Fyctia

Les jours passent et se ressemblent. Depuis trois semaines, je jongle entre les cours et ma vie sociale d’étudiante, rien n’est simple. Le programme est difficile, les professeurs sont exigeants, les devoirs sont déjà nombreux, mais je tiens le rythme pour le moment.

Pour ce qui est de la colocation avec Kristen, tout va bien. Même si au début, j’ai eu d’énormes doutes sur notre vie commune, ceux-ci ont été faussés. Nous sommes toutes les deux tellement prises par nos études que les rares échanges que nous avons, ce sont lors de nos couchers. C’est le seul moment où nous sommes présentes en même temps dans ce logement. Puis, un beau matin, nous avons remarqué notre passion commune pour les cafés d’avant cours. Depuis ce jour, nous procédons toujours à une routine bien établie toutes les deux. Chaque début de journée, quand nous le pouvons, nous nous retrouvons à prendre un café dans le restaurant qui se trouve à un pâté de maisons de notre logement. C’est notre rituel pour bien commencer nos cours du jour. La seule chose qui ne change pas au fil des heures passées sur ce campus, c’est la présence de mon ombre ou devrais-je dire nos ombres qui nous suivent plus ou moins discrètement. Les premiers temps, je n’avais pas réalisé que c’était Kristen la personne concernée, car nous ne trainons pas ensemble. Puis cela m'a paru logique au fil des jours. Les deux étudiantes “surveillées” sont logées dans le même appartement. Ensuite, j’étais angoissée de les savoir près de nous, de découvrir que les autres étudiants n'apprécient pas leur omniprésence dans les couloirs et l’allée de Harvard, mais ils ne semblent pas s’en formaliser.

Après, il faut avouer que la mienne est plus discrète que celle de Kristen. Mike passe réellement de partout, il aborde une tenue civile qui se marie avec les jeunes du campus. Pendant que ceux de ma colocataire ne quittent jamais leurs blue-jeans et leurs vestes en cuir. Je n’ai jamais osé parler avec elle de ses hommes qui sont censés la protéger.

Debout dans la file d’attente du café du coin, nous patientons dans le silence relatif au brouhaha des lieux.

— Tu ne m’as jamais posé de questions sur les hommes qui sont présents dans mon dos, commence-t-elle en tordant ses doigts en signe d’angoisse.

— Hum, c’est vrai, mais tu ne l’as jamais fait pour moi non plus, continué-je doucement en regardant au-dessus de mon épaule.

— Car moi, je sais déjà tout de toi Rose. Tu es l’unique enfant d’une famille d’aristocrates d’Écosse. Tu as un lien assez éloigné avec la famille royale d’Angleterre. D’où la présence de Mike, ton garde du corps, m’indique-t-elle dans un résumé clair et net de ma vie.

— C’est ça. Et toi qui es-tu ?

— Je suis la fille d’un Président d’un club de MC, mon père pense que je suis une cible facile pour ses ennemis alors, j'ai toujours des prospects avec moi.

— Je … pardon, mais je ne comprends pas. Président d’un MC, c’est quel pays ça ? Et prospect, c'est quoi ? Chuchoté-je de peur d’être ridicule.

— MC, c’est pour MotorClub, et le Président c’est celui qui l’a créé ou bien en est à la tête. Les prospects, eux, sont les hommes qui désirent faire partie de cet univers, mais pour le moment, ils sont juste bons à faire les tâches ingrates.

— Ils tuent des hommes ? paniqué-je.

— Je ne sais pas tout… mais les femmes ne sont pas censées se mêler des histoires du groupe. Tout ce que je sais, c'est que parfois ça arrive…

Je sens le sang quitter mon visage, mes mains tremblent, mes yeux parcourent le restaurant en cherchant un point de sortie. Je suis au plus mal, pourtant j’essaye de garder mon calme.

— Ça va Rose ? Tu es toute blanche ? me questionne-t-elle d’une voix douce.

— Je … Je ne m’attendais pas à ça… bégayé-je avec cette peur qui grandit au creux de mon ventre.

— Désolé, je sais que je ne suis pas la meilleure colocataire que tu puisses espérer, mais je te promets que tu ne risques rien avec moi et ces hommes. Ils sont aussi là pour te protéger en cas de problème. Personne ne s’en prend à mes amies…

— Tu … Tu me considères comme une amie ? Même si nous ne nous voyons qu’en coup de vent ?

J’essaie de ne pas perdre le fil de notre conversation, qui est surréaliste pour moi.

— Oui, car tu es la seule personne ici qui n’a pas peur de moi ou de mon père… enfin jusqu’à présent, soupire-t-elle.

Ne sachant pas quoi répondre au sujet abordé depuis quelques minutes. Je sais que mes réactions ne sont pas normales. N’importe quel autre étudiant aurait pris ses jambes à son cou depuis bien longtemps. Je dirais même dès le premier jour quand j’ai croisé ces hommes dans le hall d'entrée. Pourtant, je me suis fait confiance et j’ai surtout fait confiance au jugement de Mike. Il ne m'a pas formellement indiqué que ces individus étaient dangereux pour ma personne.

Mes yeux sont perdus dans le vide, j'entends vaguement Kristen commander nos boissons chaudes. Toujours sans rien dire, elle me tend mon cappuccino. Son visage semble blessé par ma réaction ou plutôt par mon absence de réaction. Elle se prononce d’une voix brisée.

— Je vais demander mon changement de chambre.

— Non, attends ! Je sais que je n’ai pas réagi comme il faut, mais tu comprends il me faut le temps d’encaisser, commencé-je à argumenter. Je ne viens pas du même monde que toi, je ne comprends rien à toutes ses choses étranges, mais c’est vrai que tu m’acceptes comme je suis. Alors, je suis prête à fournir des efforts si tu continues à encaisser mes bizarreries, fini-je à bout de souffle.

— Amie pour la vie ? réplique Kristen en me regardant dans les yeux.

— Pour la vie, malgré toutes nos différences, conclue-je.

Un petit cri de joie s’échappe des lèvres de Kristen, elle m’entoure de ses bras afin de remercier notre amitié tellement à l’opposée l’une de l’autre. Cependant, je sens qu’avec elle, je vais avoir une vie remplie de chaos.