Fyctia
Chant I D'un jeune prince 2
Néoméris fut tirée de ses pensées par la rauque mais douce de sa mère. Même lorsqu'elle voulait se mettre en colère, Anatola n'y parvenait pas vraiment. Surtout pas sur son unique fille. C'était cette douceur qui avait attiré Héphaïstos car elle n'avait rien d'autre pour briller. Elle posa ses yeux sombres et grands, pareils à ceux de sa fille sur visage. Sans cette marque sur sa peau, on aurait su dire si Néoméris n'était pas juste le fruit d'Anatola tant la mère et la fille se ressemblaient. Bien que depuis quelques temps, des mèches blanches étaient apparues chez Anatola.
Ce que Néoméris préférait chez elle, c'était son regard. Il était franc et surtout, elle osait regarder sa fille droit dans les yeux, s'obligeant à affronter la brûlure. Cette blessure la hantait. C'était la preuve qu'aux premiers jours de la naissance de sa fille, elle avait failli. Elle n'était pas parvenue à protéger ce qu'elle avait de plus cher :
— C'est pas possible ! Tu aurais pu faire attention !
Néoméris suivit le regard de sa mère. Au loin, un drap maculé et un autre rouge s'éloignaient avec les courants frais de la mer. Anatola commença à retrousser sa toge sur ses mollets. Néoméris l'arrêta. Elle venait d'aller prier au temple d'Amphitrite. Sa mère se paraît toujours des quelques bijoux et vêtements qu'elles avaient pour cette occasion. Si cela n'intéressait pas Néoméris, elle savait à quel point cette parure importait à Anatola. Elle s'y accrochait comme si elle avait une chance de se sortir de la déchéance ainsi. Et pourtant, il était fort probable qu'aucune prêtresse ne l'ait saluée.
Néoméris se hissa debout. Elle retira par le haut sa longue robe qui la couvrait jusqu'à la plante des pieds. Anatola roula des yeux en découvrant que sa fille, une fois de plus, n'avait pas revêtu ses sandales. Néoméris lui tendit sa robe sans se soucier de sa nudité. Elle hissa les bras au-dessus de sa tête et sauta à l'eau. La fraîcheur l'atteignit, non pas comme une aiguille de fer qu'on planterait dans sa peau mais comme la fraîcheur d'une chambre à l'ombre. Du moins, ce qu'elle pensait être la fraîcheur d'une chambre à l'ombre. Car à part le temple d'Amphitrite et leur cabane, on n'autorisait jamais Néoméris à entrer dans une maison préférant la laisser attendre dehors.
En quelques battement de bras et de chambres, elle fut à la hauteur des deux draps qu'elle saisit d'une main leste. Mais, alors qu'elle se tourna, elle fit face à deux courants. Le premier la conduisait à sa berge où elle voyait les chevilles de sa mère dans l'eau et sa main blanche qui attrapait les vêtements un à un. Le second était un peu plus loin et donnait sur un quai dont le sentier remonter abruptement jusqu'à une allée de graviers blancs qui donnait sur l'arrière du palais de Nycème. Néoméris connaissait bien ce chemin qu'elle empruntait parfois en espérant voir le roi et son fils.
Quel ne fut pas sa surprise lorsqu'elle découvrit, une femme bien en chair, à la poitrine lourde, qui tenait par une main un poteau du quai et de l'autre, elle tentait d'agripper quelque chose tombé à l'eau. La surprise de Néoméris décupla lorsqu'elle vit un garçon. Il n'avait pas cinq ans. Ses bras bronzés étaient cerclés de bracelets d'or, sa tunique était richement brodé et sa tête cintrée par une fine couronne. C'était le prince Eurylipe. Tous les ans, son père l'emmenait pour une longue balade autour de Naxos si bien que tout le monde l'avait déjà vu une fois. Même Néoméris qui n'avait pas osé s'approcher.
Elle ne réfléchit pas, lâcha les deux draps et nagea à toute allure vers le prince. Il n'était qu'un petit enfant mais il tombait dans les abysses comme un poids de plomb. Sa tunique rêche agrippa forte heureusement les longs doigts de Néoméris. Elle le plaqua contre sa poitrine et battit de toutes ses forces pour tirer l'enfant des flots. Elle voyait la surface blanche, comme la sortie d'un long tunnel à travers les vagues bleues qui l'entouraient.
En tenant un enfant dont la vie dépendait d'elle, Néoméris prit conscience de la solitude de la mer. Il n'y avait ni bruit, ni créature au larges de Naxos. Que le prince et elle. Elle et le prince.
Elle battit plus fort des pieds. Et enfin, les rayons chauds du soleil les accueillirent. Ils percèrent la pellicule d'eau comme une bulle. Néoméris reprit son souffle et toussa alors qu'elle tendit le petit garçon à sa nourrice. La femme le prit par les épaules. Elle le hissa, avec l'aide de deux gardes alertés par les cris, sur le ponton. Le petit garçon resta quelques secondes, une éternité pour les quatre adultes autour de lui, inerte. Et puis, l'un des gardes osa lui donnait une tapette sur le joue. Eurylipe toussota. Soulagée, la nourrice porta ses mains au ciel en remerciant les dieux. Le garde tourna le visage du garçon, une flaque d'eau salée se répandit hors de ses lèvres. Alors, Eurylipe se mit à tousser encore plus et ses propres régurgitations le réveillèrent :
— Merci ! Merci ! Merci de l'avoir épargné ! S'écriait la nourrice.
Néoméris l'observa avec un regard désapprobateur. C'était elle qui avait sauvé le prince. Il avait bien fallu l'aide des dieux pour qu'elle reste si longtemps sous l'eau et fasse preuve d'autant de forces, mais enfin la nourrice pouvait lui accorder un mot.
Elle se précipita vers l'enfant et le prit dans ses bras, écrasant son visage dans sa large poitrine. Enfin, comme si elle avait entendu les ruminations intérieurs de Néoméris, elle se tourna vers elle. Son visage avait perdu toute joie. Il se renferma encore plus lorsqu'elle vit la marque sur le visage la jeune fille :
— Toi ! Tu as osé toucher notre prince avec tes pattes de maudite !
— Je l'ai sauvé. Rectifia Néoméris.
— Ne sois pas imbue. Ceux sont les dieux qui lui ont accordé la grâce.
Son regard dériva sur le corps de Néoméris. Elle n'avait que le cou et la tête d'immergés. Ses longs cheveux bruns se déversaient autour d'elle. Mais enfin, sa nudité formait une flaque argentée dans la mer d'azur :
— Et tu es nue ! S'indigna la nourrice. N'as-tu pas honte ?
Le jeune prince la dévisagea à son tour. Néoméris rougit jusqu'à la pointe de ses cheveux. Elle avait déjà vu des jeunes garçons qui jouaient sur les plages sans se soucier de leur nudité, des femmes qui utilisaient l'eau des ruisseaux, des pêcheurs qui profitaient d'une journée calmes. Mais, elle savait bien qu'elle, être répudie d'opprobre, elle n'avait pas le droit d'imposer sa nudité. Encore moins pour tenir entre ses bras un digne prince. Elle prit une profonde inspiration, s'immergea et nagea jusqu'à sa mère.
4 commentaires
Sarah Fleury
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Il y a un an
silver
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Il y a un an
Dystopia_Girl
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Il y a un an
silver
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Il y a un an