Fyctia
Chant V D'une invasion 1
Un vent s'était levé autour de Naxos. Juste assez frais pour former une myriade de frissons sur la peau de Néoméris. Elle aimait le vent. Il lui chatouillait les oreilles et faisait chanter les feuillages avec grâce. La tête reposée sur ses genoux, elle regardait l'horizon en attendant que les pièges à poissons se refermèrent. Elle n'aimait pas pêcher. Retirer ces êtres de leur élément, leur ôter la vie pour se nourrir et les vendre à des gens qui ne lui jetait pas un coup d'œil la répugnaient. Elle préférait partir aux pâturages avec son oncle et traire ses brebis avec lui. Mais, Anatola avait décidé de participer à toutes les messes données en l'honneur du petit prince Eurylipe alors elle était seule pour s'en occuper. Depuis un mois, les tritonnes faisaient brûler des encens et invitaient les naxiens à déposer des offrandes pour le sauver du mal qui le guette. Elles ne s'étaient pas attardées sur ce fameux mal mais Néoméris trouvait étrange que les messes avaient débuté le soir où elle l'avait sauvé de la noyade. Elle s'était gardée d'en avertir Anatola.
Enfin, on n'avait pas appris à médire à Néoméris. Elle étira les muscules endoloris de ses épaules avec un gémissement. La langueur de la pêche ne lui plaisait pas non plus. Elle avait besoin de sauter, de courir, de jouer. Mais, elle n'avait pas le droit de s'aventurer trop loin malgré son âge. De toute façon, il y avait toujours le risque qu'elle fut acculée si elle croisait seule des habitants de l'île. Son regard se posa sur la mer. Elle glissa un pied dans l'eau. Une balle flottait à quelques mètres d'elle. Son cuir brin brillait de mille feux. Néoméris se pencha pour la récupérer :
— Non !
Elle sursauta et se tourna vers la voix. Deux jeunes femmes de son âge descendaient les rochers avec de petits sauts. La première penchait dangereusement en avant. Elle risquait de tomber. Derrière elle, sa camarade faisait plus attention à ne pas tâcher sa toge qu'à son amie. Alors, Néoméris se redressa légèrement et tendit la main pour aider la jeune femme. Celle-ci la vit enfin. Elle la remercia d'abord d'un sourire discret. Néoméris la trouva belle avec ses yeux bruns et son visage aux traits fins. Mais alors que ses yeux se posèrent sur la brûlure de la fille du dieu volcan, la jeune femme perdit son sourire et se recula. Son pierre dérapa sur la pierre glissante. Elle tomba avec un bruit mat. Son amie l'agrippa par les épaules pour l'entraîner en arrière. Néoméris voulut s'assurer qu'elle allait bien et fit un pas dans sa direction :
— Non ! Ne me touche pas !
C'était une supplication. Un désespoir lançait au vent. C'était encore pire que de la haine :
— Garde notre balle. Ce n'est pas si grave.
Et elle se redressa. Elles détalèrent comme un lapin face à un loup. Néoméris avait toujours la main tendue en avant. Elle la rétracta contre elle en songeant qu'elle n'avait jamais pris que celle de sa mère. Elle ne s'était jamais baladée avec une amie puisqu'elle n'en avait pas. Elle ne savait pas ce que se confier était. Elle n'avait rien à confier. Le piège à poissons bougea. Néoméris se pencha pour le prendre. Le ballon avait encore dérivé. Elle le regarda un instant. Même si elle le prenait. Elle n'avait personne avec qui jouer. Ce n'était même pas un cadeau. Elle le lui avait cédé comme on laisse un os à un molosse méchant. Le ballon était hors de vue lorsqu'elle rejoignit la cabane.
Soudain, la mer lui semblait étroite malgré l'immensité qui se déroulait sous ses yeux. Elle sera toujours bloquée à Naxos où personne ne voudra la prendre pour la déposer ailleurs. Il paraît qu'il y avait un grand continent au-delà des îles sur lequel elle pouvait se perdre. C'était peut-être la solution. Mais, elle ne pouvait pas abandonner sa mère.
Un point retint son attention. C'était un bateau. Cela, ça ne la surprit pas. Mais, c'était un navire grand, aux voiles noires qui arboraient une armoirie dotée d'un phœnix. Les navires des pêcheurs étaient bien plus modestes. Et puis, ça n'était pas les navires d'Ithaque qui ne ressemblaient pas à ceux-là. Ils se rapprochaient vers les côtes naxiennes.
Elle laissa ses poissons dans le bac où ils attendaient la mort, encore frétillant et luisant du sel de la mer. Un parfum vaseux remontait par effluves. Néoméris ne prit pas la peine de les laver, ni même de les assommer ou de les couvrir pour cacher l'odeur. Elle retint les pans de sa tunique sur ses chevilles et marcha à grands pas vers le palais. Elle connaissait le chemin par cœur bien qu'elle n'y était jamais entrée. Tous les ans, pour l'anniversaire du roi, Nycème conviait les naxiens pour leur offrir du vin et un banquet en échange de leurs offrandes. Il n'y avait pas d'invitations mais il avait toujours semblé à Anatola qu'elle et sa fille n'y étaient pas conviées. Mais, une année avant ses dix ans, Néoméris avait pleuré toute la journée et boudait sa mère car elle voulait aller aux festivités. Elle avait fini par s'échapper et avait rattrapé le chemin du palais. Les beaux habits des naxiens qui s'étaient parés, les parfums, les larges coupelles qu'ils portaient sur leurs épaules, les tambourins à l'intérieur, les nombreuses torches, les danseuses agiles et fluettes, les tissus bariolés. Elle n'en avait pas eu assez et avait voulu approcher. Mais alors, un homme l'avait reconnue, saisie par les cheveux et traînée jusqu'à l'orée de la forêt. Néoméris avait eu peur :
— Sale monstre ! Avait-il craché. Tu veux gâcher les festivités pour notre bon roi ? Je vais t'apprendre...
Elle était terrée contre les racines d'un arbre, les bras devant le visage pour se protéger. La voix de l'homme mourut. Il regardait un point dans le dos de l'enfant, pâlit. Néoméris sentit un vent chaud contre elle. Et puis, l'homme partit sans la battre. Et elle de rentrer sans jamais plus chercher à approcher le palais.
1 commentaire
Jessica Goudy
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Il y a 10 mois