Fyctia
Chapitre 5
Alexandre
Flore me guida jusqu’à un chemin au milieu des prés. D’un côté, le terrain formait une dépression jusqu’à un petit étang gelé. À la moitié de la pente, de la rubalise rouge et blanche encerclait un groupe de rochers ainsi qu’une grande bâche fixée en terre, qui protégeait la découverte. Du coffre de ma voiture, je tirai ma paire de bottes de chantier ainsi qu’une épaisse paire de chaussettes. Je m’en équipai, puis récupérai le matériel dont j’aurais besoin. Je pris quelques photos de l’endroit, pour le contexte, avant de descendre vers le plus intéressant.
— Comment les ossements ont-ils été découverts ? questionnai-je Flore tandis que nous débâchions la zone.
— Le chien du fermier a débusqué un renard, et avec leurs pattes, ils ont dû gratter dans la boue et déterrer un os. Le fermier s’est approché pour voir ce qu’il dépassait et à côté d’un os long, il y avait une mâchoire. Il a fait venir la gendarmerie qui a décapé la surface jusqu’à ce que leur médecin légiste déclare que cela relevait de l’archéologie.
— Effectivement, pour que le métal soit rongé de la sorte, il faut du temps, dis-je en désignant la bague qui ceignait encore le doigt d’un des squelettes.
— Pour le légiste, les corps auraient plusieurs centaines d’années, alors ils ont tout laissé en plan et ils ont prévenu le service régional d’archéologie.
— On leur a certainement dit que nous n’avions ni les moyens financiers ni les moyens humains de venir fouiller.
— Exactement, mais j’ai une copine qui y travaille et qui a pensé à moi et à l’association en voyant que c’était en Haute-Vienne. Swan et moi avons fourni nos CV et ils ont estimé qu’ils pouvaient simplement envoyer un spécialiste, au lieu de mobiliser toute une équipe.
— On m’a dit que vous travailliez au centre de recherches de Poitiers, dans le département voisin.
— Et avant ça à Lyon avec Swan. C’est comme ça que j’ai rencontré son frère, avec qui je me suis mariée. Au cas où vous vous demanderiez pourquoi nous portons le même patronyme.
— Euh, oui, ça m’avait effleuré.
De prime abord, le nom ne m’avait rien dit, mais en voyant Swan puis à quel point Flore était familière des lieux, j’avais supposé qu’ils étaient mariés. Comme quoi, il ne fallait pas se fier aux apparences. Même s’il y avait certainement une madame Arduin quelque part.
Je reportai mon attention sur les ossements brunis et emmêlés. Les crânes indiquaient la présence de deux individus encore partiellement enterrés. Je réalisai d’autres clichés et avec l’aide de Flore, je me mis au travail pour prendre les premières mesures, réaliser des croquis sommaires et faire quelques prélèvements de surface. En plus de l’anneau à moitié rongé autour d’un doigt, il y avait ce qui semblait être les restes d’une sacoche en cuir.
— Est-ce que vous avez commencé à vous renseigner sur l’histoire des lieux ? demandai-je en remplissant une dernière fiche.
— Un peu, mais sans période approximative à explorer, c’est compliqué. Swan pense que rien n’a dû changer depuis des siècles. Le secteur était peut-être un peu plus peuplé qu’aujourd’hui, cela dit, mais il y avait essentiellement des fermes d’élevage et quelques cultures.
— J’examinerai les squelettes et j’enverrai un échantillon à mon laboratoire pour datation. J’imagine que Swan se joindra à nous pour la suite ?
Flore confirma. J’allais devoir prendre mon mal en patience et faire attention à mon comportement en sa présence. Je n’étais pas prêt à me ridiculiser en lui expliquant pourquoi je n’avais pas envie de lui parler, ni même de le voir.
— Est-ce que vous avez fini ? Parce que nous pourrions rentrer déjeuner, suggéra la jeune femme.
— Oui, on va recouvrir, au cas où.
Remettre la bâche nous prit deux minutes, les sardines s’enfonçant non sans mal dans la terre gelée. Heureusement que le vent n’était pas violent, il l’aurait soulevée dans difficulté. Je remontai dans ma voiture, suivant suivant celle de Flore et repérant la route pour revenir seul sur le site.
***
Nous fûmes accueillis par une odeur de pommes de terre sautées et de poulet rôti, mais Swan avait disparu. Constatant que la table n’était pas mise dans la salle à manger, Flore entreprit de sortir assiettes et couverts.
— Vous pensez que j’ai le temps de monter mes affaires ? l’interrompis-je. Savez-vous quelle chambre j’occuperai pendant mon séjour ?
— Sûrement la première en haut de l’escalier. Si le lit est fait, c’est que c’est la bonne.
J’attrapai mon bagage et gravis le grand escalier jusqu’au premier étage, notant qu’il y en avait un second. Je me demandais si tout avait été aménagé. D’après ce que m’avait dit Flore dans la voiture – elle avait tenu à faire la conversation –, c’étaient les parents de Swan qui avaient transformé le manoir en chambres d’hôte, quittant leur vie parisienne avant l’âge de la retraite pour profiter de la campagne tant qu’ils étaient encore en bonne santé. L’endroit ne me paraissait pourtant pas très touristique, mais je n’en avais vu que quelques chemins boueux et des champs.
J’ouvris la première porte à droite du palier. Constatant que le lit – magnifique –, était fait, j’entrai et déposai mes affaires près du bureau. Malgré le lit massif, l’armoire et le bureau, il y avait encore de la place pour se déplacer. En revanche, la chambre ne communiquait avec aucune salle de bains. Je ressortis et avisai les écriteaux sur les portes de l’autre côté du couloir. L’un indiquait les WC, l’autre la salle de bains. Je visitai successivement les deux pièces puis retournai dans la chambre et me laissai tomber sur le lit en soupirant.
Je n’avais pas très envie de redescendre et d’affronter Swan. C’était dingue, ça. Il suffisait de le voir pour que l’attirance que je ressentais pour lui quand nous avions vingt ans renaisse de ses cendres. Dans ces conditions, il était hors de raison de fouiller ensemble. Je n’étais pas sûr de maîtriser mes émotions en sa présence.
J’étais un adulte, bon sang ! Je n’avais plus vingt ans, j’avais connu d’autres hommes après mes études, avec peu de succès, certes, mais j’avais vécu ! Un béguin vieux de deux décennies n’aurait pas dû me secouer autant. D’autant plus qu’il ne s’était rien passé à l’époque. Swan était hétéro.
2 commentaires
Nora Rosen
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Il y a 25 jours