Fyctia
33: Geneviève 1
Travaillant sur un dossier pénible depuis les aurores dans le confort de son bureau, maître Vernay sursaute quand son téléphone résonne dans le silence de la pièce. Sa concentration désintégrée par le son strident, elle maudit déjà la personne qui ose la déranger ainsi sans passer par son assistante.
Heureusement, elle reconnaît le numéro appelant et reprend instantanément son sourire avant de répondre d’une voix enjouée.
— Hey, salut ma belle ! Allez, raconte-moi tout !
— Salut, Gen. J’aurais un truc important à te demander.
— Ah non ! Tu réponds d’abord à ma question où je te raccroche la ligne au nez, petite ingrate !
— Tu sais bien que je déteste parler de mes rendez-vous. Tu vas encore me dire que tout est de ma faute et que j’ai fait fuir Roméo avant-même de lui laisser sa chance.
— Donc tu l’as encore fait fuir, c’est ça ?
— Si on veut. Cet homme était un connard, comme tous les autres.
— Rassure-moi, tu ne l’as quand même pas emprisonné ?
— J’aurais sans doute dû le faire, mais j’ai été sauvée par un appel sur un cas d’agression présumée. C’est justement ce dossier qui requiert ton aide.
— Je n’en ai pas fini avec mes questions, mais nous y reviendrons plus tard. Depuis quand m’impliques-tu sur tes enquêtes ? Tu sais bien que je ne m’occupe pas de ce genre de dossiers.
— J’ai besoin d’une personne de confiance sur ce coup. Il se peut que je doive transgresser quelques règles pour coincer cet agresseur.
— Et tu te dis que moi, ton amie, je suis la meilleure candidate pour voir ma carrière détruite pour une enquête d’agression présumée ?
— Je t’assure qu’il y a bien eu tentative d’agression. J’ai parlé à la victime.
— Si ce n’était qu’une tentative, pourquoi la qualifier de victime ?
— Elle a indiqué la présence de trois hommes. Heureusement, elle a pu neutraliser le premier et s’enfuir.
— Le neutraliser ?
— L’homme s’est retrouvé dans le coma à l’hôpital, les parties génitales broyées.
— Avoue que cette femme est ton idole à présent.
— Tu me connais assez pour savoir que ce n’est pas moi qui vais démontrer la moindre pitié pour cette brute. Il a eu ce qu’il méritait. Le problème, c’est qu’il n’a pas agi seul.
— Comment peux-tu le savoir s’il est dans le coma ?
— C’est là que tout se complique. J’ai rencontré un expert en cybersécurité à l’hôpital et il m’a montré une conversation entre l’homme est un présumé supérieur lui indiquant de s’en prendre à la victime. Je veux retracer cet homme.
— Attends une seconde ! Tu as tout bonnement rencontré un expert, par hasard, et tu lui fais confiance !?
— C’est compliqué. Je t’expliquerai tout dès que j’en ai la chance, mais tu dois m’aider.
— Comment ?
— Tu dois te faire passer pour une avocate de la défense et rencontrer cet homme pour lui remettre son téléphone sur lequel nous avons inséré un traceur.
— Quoi !?
— Je sais que cela peut te paraître absurde, mais c’est notre seule chance de remonter à la source de cette menace qui plane sur tous ces sites de rencontre. Imagine que ce soit moi la prochaine victime…
— Tu es déloyale !
— Alors, tu acceptes de nous aider ?
— Je veux bien passer le voir avec ce fichu téléphone, mais je confie ensuite le dossier à un collègue dès que j’en ai la chance. À prendre ou à laisser !
— Évidemment que je prends.
— J’ai une autre condition.
— Laquelle ?
— Tu viens me porter l’appareil avec cet « expert » pour que j’inscrive son visage dans ma mémoire. Ce n’est pas parce que tu lui fais confiance que je vais être rassurée pour autant !
— D’accord, mais je n’aurai que quelques minutes. Nous avons un second dossier à traiter d’urgence aujourd’hui.
— Je te propose de venir manger un morceau à mon bureau.
— Je n’aurai pas le temps, je…
— Ce n’est pas négociable ma jolie. Bye !
***
Prise avec la tonalité de ligne ouverte, Rebecca reste immobile un instant. L’idée de présenter Samuel à son amie la terrifie. Jusque-là, les deux se sont toujours amusées à ridiculiser les hommes assez courageux pour les approcher. L’une le faisant par appréhension, l’autre par préférence pour les femmes.
Inquiète, elle lance un regard à son compagnon qui vient de terminer l’installation de son traceur. Quelque chose dans son regard vient soudainement multiplier son angoisse.
De son côté, Samuel a tout entendu de la discussion, le son de l’appareil de la lieutenante suffisamment fort pour permettre à son ouïe sensible de capter chaque mot. Curieux, il brise le silence qui s’est installé avec la question qui tourne en boucle dans sa tête.
— Tu étais dans un rendez-vous galant lorsque que tu as été appelée sur cette enquête ?
Consciente de s’être mis les pieds dans les plats, Rebecca cherche désespérément une échappatoire. Une idée saugrenue lui vient alors à l’esprit, la faisant plonger sans trop réfléchir.
— Je l’ai fait pour une amie.
— C’est-à-dire ?
— Tu sais déjà combien je me méfie des hommes. Je voulais simplement m’assurer que cet homme ne représentait pas un danger pour elle.
— Et Geneviève n’était pas au courant de ton plan ?
— Non. Selon elle, je dois me forcer à rencontrer des hommes pour chasser cette peur qui m’habite.
— Elle est au courant de ce que tu as vécu ?
— Non. Je n’aime pas en parler et je sais qu’elle ne me lâchera pas avec ses questions si elle l’apprend. À part le capitaine, tu es le seul à savoir et j’aimerais que cela reste ainsi. Tu comprends ?
— Évidemment, ne t’inquiète pas. Mais ce rendez-vous, il a été si catastrophique ?
— Plus que tu ne peux l’imaginer. Je t’en reparlerai ce soir, c’est promis. Là nous devons vraiment nous concentrer sur nos enquêtes.
— Je suis d’accord. Pour ce soir, tu n’es pas obligée de m’en parler.
— J’y tiens. C’est important si nous devons poursuivre notre route ensemble.
— C’est toi qui sais.
Nerveuse à l’idée de révéler son secret ce soir, Rebecca sent l’angoisse lui serrer la poitrine, mais elle force un sourire sur ses lèvres pour éviter d’inquiéter son partenaire. Ensemble, tous deux quittent son bureau. Alors qu’elle verrouille la porte derrière eux, Samuel remarque les deux hommes encore présents près de la machine à café. Tous deux le fixent avec un regard mauvais. Agissant sur un coup de tête, il les rejoint, l’expression sévère et approche sa tête de leurs visages.
— À votre place, j’éviterais de parler de l’Enfer, lance-t-il à voix basse. À moins bien sûr que vous souhaitiez le visiter. Je saurais être un excellent guide.
Sans attendre leur réaction, il s’éloigne, suivi de Rebecca qui le fixe d’un regard incrédule. Ce n’est qu’une fois dans son véhicule qu’elle se permet de réagir à ce qu’elle vient de voir et entendre.
— Pourquoi tu leur à dis ça ?
À suivre...
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