Fyctia
Chant II D'un chef de guerre 1
Il fallait gravir des marches escarpés pour aller jusqu'au palais du roi Nycème. Des marches faites de terre battue, renforcées par des pavés de roches volcaniques. La nourrice se hissa avec difficulté. Elle avait des pieds calleux sur lequel le poids de ces années de travail pesaient. Elle avait non seulement été la nourrice de Nycème et celle d'Eurylipe mais entre les deux héritiers de Naxos, il y avait aussi les autres enfants de l'île : d'abord, ceux des domestiques du palais, les nourrissons du port, les enfants des bergers. Finalement, la seule dont la vieille nourrice ne s'était pas occupée, c'était Néoméris. Anatola avait bien essayé à sa naissance de lui présenter l'enfant défiguré arguant qu'elle était aussi sa nourrice et que maintenant qu'elle était mère devait l'élever seule et travailler pour gagner leur pitance. La nourrice avait refusé répondant que l'enfant maudirait les autres par sa simple présence. Il était donc normal qu'elle ne ressente aucune pitié en la voyant.
Elle gravit les marches en tenant le petit prince par la main. Avec sa petite taille, Eurylipe se servait aussi de ses mains pour monter. Les gardes dans son dos surveillaient le moindre de ses gestes car le garçon tanguait en arrière. Lorsque la nourrice atteignit enfin le chemin de terre ocre qui menait au palais, elle tira Eurylipe à elle et le prit dans ses bras. Elle le serrait anormalement fort. Il sentait la peau distendue de ses bras battre contre son dos encore mouillé. Ses cheveux blonds humidifiaient l'épaule de la vieille femme. Elle marchait d'un pas rapide, un peu claudiquant car elle n'était pas habituée à parcourir de longues distances en portant un enfant de cinq ans. Du moins, elle n'en avait plus la force.
Dans sa tête, les idées s'imbriquaient et profusaient. Elle ne pensait qu'au visage maudit de Néoméris. Elle avait au cours de sa vie rencontrer de nombreux enfants blessés. Des enfants de berger qui avaient reçu un coup de sabot, les petits pêcheurs dont la peau s'était coincée dans les hameçons, les domestiques qui avaient été immergés dans l'eau bouillonnante. Mais, lorsqu'ils avaient été blessé alors qu'ils n'étaient que des nourrissons, les stigmates partaient à l'âge adulte. Néoméris avait presque seize ans, si elle comptait bien. Et pourtant, la moitié de son visage était toujours aussi rouge et fripée que le jour où Anatola lui avait demandé d'être sa nourrice. Un tel acte avait été donné par un dieu, le père de l'enfant, que voulait-il sinon la maudire à vie pour blesser ainsi sa propre fille ? Les rumeurs n'en étaient pas pour la nourrice. Sentant la tension dans les bras de la femme qui le portait, le prince Eurylipe se mit à pleurer. Elle caressa ses cheveux et le berça en chuchotant des comptines à ses oreilles :
— Ne t'inquiète pas mon prince, tu deviendras un grand roi. Et ce n'est pas une roturière qui te fera du mal.
Le palais apparut alors. Il était bordé par les lumières rosées du coucher de soleil qui mettait en avant la pierre blanche et l'or du bâtiment. Contrairement au temple d'Amphitrite, les pierres avaient été amenées d'une carrière étrusque. Tous les hommes de l'île avaient été dépêchés pour ramener le butin. C'était un magnifique palais que même le roi d'Athènes félicitait, bien qu'il se disait qu'il le comparait à un pavillon de chasse. En le voyant sous le ciel orangé, on aurait dit qu'il était en proie aux flammes. Eurlypide redressa la tête et observa son foyer, son palais. Il pointa un doigt et gazouilla. La nourrice retrouva alors son sourire.
Eurylipe était un garçon mignon avec ses tâches de rousseur, son nez retroussé, ses yeux verts et ses cheveux bruns bouclés. Ce sera un jeune homme beau et un roi magnifique. Elle était orgueilleuse d'être sa nourrice. D'autant plus que la mère du petit était morte en couche. La nourrice était pour ainsi dire la mère du petit bien qu'elle savait qu'un jour, le roi reprendrait son fils, leur fils, et en fera un homme. Cette simple pensée mouilla ses yeux. Parmi tous les enfants qu'elle avait élevé, c'était Eurylipe qu'elle préférait. Parfois, elle se disait même qu'elle le préférait à son propre fils :
— 'pa !
Malgré son âge avancé, Eurylipe avait quelques problèmes d'élocution. En fait, il ne parlait presque pas parce qu'un regard servait à assouvir ses désirs muets. Il sera un bon roi. Songea la nourrice. Car un bon roi sait se faire obéir en un regard.
Nycème ressemblait à son fils avec ses boucles brunes qui formaient une auréole autour de sa tête et ses yeux verts. Pour le reste, il avait toujours un sourire éblouissant là où le petit gardait le regard grave et le port de tête de son futur rang. Il était assis sur son trône, une jambe pendant sur l'accoudoir. Cette position ne lui était pas habituel, à moins qu'il n'eut une dure journée d'entraînement. Devant lui, un homme était assis sur un siège. Il tenait dans sa main un gobelet que les serviteurs remplissaient de cycéon. Nycème était friand de cette boisson qui annonçait un invité.
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