Paige Archéologie et trafic illicite amoureux Chapitre 76

Chapitre 76

Jérémie

Je remercie le groupe de touristes japonais pour leurs généreux pourboires. Mon lundi commence bien.

Je me faufile discrètement au bureau de l’accueil pour réviser les mouvements artistiques pour mon concours des Beaux-arts du lendemain.

J’en profite pour modifier mon fond d’écran, je passe d’une photo classique de Noël en famille à une de l’exposition des 25 ans Pixar, la veille. Je contemple le cliché, moi et Cerise, dos à dos, bras croisés, devant le gigantesque zootrope de Toy Story. Nous partageons tous les deux l’amour de l’art de l’animation, une combinaison parfaite pour un futur radieux… Ou pas. Avant de tenter quoi que ce soit, j’ai décidé de régler mes problèmes, par honnêteté envers elle. Puis, il persiste cette petite ombre au tableau, Cerise prétend ne rien vouloir de sérieux avant des années. J’en fais mon affaire, c’est une question de temps, elle cédera à mon charme irrésistible.



Je suis interrompu par Dan, qui me fait un high-five, dubitatif, je collabore.

— J’ai réussi ce weekend ! s’écrie-t-il.

— À lacer tes chaussures, alcoolisé ? je réplique moqueur.

— Tu remettras toujours ça sur le tapis ? s’agace-t-il.


La dernière soirée ensemble, il était clair qu’il avait du mal à jongler avec cette tâche périlleuse, qu’un enfant de cinq ans sait exécuter. Je lui ai sagement suggéré de rester aux scratchs, plus adaptés à son âge, mais il refuse catégoriquement de suivre mon conseil avisé. Je me contente de lui offrir un sourire digne d’une couverture de magazine, en retour, il me donne une tape sur l’arrière du crâne. Ma brillante idée n’est pas perçue à sa juste valeur.


— Imbécile, non seulement, j’ai fait un Grand Chelem, mais aussi, j’ai trouvé la femme de ma vie !

La deuxième information est insignifiante, Dan le pense à chaque nouvelle rencontre. La première me surprend.

— T’as gagné une compétition au tennis, c’est ça ta grande nouvelle ?

— Quatre sets à zéro, si tu vois ce que je veux dire !

— Absolument aucune idée, mais pour tout t’avouer, je n’en ai strictement rien à faire, je travaille.

— Ok, je t’explique, commence Dan. Quatre filles aux cheveux différents dans un seul week-end ! Ayako, chevelure noire ; Svetlana, la jolie blonde ; je me suis réconcilié avec Candice, brune et dimanche, jackpot ! Tu ne devineras jamais son identité !

— Je ne veux pas le savoir, je grogne.

— La rouquine du musée !


Je me fige, je sens mon cœur accélérer dans mon torse à mille à l’heure. Ma Cerise ? Mes dents grincent, j’entends le sang assourdissant dans mes oreilles. Je ne discerne plus Dan, il est une silhouette floue devant mes yeux, mon poing gauche se serre entre mes doigts.


— T’n'en reviens pas, avoue, reprend-il.


Je m’avance d’un coup vers lui, raide, Dan s’écarte d’un bond, je le frôle de peu, j’ignore ses cris qui me hurlent de me calmer. Sans comprendre, mon poing, sans élan, animé d'une passion destructrice, s’abat avec puissance dans la vitrine derrière lui. Elle résiste. Pas longtemps.


Une fois, deux fois, trois fois, dix fois, puis, je ne compte plus. Mes coups s’enchaînent avec détermination dans le verre. Les débris s’éparpillent dans un bruit cristallin à chacun de mes nouveaux assauts. La manche de mon bombers s’imbibe de bavures écarlates. L’odeur ferreuse du sang me monte au nez, à mesure qu’il s’écoule le long de ma main, de mes poignets et gicle au sol en perles couleurs rubis.


Je ne ressens pas la douleur, au contraire, ça me soulage. Je me sens étrangement libéré, comme si tous mes problèmes se brisent en même temps que chaque nouveau morceau de verre s’écrase sous ma force et me lacère la chair en de dizaine d’entailles.


Le combat ralentit, mes coups ne suivent plus la même rapidité et intensité alors que la souffrance se réveille. Je sens des larmes de rage qui s’écoule le long de mes joues. Puis, plus rien. Je n’ai plus de force.


Hébété, je m’affale sur la chaise de bureau et regarde autour de moi le chaos. Je suis subjugué par cette pluie rutilante andrinople qui s’écoule le long de mon bras et s’écrase au sol. Je me sens apaisé. Je me sens délivré, comme Le Caravage après une de ses rixes. Je me sens vidé. La pièce est parsemée d’éclats de verre sanguinolents, sous le regard ahuri de mon collègue.



Dan, le sang-froid, s’empresse de fermer la porte du musée et met un panneau « Fermé pour une heure ». Aussitôt, il a le réflexe d’attraper la trousse de secours alors que le sang s’écoule abondamment de ma main. Il agrippe un torchon au logo du musée et le tien fermement sur ma main pour tenter de calmer l’hémorragie.


Soudain, j’ai conscience de ce qui se passe.

Je regrette. Absolument tout.


— Jerem ! T’es malade ?! Qu’est-ce qui t’as pris ?! T’as du bol qu’un éclat ne s’est pas logé dans ton œil ou dans une veine ! Crétin ! dit-il en sortant son portable.

— J’sais pas.

— T’es vert, littéralement, le sang ne s’arrête pas, j’appelle le 15, annonce-t-il.


Daniel écoute les instructions du médecin au téléphone, pendant qu’il fait les gestes de premiers secours. Je me sens idiot et j’ai la tête qui tourne.

— L’ambulance sera là dans dix minutes, tient bon. Peux-tu m’expliquer, maintenant que tu t’es calmé ?

— Tu m’as dit pour Cerise, j’ai vu rouge.

— Jerem, t’es con ma parole ! Je te parle de la fille de l’accueil ! Quand tu m’as abandonné pour ton rencard improvisé, on a parlé pendant trois heures des musées. Je ne pensais pas la revoir, sauf qu’elle m’a contacté par Facebook. Il s’avère qu’elle est aussi en droit, en propriété intellectuelle. On a passé notre dimanche à parler de codes, de lois, de jurisprudences, de normes et réglementations, durant que nous flânions au Musée Picasso.


Un seul mot me vient.

— Désolé.

— Je vais prévenir notre responsable que t’as perdu l’équilibre et que t’es tombé sur une vitrine.

— Merci.

— Remets-toi, je t’engueulerai plus tard. Et, merci à toi, tu vas faire toutes les ouvertures et les fermetures, pour le reste de notre stage !


Il me met une tape sur l’épaule, je grimace. C’est de bonne guerre, je l’ai mérité.


Après trois heures aux urgences, je retrouve le musée de la Contrefaçon. Dan a fait le nécessaire, plus aucun bout de verre par terre. Je le regarde, ma main valide dans ma poche et expose mon bandage avec ma blessure de guerre. Il est seul derrière le comptoir et m’observe. Nous conservons le silence une trentaine de secondes. Puis, il prend la parole, hésitant.


— Ils ont décidé que tu ne devais pas te faire amputer, alors ?

— Je vais avoir du mal à écrire quelques semaines.

— Ce n’est pas demain que t’as demandé une journée pour passer ton concours des Beaux-arts ? demande-t-il.

— J’ai un talent pour me saboter tout seul. Je n’ai pas d’autre choix, je vais prendre des médicaments pour faire passer la douleur.

Il acquiesce.


— Je ne suis pas un expert en psychologie, mais ta réaction était disproportionnée. T’en as gros sur la patate. Tu me dois bien la vérité, t’as failli me rendre aveugle. Ça restera entre nous, tu me dois bien ça.


Je soupire, puis, je lui déballe tout.

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59

59 commentaires

Baolya

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Il y a 2 ans

Intense ! J'avais peur pour Jérémie tout le chapitre !

clecle

-

Il y a 2 ans

Whouah, je suis scotchée par la colère de Jerem, je ne pensais pas du tout qu'il réagirait aussi violemment... Contre lui-même au final, parce qu'il se met en danger et se compromet aussi pour ses études. C'est vrai qu'il a beaucoup d'ennuis à gérer, mais la réaction est hard quand même. Sinon, à la lecture, j'ai eu l'impression que Dan répondait avec un train de retard au pétage de câble de son ami.je pense qu'il devrait crier et tenter de le retenir puisqu'il y a plusieurs coups. À mon avis, cette réaction serait plus naturelle.

Paige

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Il y a 2 ans

C'est dit dès le début qu'il s'écarte et lui hurle de se calmer. Plus rien n'a d'importance pour Jérémie à ce moment là. Je voulais vraiment accentuer le côté " cocotte minute qui explose ".

WildFlower

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Il y a 2 ans

Bon, je ne m'attendais pas à tant de violence clairement, je crois que Jérémie a vraiment un problème 😅

Paige

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Il y a 2 ans

C'était surtout montrer le côté cocotte minute : il a tellement tout refoulé, ça explose d'un coup. Comme c'est dit plusieurs fois, il aime le contrôle et là, tout lui échappe.
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