Fyctia
Chant II D'un chef de guerre 2
La nourrice s'arrêta sur le pas de la porte et s'agenouilla face à son roi. Nycème ne l'aurait pas remarqué si Eurylipe n'aurait pas couru à lui. Tel un petit être des bois, il sautillait dans la pièce en riant ne s'arrêtant qu'à distance de son père. Il observa du coin de l'œil l'homme qu'il ne put s'empêcher d'admirer. Il portait un plastron de bronze, des jambières du même métal. A ses pieds, un casque à crinière avait été posé attirant l'attention du petit garçon qui fit un pas dans la direction du militaire. Mais, alors que ses petits doigts se dirigèrent vers le casque, l'homme le saisit et le posa sur le siège à ses côtés. Alors, Eurylipe le regarda.
Il était d'une beauté froide avec sa peau dorée, ses yeux bruns et ses cheveux de fauves qui tombait sur ses épaules. Mais, son regard était glacial. Il figea le petit garçon qui regarda ses pieds comme s'il avait commis une grave erreur :
— Je te présente mon fils, Méléagre. Le prince Eurylipe, futur roi de Naxos.
Malgré son jeune âge, Eurylipe savait que lorsque son père le présentait ainsi, il devait redresser la tête, ouvrir le torse et regarder droit dans les yeux son interlocuteur. Ce qu'il fit tirant un sourire en coin au militaire :
— Eurylipe, cet homme est mon ami : Méléagre, général des armées de Naxos, héros de guerre. A partir de maintenant, il se chargera de ton éducation et m'aidera à faire de toi un roi.
Un couinement étouffé parvint du fond de la pièce. Méléagre et Nycème se tournèrent ensemble pour regarder la nourrice qui frappait de son poing sa poitrine. Elle n'osa pas relever ses yeux trempés de larmes. Nycème eut un sourire conciliant :
— Ce jour devait arriver, nourrice.
— Il est si jeune...
— Peut-être mais moi je ne le suis plus et j'ai besoin de savoir que mon unique héritage perdura. Méléagre est un homme dur mais bon, il saura s'occuper de lui.
Tout ce que la nourrice pensa, c'était que la séparation arrivait trop vite. Ce matin encore, Eurylipe avait sauté de son lit à ses bras en l'embrassant. Demain, ce sera ce général qui le tirerait de son sommeil. Trop tôt et trop durement comme les militaires savent le faire. Elle ne put s'empêcher de penser que cet être, parti depuis si longtemps qu'elle avait oublié son existence, avait été ramenée par la maudite. C'était l'œuvre de Néoméris. Elle avait tenu si longtemps l'enfant dans ses bras qu'elle lui avait insufflé la morsure de la malédiction :
— Maintenant que cela est fait, peut-être peux-tu m'expliquer pour mon fils est trempé ?
Une traînée de goulettes suivait Eurylipe là où il avait sautillé dans la pièce. Ses boucles collaient son front et sa tunique était encore lourde d'eau. Encore une fois, le petit garçon baissa les yeux, sachant que cette fois, il avait fait une grosse bêtise :
— Il est tombé à l'eau, mon roi.
— Ah ? Mais, il ne me semblait pas l'avoir autorisé à prendre un bain.
— Ze suis tombé... Avoua Eurylipe d'une voix déjà larmoyante.
Nycème lui lança un regard pénétrant. Puis, il posa la main sur son épaule :
— C'est bien que tu ne laisses pas ta nourrice se faire accuser à ta place. Tu es remonté seul ?
Le garçon secoua la tête, honteux. Il était tombé comme une pierre, incapable de remonter à la surface. Il savait nager quand l'eau n'était pas trop profonde mais il avait une peur transie de la mer. C'était une blessure pour lui, le prince d'une nation de pêcheur. Alors que les enfants de son âge nageaient au loin, prenaient des petites barques et allaient au-delà des adultes, lui restait sur le bord, incapable de mettre un pied dans l'eau sans qu'un garde ne soit dans son dos. Le regard du roi se voila même s'il ne fit aucun commentaire :
— Mon roi, intervint la nourrice, il a été... récupéré par la sorcière.
— Il n'y a pas de sorcière sur mon île. Répondit Nycème avec son grand sourire.
— La fille maudite d'Héphaïstos, Néoméris.
Nycème perdit son sourire. Il devint même blanc. Son regard se posa sur son fils qu'il tira contre sa hanche comme s'il pouvait le protéger avec un mouvement aussi anodin. Il posa la main sur la ligne de la mâchoire, se rassurant plutôt que Eurylipe :
— Va voir les prêtres d'Amphitrite et demande-leur leur avis. Ordonna le roi d'une voix grave. S'il le faut, sacrifier tout le bétail de l'île pour obtenir la clémence des dieux.
— Bien mon roi.
La nourrice sortit à la hâte. Elle avait le cœur plus léger. Même si elle n'avait jamais douté que le roi protège son fils de toutes ses forces, elle avait craint qu'il ne prenne pas la menace à sa hauteur.
Méléagre observait le jeune prince sur les genoux de son père. Nycème n'était pas gâteaux, et il n'était pas si vieux puisqu'il n'avait que vingt-cinq ans. Mais, il ressemblait déjà au vieux roi auprès duquel il avait grandi. Il était naxien de naissance, le fils de pêcheurs depuis des générations. Mais, les enfants de Naxos étaient éduqués ensemble. Très tôt, les aptitudes de guerrier du jeune garçon avait été remarqué et avant la naissance de la maudite, il avait été envoyé au Pélion, étudié les armes auprès du roi Pélée qui avait lui-même éduqué son propre fils : le héros Achille. C'était un honneur dont il était le seul à avoir bénéficié sur l'île. A son retour, malgré ses quinze ans il avait été nommé général des armées de Naxos par Nycème qui était alors jeune roi. Ils se voyaient peu Méléagre restait fils de pêcheur et il préférait être en mer plutôt que sur l'île à se prélasser. On n'avait jamais mentionné la maudite devant lui. Et puis, il ne se souciait pas des ragots.
Mais, le soucis barrait son front même lorsqu'il posait les yeux sur son fils. Méléagre se pencha en avant, les coudes posés sur les genoux, le regard pétillant de curiosité :
— Mon ami, qui est cette Néoméris ? Pourquoi tremblez-vous en entendant son nom ?
— Eurylipe, répliqua le roi en posant son fils au sol, va te changer pour le souper.
— Mais ma nourrice n'est pas là...
— Tu dois apprendre à le faire seule. Rétorqua Méléagre choqué. Tu as cinq ans, tu dois t'habiller sans que l'on ne t'aide.
Il trouvait le prince mou et Eurylipe le trouvait trop sévère. Il interrogea son père du regard qui désigna du menton la porte qui donnait sur le couloir qui menait au gynécée. Malgré le décès de sa mère, Eurylipe continuait de vivre avec les femmes. Nycème entendit que le bruit de ses pas s'évanouirent pour parler.
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