Fyctia
Chapitre 102 (3/4)
Jérémie
Le notaire se lève et me serre la main. J’acquiesce, alors qu’il s’éloigne dans sa voiture, je m’empresse de décacheter le sceau en cire, curieux.
Gueule d’Ange,
Si tu lis ça, c’est que j’ai trépassé et que j’ai pris un rendez-vous avec l’Eternel, auquel ne t’es pas convié. Tu me rendras un dernier service, à l’enterrement, avant qu’on me calfeutre entre quatre planches, vérifie qu’ils m’ont mis des sous-vêtements propres de couleur noire. Le blanc ça vieillit moins bien, ça serait con que devant le Vieux je me pointe avec un boxer qui à la jaunisse.
Au PFEG, c’est que ma collection, des vrais, sauf si je me suis fait abuser. Je fais confiance à ton œil de lynx pour valider l’authenticité. Après tout, ce sont les tiens maintenant.
Bien, je te donne mon ultime cadeau. Je gardais l’info bien au chaud en cas de besoin, pour des négociations, maintenant que je fête mon départ définitif, autant que tu le saches. Asura a appris ta petite place d’indic. Entre nous, elle n’a pas apprécié. Le cadeau, c’est le terrain qu’Allesion a eu en dédommagement au procès, normalement si j’ai bien manigancé, tu l’as récupéré. Sous terre, c’est là qu’Asura planque les pièces qu’elle s’apprête à vendre, mais je ne sais pas comment elle les transporte. Elle m’a fait plus d’un mauvais coup. Je te fais confiance pour la faire sombrer. Pompette, Asura s’est vantée d’être la commanditaire d’un maximum de tes ennuis. Elle a ajouté qu’elle te surveille toujours via une personne dont tu lui as offert ta confiance. Je n’en sais pas plus.
Être faussaire, c’est un jeu, un jeu de découverte où on n’a pas le temps de s’ennuyer. Je me suis amusé toute ma vie. Je ne regrette rien. Même pas ta rencontre, c’est pour dire. Tu as fait ce que t’as jugé le meilleur pour toi et je respecte. Je t’estime, Gueule d’Ange.
Si jamais tu en doutais, à la fin, je me suis rangé et j’ai joué les traders pour des œuvres à des millions. Qui mieux qu’un ancien faussaire pour reconnaître un faux ?
Oublie pas, maintenant que t’as la montre, c’est qu’il est l’heure pour toi de monter l’Etna.
Adieu l’Artiste.
Je ne l’ai pas recroisé depuis deux ans, pourtant, j’ai l’impression de sentir encore l’essence de térébenthine de son jean à l’atelier. C’est forcément l’unique raison de ces larmes sur mes joues.
— À la revoyure, je murmure.
Si c’est vrai que des fausses pièces sont sous terre, c’est une question de semaines pour que mon affaire soit bouclée. Il suffit de faire intervenir une équipe d’archéologues. En prime, Mathys Allesion et toute son association pseudo-historique seront démasqués. Le seul mystère reste l’identité de cette fameuse Asura, je l’ai vu quelques fois, mais je n’ai jamais réussi à mettre un nom sur elle. Je trépigne d’impatience d’enfin quitter KtH, l’ambiance ne me convient pas.
Je rechigne à rentrer dans le vernissage, mais mes frères ont fait remarquer que maman risque de diminuer mes jours sur Terre si je m’absentais.
— La salle est sublime ! s’écrie Alice les yeux brillants d'excitation.
— Éblouissante, on aura des beaux plans pour nos vidéos, confirme Henry, son meilleur ami et accessoirement mon frère.
Je ne partage pas leur enthousiasme, ils sont du genre à s’extasier sur une paillette par terre, je réprime un bâillement tout en attrapant un canapé de tomates comme si ma vie en dépendait. Les émotions de cet après-midi m’ont vidé.
Je scrute les œuvres exposées avec réticence. Si Allesion a autant insisté pour que je vienne, c’est qu’il espère que j’achète des toiles pour des clients afin qu’elles se transforment en lingot d’or pour lui, mais cette chance est proche de zéro. Autant dire que mes talents en alchimie sont aussi performants que mes dons de chant d'opéra.
Le maître de cérémonie en personne, Allesion, s'approche avec son acolyte muet à l'expression figée en mode « je souris pour la photo ». Par pur devoir social, je me prépare à engager une conversation de laquelle je n'attends pas grand-chose. Mathys me sourit de toutes ses dents, du genre requin. Je sens l’entourloupe.
— Qu’est-ce que tu veux ? je soupire.
— Tu te rends compte Cellier que t’es coincé ? dit-il ravi.
Je lève un sourcil, abasourdi et attrape sur un plateau une coupe de Champagne.
— Qu’est-ce que tu racontes ? je demande avec distance.
— Toi comme moi, nous savons pertinemment ce qu’il y a sous ce terrain. Sauf que maintenant, il est à ton nom. Ce n’est pas moi qui le vends, c’est toi. Et avant, c’était celui de Piedoie, tout le monde sait que c’était ton associé.
— Il y a eu ton nom entre temps, je remarque
J’hausse les épaules avec dédain.
— Non, justement, jamais. C’était une société anonyme. Et là, tu veux vendre à ta propre entreprise. Ça s’appelle du conflit d’intérêt. Et quand ils vont voir ce qu’il y a dessous, bonne chance pour te justifier.
Ma main se serre sur le verre, une sueur froide s’écoule dans mon dos. Il a raison, le terrain est à mon nom. Merde.
— Tu sais le plus drôle Cellier ?
Je lève les yeux, j’ai du mal à me contenir. Je refuse de me laisser intimider, mon visage affiche une expression de défi mêlée de ressentiment. Cependant, mon instinct me crie qu’il dissimule un événement sinistre derrière son air satisfait et qu’il vaudrait mieux faire taire ma curiosité. Je ne peux pas.
— La montre de Piedoie, quand il est mort, elle était fausse. Si elle avait été vraie, comme celle que tu portes aujourd’hui, il ne se serait pas pris ce coup fatal.
Mon cœur accélère, mon sang se met à bouillir, mon regard se rembrunit sous l’émotion et je lâche la coupe alors que je comprends son sous-entendu. Non, c’est impossible.
— C’était toi ? je crachote.
— Plutôt toi. Tu ne tenais pas le couteau, c’est tout comme. T’es un habitué, ce n’est pas la première fois que t’as failli tuer quelqu’un à cause de tes manœuvres. C’était comment la petite rousse ? Celle que t’as mis dans le fossé, car tu n’avais plus de frein ?
Mes poings se serrent involontairement, tous les muscles de mon corps se tendent et sans que je puisse le contrôler, j’avance de quelques pas pour être face à Mathys. Des invités curieux commencent à se rassembler autour de nous, ils sentent le conflit dans l'air.
— C’était toi ? je répète.
21 commentaires
clecle
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Il y a 2 ans
Paige
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Il y a 2 ans
WildFlower
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Il y a 2 ans
Paige
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Il y a 2 ans