Fyctia

Les jours entre nos rendez-vous étaient moroses. Une sorte de désenchantement brumeux dans lequel se morfondre. Il ne restait rien de nous, hormis une confiance éprouvée, et ce goût virant à l'acide sur mes lèvres tuméfiées. Mon ventre était aussi retourné que ma commode à culottes. Des paupières froissées, une gueule en vrac, des griffures et des plaies multicolores.

Je regrettais de me détruire en silence.

Je passais sous la douche comme un reset. Le rituel salvateur, où je me réinventais, en ajustant les ficelles de mon masque social. l'eau est magique, tout comme A .

Elle rend la souffrance présentable.

N'es-ce pas ce que tu disais maman ?

Ce matin-là, la voix s'invita, elle reprit le contrôle du corps comme l'on s'invite à souper.

Bon alors, t'en as pas marre de survivre la loque ?

Elle est blessante, joue avec les limites, tire sur la corde. Même l'odeur chimique du cola n'en vint pas à bout.

Petite fille oubliée tremblante d'effroi.

Je vais faire le sale boulot !

Mon âme se délia peu à peu, car la voix a la mélodie féroce.

Les premiers accords éclataient en chœur donnant à ce quotidien des airs de comédie musicale. Vite des paillettes. Encore du maquillage pour camoufler les bleus, un gloss irisé pour habiller le sourire. Le brushing. Le chant, une brosse en guise de micro, et l’air guitare. Les gosses qui babillent. Je fusai.

Je descendais les marches de l’escalier comme au festival de Canne.

Maman es-ce un péché de se trouver belle ?

Je suis méconnaissable dans ma robe affriolante rouge sanguine un simple foulard noir pour en masquer l’échancrure au dos.

J'aime cette féminité, elle détonne, me définit.

J'aime décider, être hors de contrôle. J'aime ne ressembler à personne.

Je planais, me donnais l’impression de ne pas toucher le sol, me confondais dans mes propres certitudes.

T'es une bonne maman avec ou sans traitement.

T es une bonne femme avec ou sans mari.

T'étais une jeune femme heureuse avant d'avoir lu madame Bovary .

Le traumatisme est un gouffre sans fond.

Du cynisme et des algorithmes, c'est le credo de ce double moi.

- On va démarrer une nouvelle vie les enfants ! Ça sera magique ! Rien que du soleil, des sucreries et du menthol !

Quelques festivals aussi

Sous leurs acclamations, je m’exécutais, préparais le petit-déjeuner avec cette touche de folie. De la farine partout, sur nos doigts, nos visages, et un arrière-gout de vanille artificielle dans la bouche. Des bisous collants et un départ tardif pour l’école.

Un ressac de plans grandioses et leurs regards brillants.

- Ce soir, on part ! On partira sans se retourner !

***

J’arrivais échevelée au travail de A, changement de musique, celle de la joie. Il m'accueillit en bouse blanche, et j'eus un mouvement de recul.

Foutu cauchemars, foutu désirs, foutu moi.

- Tu es éblouissante, un vrai soleil !

Plutôt l’orage.

- je pars, je le quitte aujourd'hui !

Je me languissais d'une réponse qui ne vint pas.

- Tu seras magnifique dans ce nouveau rôle !

Je restai hébétée, il libéra l'une de mes mèches bouclées dans ma bretelle de soutien-gorge.

- Merci pour tout...

- Tu as fait le plus gros du boulot !

Je m'extirpais du fauteuil en serrant les jambes. Il me tendit une carte de visite avec les coordonnées d'une clinique inscrit en lettre d'or.

- Dis-leur que tu viens de ma part, ils font du bon boulot.

Notre rupture est un carton tranchant aux lettres scintillantes.

Pathétique.

Comme si il avait lu dans mes pensées il me prit la main.

- Je te rejoindrai si tu le souhaites et seulement si...

Une haleine acidulée du désir et de l'espoir, c'est suffisant.

Tu es une femme aimée malgré l'excision.

Tu as de la vaillance dans le cœur.

La guerre au corps.