Fyctia
Chapitre 74
Jérémie
Cerise croise les bras sur sa poitrine, elle affiche exagérément son agacement.
— Tu me proposes une soirée de rêve coincé entre toi et un film douteux ?
— En réalité, je concède à passer du temps avec toi, alors que je sais pertinemment que tu ne manqueras pas de critiquer cette superproduction cinématographique venue tout droit du pays des caribous.
— On est vendredi soir, j’ai des projets !
— Apprendre à cuisiner ? je suggère taquin.
— Sûrement plus intéressant que supporter ton cynisme et ton despotisme.
— Je suis un homme brisé qui a besoin de sa dose de navets thérapeutiques.
— Sais-tu que les navets sont riches en potassium comme la crème glacée ? À choisir, j’opte pour la glace !
Je lève les yeux vers le plafond, qui se posent naturellement sur le visage sévère de la statue du dieu Kâma. Il m’encourage à lui tenir tête.
— Les cerises sont également riches en potassium, je réponds. Peut-être que passer du temps avec une fille qui s'appelle Cerise a des bienfaits similaires ?
— Maintenant, tu me traites de métal alcalin ?
Évidemment, elle est incapable d’accepter aussi facilement une proposition de paix. Son fichu caractère, son sens de la répartie et son esprit de compétition prennent toujours le dessus. Tant que je ne l’aurais pas mouché, je sens que je n’obtiendrais pas son abandon et son « oui » pour ce soir. Ma stratégie est simple, lui envoyer un compliment de manière détournée, afin qu’elle ne puisse pas se braquer. Engager une conversation avec Cerise est toujours un assaut de longue haleine. Une véritable bataille épique en plusieurs actes, telle l’œuvre d’Uccello, La Bataille de San Romano, dont les trois parties sont conservées à Londres, Florence et Paris.
Je ne sais pas pourquoi je m'obstine. Pire, ces vains combats me stimulent et j'adore.
— J’ai toujours pensé que ton intellect a un petit côté numéro atomique, tout comme ton charmant minois, je rétorque.
Elle rougit, déstabilisée par ma remarque et ses yeux brillent. Elle détourne sa tête, ses mains descendent le long de sa robe et elle palpe maladroitement le tissu. Je la connais par cœur, elle est torturée entre son envie de passer la soirée avec moi et celle d’avoir le dernier mot. Je savoure ce rare instant où elle est muette, je sens qu'elle commence à céder. Elle va devoir admettre sa défaite.
Je ne peux pas m’empêcher d’apprécier son décolleté en forme de cœur, j’ai bien envie de profiter de cette vue toute la soirée. D’habitude, je la trouve mignonne dans ses jeans. Non, là, elle est sublime. Si j’avais le moindre doute, je l’ai complètement dissipé : je la veux.
Il y a un moment de flottement, je passe ma main dans ma nuque et me gratte la tête.
— J’ai du travail en réserve avant de quitter, mais si tu veux m’attendre, je peux te passer un badge visiteur pour m’accompagner.
J’ai gagné.
Elle revient quelques minutes plus tard, je suis légèrement déçu, ses jambes sont dissimulées dans un jean taille haute et elle a troqué son agréable échancrure pour un pull licorne avec le slogan : « I’m dream, can you grab me ? ». J’en ai l’intention.
Elle me met de force le précieux sésame autour de mon cou, un badge au nom de Philemon Liv, Ecole du Louvre.
— J’ai une tête à m’appeler Philemon ? je demande suspicieux.
— Jusqu’à dix-huit heures, tu n’auras pas le choix.
— Je suis choqué que tu me forces à mentir. T’es une délinquante !
— Arrête tes jérémiades !
— T’es fière de ta trouvaille ? Crois-tu que t'es la première à la faire ?
Cerise me tire la langue et m’attrape le bras, sans que je puisse me défendre. Je souris lorsqu’une mèche cuivrée aux parfums de cassis et vanille me fouette le visage. Je ne lui avouerai jamais, mais je suis addict.
Elle m’entraîne dans le labyrinthe des couloirs jusqu’à descendre aux réserves, la douceur de l’odeur de Cerise est remplacée par celle d’ancien et de terre. J’observe les centaines de caisses autour de nous, et elle me montre une gigantesque table de tri où s’entassent des centaines de tessons d’argile.
— Regarde ! Le rêve ! Je voudrais faire ça toute ma vie !
Elle sautille d’excitation lorsqu’elle commence à m’expliquer le puzzle dans lequel elle s’est lancée pour reformer des poteries d’un site archéologie dans le Nord de l’Inde. J’enlève ma veste et m’installe sur un tabouret pendant qu’elle travaille.
— Pour le film, ce soir, si tu enlèves tes chaussures, tu es le bienvenu à l’appartement. Je suis seule ce soir, propose-t-elle anxieusement.
Je suis surpris qu’elle ne tente même pas de négocier.
— Vendu.
J’en profite pour sortir mon carnet de croquis de ma poche et la dessiner alors qu’elle m’interroge sur ma vie temporaire parisienne. Je suis suspendu à ses paroles, mes yeux rivés sur les siens qui flamboient au gré de ses explications sur les découvertes archéologiques. Elle me captive au fur et à mesure qu’elle me transmet son savoir.
J’aime ce moment calme, où chacun exerce sa passion, l’un à côté de l’autre.
Moi aussi, je voudrais faire ça toute ma vie.
Il vaut mieux ne pas être claustrophobes. Cerise et moi sommes collés l’un contre l’autre dans un minuscule ascenseur art déco au cœur d’un chic immeuble haussmannien, à deux pas de l’opéra Garnier. J’apprécie ses joues rougies par l’air glacé, ou peut-être par notre proximité dans cet espace clos.
La nuit est tombée, je tiens nos repas gastronomiques dans un sac en papier kraft, du canard et des frites pour les papilles sanguinaires de Cerise et une salade de champignons asiatiques pour mon âme végétarienne.
J’aimerais que l’ascenseur devienne mon complice et se bloque, juste pour l’étreinte, sous l’excuse de la froideur de cette nuit de février. Malheureusement, il est en parfait état de marche et nous arrivons sur le palier du dernier étage. Je dois être désespéré pour croire qu’un ascenseur peut jouer le Cupidon.
Alors qu’elle ouvre la porte, j’enlève mes chaussures et remarque qu’elle a le nez collé sur son téléphone, avec une mine déconfite.
— Jérémie, ils viennent de poster les résultats des partiels.
Je sors mon portable par curiosité, mais le serveur de la faculté est saturé. Je devrais attendre. Au contraire, Cerise est anormalement pâle.
— Un problème ?
Elle tente de parler, mais ses mots se bloquent dans sa gorge et elle me montre son écran, un message de Besty Marjo.
Je grimace. Sans un mot, je l’installe au salon pour que le contrecoup passe. Je sais qu’elle veut être la meilleure dans ses études, non par égo, mais pour atteindre son but et je réchauffe nos plats.
Cerise, en tailleur sur le canapé, dépose sa barquette sur la table basse. Elle attrape la télécommande et met le film sur pause.
— Jérémie, est-ce que je peux te demander quelque chose ?
Bien, elle prend les devants. Je regrette de ne pas pouvoir me laver les dents pour ce que l’on s’apprête à faire, donc j’avale un grand verre d’eau.
— Je t’écoute.
— Depuis Halloween, honnêtement, t’es différent. Est-ce que t'as un problème ?
Ça, je ne l’avais pas prévu.
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