseraient gagné. Encore plus humiliant que les insultes de Méléagre lorsqu'il commençait à faiblir et perdre. Eurylipe traversa le gymnasium en gardant la tête haute. Que le général ne le voulut ou non, il était chez lui. Ce palais lui appartiendrait un jour et toutes les personnes présentes dans cette pièce et au-delà seront à ses ordres. Alors qu'il rejoignit l'arrière de la salle pour se dévêtir, il remarqua son père.


Le roi Nycème s'entraînait peu. Ses activités ne lui plaisaient pas plus qu'à son fils. Ils étaient plus des stratèges et des hommes de pensée que des primates prêts à se battre. Jamais Eurylipe ne le vit de cette manière : à moitié nu, la barbe dégoulinante de sueur, les muscules bandés, rouge d'effort. Il haletait difficilement, Eurylipe eut peur qu'il ne fasse un arrêt. Mais, Nycème prit une impulsion et traversé en trois enjambées un banc de sable. A la dernière, il s'élança.


Ses jambes et ses bras parurent encore plus immense. Il traça un arc de cercle presque parfait avec tout son corps et retomba avec agilité sur le sol. Il était presque arrivé à la ligne qui désignait le record de Méléagre. Pendant quelques instants, il resta accroupi, la tête enfouie dans ses bras, sous le regard admiratif de son fils. Puis, il se releva. C'était difficile. Il émit un gémissement rauque alors que sa cuisse droite se contractait convulsivement. Il boîtait toujours un peu de ce côté. Et puis, il tomba sur le flan :


— Père !


Les combats cessèrent. Les deux garçons se tournèrent vers leur roi. Méléagre les congédia d'un geste de la main. Il lança un regard noir à Eurylipe avant de s'approcher du roi. Il le rejoignit avant les domestiques qui pressèrent un linge sec sur la figure ensablée de Nycème et des onguents sur sa cuisse. La douleur avait rendu ses yeux rouges. Méléagre s'agenouilla face à lui :


— Tu as trop fait. Le sermonna-t-il. Je t'avais bien dit que tu n'étais pas prêt.


— Je voulais essayer.

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