Fyctia
Chant I D'un jeune prince 1
Les pieds dans l'eau fraîche de la mer, les bras et les jambes nues pour goûter aux rayons brûlants du soleil, assise sur la pierre rêche d'une crique, Néoméris se laissait aller à penser alors qu'elle faisait tremper son linge dans la mer. Elle n'avait pas peur, contrairement à ses consœurs mortelles, d'être entraînée par le courant. Néoméris était la meilleure nageuse de son île, peut-être même de la Grèce. Elle était si incroyable qu'elle avait parfois l'impression de respirer dans l'eau. Mais, alors que son linge trempée, elle ne pouvait que rester à sa place et penser. Elle aimait ça aussi. Laisser les idées qui affluaient dans sa tête s'imposaient à son esprit. Elle pensa à son île.
Naxos était petite île. Une ville portuaire, le palais du roi Nycème sur le sommet des montagnes, autour des pâturages peu verdoyants car l'île n'était presque que de la caillasse, déjection des éruptions volcaniques lorsque le dieu Héphaïstos se mettait en colère. La majorité de l'île était composé de pêcheur et de bergers, et des femmes. Les naxiens faisaient beaucoup de filles si bien que sur cette île, un temple à l'honneur d'Amphitrite, déesse de la mer, avait été érigé. Il y a bien des années que ce temple existait. D'abord minuscule autel pour célébrer les premiers pêcheurs venus s'installer sur cette île désertique avec leurs familles, il était devenu une vraie cabane de bois où les femmes apportaient les offrandes que leurs maris pêcheurs chassaient dans les mers.
Et puis, les rois de Naxos apparurent. Cela ne s'était pas fait du jour au lendemain. Il y avait plusieurs décennies que les chefs se succédaient. La dynastie des rois n'imposait qu'un changement : ce n'était plus aux naxiens de choisir leur chef. Il allait de soi à la naissance de chaque héritier mâle. Et si les naxiens faisaient beaucoup de filles, leurs rois faisaient toujours au moins un fils qui atteignait toujours l'âge adulte et régnait sur eux. Avec les rois, vinrent les reines. Ceux sont elles qui s'occupèrent du temple. Huit cent ans avant cette histoire, Eurydice, reine de Naxos, fit ériger le magnifique temple d'Amphitrite. Un bâtiment en rectangle à angle droit, aux colonnades moulés, au toit parfaitement droit. Une immense salle servait d'autel dans laquelle plus d'une vingtaine de femmes pouvaient se rejoindre en même temps. Sur les murs, la déesse et son mari, le dieux des océans Poséidon, étaient célébrés avec les plus peintures que les rares artistes de Naxos pouvaient produire. Ils étaient peu alors à chaque fois que l'un d'entre eux émergeait des bergers et des pêcheurs qui formaient la petite cité, les reines les chargeaient de peintre le temple.
Eurydice utilisa de la pierre grise des volcans, une requête étrange, fantaisiste pour les autres vestales. Mais au moins, du large de la mer, on ne détachait pas le temple de la pierre de l'île et alors, il n'avait jamais été pris d'assaut par les invasions. Les naxiens allaient donc se réfugier dans le temple, lorsque leur île était en proie aux guerres. Les offrandes à la déesse se firent plus nombreux car s'ils survivaient c'était littéralement dans son sein. Ainsi, c'est tout naturellement que les rois décidèrent que leur étendard serait aux couleurs de la déesse.
Un hippocampe noir trônait fièrement sur un fond bleu. Les cavaliers des mers. Une représentation bien arrogante car il y avait des peuples en Grèce qui étaient de vrais armées des mers. Là où les naxiens ne pouvaient se vanter que d'une minuscule armée, qui devait être en tant que guerre rembourrer par les bergers et les pêcheurs. Mais, les naxiens étaient orgueilleux de leur étendard si bien que la plupart d'entre eux arborait un bijoux, une médaille, une broderie à l'effigie de leur hippocampe.
Néoméris ne dérogeait pas à la règle. Sa mère, la douce Anatola, lui avait offert un médaillon de bois sur lequel un hippocampe avait été gravé. On reconnaissait parfaitement le fier museau du cheval des mers, ses écoutilles mais quand au bas entortillé, il était grossièrement dessiné. Ce devait être le moment où le graveur avait compris que son bijou irait à l'enfant maudite d'Anatola. Les naxiens n'aimaient pas Néoméris à tel point qu'ils ne lui laissaient pas le droit de porter elle aussi le symbole de leur île.
Pourtant, Néoméris adorait Naxos. Elle n'avait jamais connu que cette île. Peut-être, mais elle savait des histoires qu'elle entendait par les pêcheurs qu'il n'y en avait pas de plus tranquilles. Des plus fertiles, sûrement, des plus belles, bien entendu, des plus glorieuses, évidemment. Mais des plus tranquilles, aucunes. Même lorsque leur roi Aristote, père du roi Nycème, partit à Troie avec son frère de lait, le roi Ulysse d'Ithaque leurs voisins, l'île se porta sereine. Alors que les dieux se bataillaient au milieu des grecs et des troyens, Amphitrite prenait soin des hommes et des femmes qui la vénéraient. Et puis, Même si Ithaque était aussi tranquille que Naxos, il avait fallu dix ans à leur roi pour revenir durant lesquels les prétendants se pressaient à la porte de la chambre de la reine Pénélope, qui garda sa fidélité pour son mari. Bien que Aristote avait envoyé sa propre garde pour aider la femme de son ami, Naxos n'avait pas souffert de cette décision. Personne ne vint leur demander des comptes.
Non, décidément, Naxos était un endroit tranquille. Il aurait pu être parfait si les iliens ne montraient pas si ouvertement leur haine pour Néoméris. Elle ne les entendait plus mais elle les voyait toujours. Leurs visages dégoûtaient à la vue de son visage tuméfié à vie. Sa balafre qui circulait du bas du milieu de son œil gauche, sur sa joue jusqu'à la ligne de sa mâchoire que la brûlure avait dentelé. C'était la marque du dieu qui s'opposait à leur déesse. Alors que l'eau et la mer étaient les éléments des naxiens, Néoméris portait sur elle la marque du dieu des forges et des volcans, Héphaïstos. C'était aussi de la jalousie. Si Néoméris n'aurait pas l'enfant d'un dieu, ce même dieu qui l'avait défigurée, peut-être auraient-ils eu pitié. Mais, elle ne savait dire ce que de la pitié ou de la haine elle préférait :
— Ne tire pas au flanc !
3 commentaires
Sarah Fleury
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Il y a un an
Maxousoka
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Il y a un an
silver
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Il y a un an