Fyctia
Chapitre 102 (2/4)
Jérémie
— Vous auriez pu me dire tout ça par téléphone, je remarque.
— Sommes-nous dans un lieu confidentiel ? demande le Maître fébrilement.
Je lève ma tête, sans surprise, je croise les yeux marron de Benjamin, cette fouine de dix-sept ans qui me sert de petit frère. Je lui fais un clin d’œil en signe que je l’ai repéré et il disparaît aussitôt de la fenêtre.
— Nous devrions aller plus loin vers le jardin, je suggère.
Nous nous éloignons loin des fenêtres et des oreilles indiscrètes, au milieu du jardin, sur une table en pierre qui a vécu des meilleures années. Pendant que le notaire fouille dans son attaché-case, je dévisage l’assistant d’Allesion, il a le regard fuyant et une attitude nonchalante, la peau mate, de plus près, il me semble légèrement plus jeune que moi. Je me demande s’il est muet, il n’a pas dit un mot depuis notre rencontre. Maître Izan dégaine deux épais dossiers dignes de concurrencer un dictionnaire afin de les présenter au négociant et à moi.
— Monsieur Piedoie a conscience, Monsieur Allesion, du tort qu’il vous a causé et que votre dédommagement est moindre face à la réputation que vous avez perdue. Ainsi, il propose que vous restituiez le terrain que vous avez eu en dédommagement à monsieur Jérémie Cellier, ici présent, et à la place de l’échanger contre quatre véritables tableaux d’Andy Warhol, peint en 1960, nommés Supermans, qui ont été exposés au Museum of Modern Art, au MOMA de New York en 1989.
Mathys Allesion s’empresse d’accepter, il me faut toute ma concentration pour ne pas éclater de rire. Ces quatre tableaux, ces quatre faux, je les connais bien, car ils ont été ensuite vendus à l’hôtel Drouot en 1992 et j’ai fait une longue analyse dessus pour mon Master 2. Ce n’est pas Éric qui les a peints, c’est l’un de ses proches amis, David Stein. Éric les a récupérés vers 2010 pour sa collection personnelle. Même dans la mort, il se moque d’Allesion, j’ai une grande exaltation, j’admets.
Je devrais peut-être le prévenir ? D’un autre côté, j’ai besoin de ce terrain pour enfin être crédible auprès de KtH. Avant même que je me décide, Mathys signe les papiers auprès du Maître et se lève d’un bond, en signe de victoire et aboie sur son assistant de le suivre.
— Cellier, n’oublie pas que tu dois être présent au vernissage à 20 heures.
J’acquiesce de résignation et ils s’éloignent. J’observe le Maître silencieusement.
— Quant à vous, Monsieur Cellier, Monsieur Piedoie considère qu’il est parti en réussissant l’exploit d’être un artiste, mais aussi un faussaire de génie. Malgré les nombreux tests qu’il vous a fait passer, vous avez quasiment toujours reconnu le vrai du faux.
Je fronce les sourcils, sceptique et passe ma main dans ma nuque mal à l’aise.
— Il a décidé de vous confier la totale jouissance de son coffre-fort qu’il possède sur le port-franc de Genève, selon ses propres termes, il ne se souvient plus si ce sont des croûtes reproduites à 300 € ou des chefs-d’œuvres à 300'000 €. Ceci est un inventaire succinct, le règlement des frais successions a déjà été réglé via des dons de tableaux de son vivant à l’Etat.
Il me tend une clé, ouvre le dossier et je commence à le consulter avidement. Je déglutis difficilement, savoir que tous ces objets ont traversé les époques, suscitent encore un engouement passionné déraisonnable, et qu’ils sont à moi maintenant, ça me dépasse. Je n’ai jamais eu les sous pour ce hobby chic, et de toute manière, je n’ai pas cette fièvre acheteuse.
— Il y a une subtilité, si vous voulez vendre ces œuvres, je cite : « Gueule d’Ange, le marché de l'art a ses propres règles et nous avons les nôtres. On a tué l'art, désormais plus d’un dansent sur son cadavre. Toi, tu continues de le faire vivre. J’ai appris que tu as repris tes études pour faire du droit et ouvrir ta propre galerie, afin d’être crédible. Moi, j’ai toujours dit, tu as le pedigree pour inspirer confiance ! Tu as ça dans le sang. Puis, j’apprends que tu as redoublé. Bien, je vais te mettre un coup de pied au cul d’où je suis. Tu pourras vendre ces pièces d’art seulement dans ta propre galerie, quand tu auras obtenu cette foutue licence de droit. »
J’esquisse un sourire, même mort, ça reste un éternel emmerdeur. Maître Izan sort une boîte en velours rouge et me la tend.
— Il souhaitait qu’elle vous revienne.
Délicatement, j’ouvre la boîte, mon cœur bondit dans tous les sens et je suis pris par l’émotion. Je chasse cette poussière de mon œil et me racle la gorge. Je la reconnaîtrai entre mille, sa montre Britling Emergency, au cadran vert dégradé. Les rares fois qu’Éric la portait, je lui balançais qu’elle s’accordait mieux à mes yeux verts, que d’ailleurs sa montre était sensible à cette réflexion esthétique et artistique. Désarçonné par mes attaques répétées, il a fini par me demander si j'avais une dent contre les yeux marron.
Ni l’un ni l’autre étaient abonnés aux confessions intimes, plutôt du genre à rester silencieux sur nos vies. Pour une fois, je lui ai avoué que la plus jolie fille de la faculté avait un regard terre de Sienne, une chevelure couleur magma en fusion et des humeurs volcaniques. Bref, sous sa beauté ardente, elle était l’Etna à elle toute seule. Une véritable déesse du feu au prénom fruité. Malheureusement, les astres se sont arrangés pour que le seul jour où j'ai goûté à ses lèvres divines, elle a subi une amnésie et je suis devenu transparent plus rapidement qu'un caméléon camouflé sur un mur à ses yeux. Pire, elle ne m’adresse même plus la parole.
Il m’a regardé et m’a demandé simplement « Et, elle penserait quoi de toi avec une telle montre à ton poignet ? ». J’ai souri, « Réellement ? Elle est tellement dans son monde, je doute seulement qu’elle le remarque. ». « C’est que tu n’en as pas encore besoin. Si un jour elle te revient, ça sera ton heure. ».
Je m’empresse de mettre la montre et me promets de ne pas la retirer. Un moyen de me souvenir d’éviter les ennuis, et que sinon, Éric de sa tombe est capable de me hanter. De plus, l’alarme d’urgence et la puce GPS à l’intérieur sont des bons moyens de me sentir en sécurité. Jamais je retirai ma Britling Emergency.
Maître Izan me donne une grande enveloppe matelassée scellée, malgré les années, je reconnais l’écriture tremblante d’Éric.
— La dernière chose pour vous, vous devez la lire seul, je n’en sais pas plus, déclare-t-il.
10 commentaires
clecle
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Il y a 2 ans
Paige
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Il y a 2 ans
WildFlower
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Il y a 2 ans
Paige
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Il y a 2 ans