Fyctia
Chapitre 6
Alexandre
Swan multipliait les conquêtes, quasiment toutes les filles célibataires de notre promo avaient fréquenté son lit.
Je n’étais pas un débutant, à l’époque, je n’avais pas à rougir de mon expérience sexuelle, sans doute pas à la hauteur de la sienne, mais tout à fait convenable pour un jeune gay qui débarquait de sa campagne. Pourtant, j’avais succombé au magnétisme de mon camarade. N’importe qui en aurait fait autant, franchement. Sauf que Swan s’était mis en tête de me faire sortir de ma coquille. Il n’avait réussi qu’à me faire sortir de mes gonds. J’avais alors dressé entre nous ma colère, qui m’avait aidé à ne pas me trahir devant ce garçon qui n’en aurait rien eu à faire de moi. J’avais quitté Lyon pour terminer mon cursus à Paris, me spécialisant en anthropologie, et je ne l’avais plus jamais revu.
Je n’avais plus pensé à lui depuis une éternité. Et ça m’allait très bien.
Flore vint me chercher.
— Tout va bien ? s’enquit-elle en passant la tête par l’ouverture de la porte.
— Oui, oui, bégayai-je, en me redressant.
— Le déjeuner est servi, vous venez ?
Je hochai la tête et me levai.
La salle à manger était le genre de grande pièce qu’on s’attendait à voir dans un manoir. La table toute en longueur pouvait accueillir tous les hôtes qui venaient l’été. Bien sûr, nous n’en occupâmes qu’une extrémité. Flore m’invita à m’installer en face d’elle, laissant libre la place du bout. Entre nous, un plat avec des morceaux de poulet, un autre de pommes de terre et le dernier de champignons. Je fus surpris de ne pas voir Swan, mais ne posai aucune question et piochai dans les plats. Ça sentait tellement bon !
Swan nous rejoignit enfin. Je ne pus m’empêcher d’apprécier la largeur de ses épaules, l’impression de force qui se dégageait de lui. Typiquement le genre de chose qui me plaisait chez un homme.
— Excusez-moi, je suis allé ramasser les œufs et j’ai vu qu’une planche du toit du poulailler avait bougé, je l’ai reclouée, s’excusa Swan.
Puis Swan se tourna vers moi. Je me tassai sur ma chaise, comme si je pouvais disparaître.
— Alors, quelles sont tes premières observations ?
Je pris le temps d’avaler avant de répondre :
— Je confirme l’ancienneté des squelettes, mais je ne peux pas encore les dater. Je pense qu’en étudiant la stratigraphie autour, on pourra commencer à déterminer une fourchette large.
— Tu penses qu’ils ont été enterré là volontairement ?
— Je l’ignore, pour l’instant.
— Le terrain forme un relief, intervint Flore. C’est un repère géographique. Néanmoins, c’est au milieu de nulle part. Je ne comprends pas trop pourquoi on aurait inhumé des corps là-bas, loin de tout cimetière.
Alors que nous mangions avec appétit, Flore et Swan me transmirent ce qu’ils savaient. Leur association d’histoire et d’archéologie étudiait les archives, consignait les récits, collectait des photographies pour conserver la mémoire de ces deux derniers siècles. Remonter plus loin s’avérait difficile, en dehors des registres d’état-civil tenus par les seuls lettrés de la paroisse : les curés.
Le café avalé, j’annonçai que je souhaitais retourner sur le site. Il ferait nuit tôt, nous n’avions que deux ou trois heures, au mieux, devant nous.
— Je viens avec vous, déclara Swan.
— Ne te sens pas obligé, Flore et moi nous en sortirons très bien, tentai-je.
— Tu viens de dire qu’il fallait faire vite. En plus, il y a de gros risques qu’on ait de la neige dans les prochains jours. Tu ne peux pas te passer de mon aide.
— Je pense que si, insistai-je.
— Tu as besoin d’un technicien de fouille. C’est mon job.
— C’était, visiblement.
Swan pinça les lèvres.
— Je ne te permets pas de me juger.
— Ce n’est pas ce que j’ai fait.
— Tu me prends seulement de haut, alors.
Je lui renvoyai une expression pleine de mépris.
— Je ne sais pas ce que je t’ai fait, reprit Swan, en colère à son tour. Je ne t’ai jamais rien fait de mal, mais tu m’as pris en grippe et tu as la rancune tenace, visiblement. À ton âge, tu devrais savoir passer outre tes sentiments pour travailler en bonne intelligence avec quelqu’un que tu n’apprécies pas. Je n’ai pas demandé à ce que ce soit toi qui viennes. Tout ce que je te demande, c’est de faire ton travail. Si nous pouvions nous passer d’un professionnel comme toi, nous le ferions, mais ce n’est pas le cas. Ni Flore ni moi n’avons les autorisations et les compétences nécessaires. Mais, si tu n’es pas capable de faire ton travail, rentre chez toi et envoie-nous quelqu’un qui sera moins con.
— Ne m’insulte pas ! s’insurgea Alexandre.
Les bras croisés, je me retenais d’exploser.
— Alors prouve-moi le contraire. Tu nous fais perdre du temps, là, répliqua Swan.
Je me levai de table.
— Très bien, allons-y.
Sans un mot de plus, je regagnai le couloir de l’entrée. Avec un temps de retard, Flore et Swan me rejoignirent, attrapant leurs manteaux.
Je transférai mon matériel dans la voiture de Flore et nous nous mîmes en route. Le trajet jusqu’au site archéologique se fit dans un silence tendu. Après un essai infructueux, la jeune femme renonça à faire la conversation. Ça m’allait très bien.
Une fois sur place, je répartis les tâches et nous nous mîmes à creuser et à faire des prélèvements autour des squelettes. Sur mes directives, Swan commença à dégager les ossements à l’aide d’une truelle. À genoux sur une planche pour ne pas s’enfoncer dans la terre mouillée, il se mit au travail sans rechigner. Bien. Je récoltai un peu de terre, fis d’autres photos, des croquis, puis j’aidai Flore à comprendre comment les couches de terre s’étaient déposées sur et autour des corps. Je récupérai les fragments de vêtements mis au jour au fur et à mesure, mais ne touchai pas aux os, attendant qu’ils soient tous dégagés pour avoir une vue d’ensemble.
À la fin de l’après-midi, nous recouvrîmes le site de la bâche à la lumière de nos téléphones.
— Vous croyez pouvoir retirer les os demain ? questionna Flore.
— En commençant tôt, peut-être, émis-je en soulevant la caisse contenant les prélèvements.
— Vous rapporterez tout ça à Bordeaux avec vous pour études ? continua-t-elle.
— Oui, mais certaines choses ne relèvent pas de ma spécialité. Il faudra des semaines avant que des collègues aient le temps de jeter un coup d’un œil à tout ça.
— Et toi ? Tu vas traiter notre affaire en priorité ou la faire moisir sur un coin de ton bureau ? lui demanda Swan, acerbe.
— Je vais m’en débarrasser le plus vite possible.
— L’ambiance va être joyeuse, au manoir, ce soir, ironisa Flore en regagnant la voiture d’un pas décidé. Je me demande si ça ne vaudrait pas mieux que je vous laisse ici, vous auriez le temps de régler vos comptes.
Swan se dépêcha de la rejoindre, me laissant en arrière. Je décollai mes bottes de la boue, ramassai du matériel et me hâtai de le ranger dans le coffre avant de m’installer dans la voiture. Je gardai les yeux rivés sur la maigre portion de route qu’éclairaient les phares, faisant confiance à Flore pour nous ramener à bon port et ne pas nous perdre dans ce vide intersidéral.
4 commentaires
Nora Rosen
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Il y a 25 jours