Fyctia
Chapitre 4
Alexandre
— Putain de bordel de merde !
Je tournais depuis trente minutes sur des routes où l’on ne pouvait pas se croiser ni se garer sur le bas-côté, parce qu’il n’y en avait pas. Il n’y avait pas âme qui vive à l’horizon et mon GPS ne trouvait pas La Porcherie. Ça n’apparaissait même pas sur la carte. Il n’y avait même pas une vache dans un champ indiquant qu’une ferme se trouvait à proximité. Rien, le désert !
Je finis par m’arrêter à l’entrée d’un chemin de terre qui me parut à peu près stable. Je retrouvai les coordonnées de Flore Mansart-Arduin dans mes mails et lançai la numérotation.
— Allô ?
— Alexandre Bastaing, aboyai-je. Je suis perdu !
— Vous êtes où ? Je peux venir vous chercher.
— Je viens de vous dire que je suis perdu.
— Votre GPS n’indique pas le numéro de la route ?
Je regardai le petit écran d’un peu plus près.
— Chemin vicinal 3.
— Est-ce qu’il y a d’autres indications ?
— Les Landes. Quand je vous dis que je suis perdu !
— Je vois à peu près où vous êtes. Ne bougez pas, je viens vous chercher.
Je patientai. Il faisait aux alentours de zéro degré à l’extérieur et l’herbe était blanche de givre. On ne pouvait pas qualifier ce trou paumé de chaleureux et accueillant. Même les ondes radio refusaient de s’aventurer jusqu’ici, la seule station que j’avais réussie à capter était Nostalgie, or je n’étais pas vraiment fan de Johnny Hallyday ni de Dalida.
Mes doigts gelés pianotaient sur mon volant avec irritation quand une voiture arriva dans l’autre sens. Elle s’arrêta à ma hauteur. Par la vitre, je vis une jeune femme avec un bonnet rose sur la tête. Elle baissa la sienne, m’invitant à en faire autant – et à faire sortir toute la chaleur.
— Monsieur Bastaing ?
— Oui.
— Je suis Flore. Je vais faire demi-tour, vous n’aurez qu’à me suivre. Je vous emmène à votre hébergement d’abord, vous pourrez vous y réchauffer.
Je démarrai à sa suite. Quelques kilomètres plus loin, elle bifurqua sur une voie encore plus étroite, à peine visible entre deux haies broussailleuses. Au bout était bâti un joli petit manoir, avec une tourelle et plusieurs cheminées. Un panache de fumée blanche s’élevait de l’une d’elles comme une promesse de chaleur.
Je descendis de voiture à la suite de ma guide. Elle sonna et entra sans même attendre de réponse. Je la suivis, un peu méfiant. Vu comment avait commencé la journée, si Dracula surgissait au détour d’un couloir, je n’en serais pas plus surpris que ça. Certes, l’intérieur n’était pas aussi lugubre qu’un vieux château de Transylvanie. Les boiseries lustrées semblaient en bon état et les tapis couvrant les dalles de pierre n’étaient pas troués. Juste un peu usés. Flore poussa une porte et nous pénétrâmes dans une cuisine.
Je fus impressionné par l’îlot massif et le piano de cuisine rutilant. Des casseroles en cuivre étaient suspendues aux murs et une étagère ployait sous le poids de pots en porcelaine. J’eus l’impression d’être tombé dans une faille temporelle, jusqu’à ce que mon regard tombe sur le réfrigérateur. Il y avait même une cafetière à grains professionnelle. Ouf !
— Visiblement, notre hôte n’est pas ici, constata Flore. Je vais le chercher.
J’acquiesçai et me rapprochai du radiateur en fonte, remarquant le relief décoratif qui en faisait une belle pièce de collection. J’y collai mes fesses.
La porte se rouvrit très vite sur Flore accompagnée du maître des lieux. L’homme était grand, bien bâti, avec d’épais cheveux blonds qui tombaient sur ses épaules et des yeux bleus. Il arborait une barbe de quelques jours, comme s’il avait la flemme de se raser. Il portait un gros pull en laine écrue sur un pantalon cargo et de grosse bottes en cuir. Malgré les années qui s’étaient écoulées depuis la dernière fois, je le reconnus instantanément. Comme s’il fallait ajouter ça à cette journée qui commençait déjà mal.
— Alex ! s’exclama notre hôte, enjoué, en me reconnaissant. Bienvenue !
— Swan, marmonnai-je. Si j’avais su…
— Tu ne serais pas venu ? Ça fait quoi, vingt ans ?
— Un peu moins.
Je n’étais pas si vieux que ça, enfin !
— Tu as quitté l’archéologie ? questionnai-je.
Dans mes souvenirs, le séduisant et impertinent Swan Arduin ambitionnait de devenir un spécialiste de l’archéologie médiévale. Son truc, c’était les trous de poteau vieux de mille cinq cents ans et les boucles de ceinture.
Swan acquiesça, sans entrer dans les détails.
— Te voilà châtelain, continuai-je.
— Ce n’est qu’un petit manoir.
— J’en déduis que vous vous connaissez, intervint Flore.
— Nous étions à la fac ensemble, répondit Swan. Sauf qu’à l’époque, il avait moins de cheveux gris.
— Et toi, tu savais comment utiliser un rasoir.
Swan éclata de rire, sous le regard médusé de la jeune femme.
— Tu n’as pas changé ! Toujours aussi grincheux.
— Serait-il possible d’être logé ailleurs ? Même loin, je ferai la route, demandai-je à la jeune femme.
— Vous n’y pensez pas ! Vous êtes à deux pas du chantier.
— C’est bon Alex, tu ne vas tout de même pas payer un hôtel à cinquante kilomètres d’ici à cause d’une vieille querelle d’étudiants.
Je se rembrunis. Ce n’était pas aussi simple. Il y avait plus qu’une vieille inimitié. Swan représentait l’un de mes pires chagrins d’amour.
C’était stupide, parce qu’en réalité, il n’y avait jamais rien eu entre nous. Ce n’était qu’une bête histoire d’amour à sens unique, un béguin de jeunesse pour un garçon sans doute beaucoup trop idéalisé. Nous étions à la fac ensemble, même promo, durant quatre ans. J’avais totalement craqué pour lui. Il était tout ce que je n’étais pas : ouvert, sympathique, enjoué. Peut-être qu’il m’attirait parce qu’il représentait ce qu’au fond, j’aurais voulu être. Sauf que j’étais timide, asocial et renfrogné. J’avais du mal à me lier avec les autres et les années n’avaient rien arrangé.
Les années n’avaient rien arrangé non plus au charme de Swan. Il suffit que je pose les yeux sur lui pour sentir une bouffée de chaleur m’envahir. Pour avoir envie qu’il pose ses beaux yeux bleus sur moi, envie de devenir son nouveau centre d’intérêt. C’était puéril. Ridicule. Insensé.
Alors je réagissais de la même façon qu’autrefois : en le rejetant de toutes mes forces. Il était hors de question que je le laisse voir l’effet qu’il me faisait. Tout comme, à l’époque, j’avais repoussé ses tentatives d’amitié. Ça aurait été trop dur d’être ami avec le garçon pour lequel je craquais, malgré différents petits-amis.
Au milieu de nous deux, la pauvre Flore ne savait plus quoi faire.
— Euh… Je vous laisse vous installer et je viens vous chercher pour aller sur le site euh… après le déjeuner, si ça vous va ?
— On peut y aller tout de suite, répliquai-je.
Tout valait mieux que de rester ici avec Swan. Je me détachai du radiateur et se dirigeai vers la porte. J’étais déjà dans l’entrée quand Swan cria :
— Toujours aussi mauvais caractère !
Je revins sur ses pas et lui adressai un doigt d’honneur, avant de regagner ma voiture d’un pas rageur. Je n’aurais peut-être aucun mal à rester en colère contre lui, finalement.
9 commentaires
Nora Rosen
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Il y a 25 jours
Aurore_K
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Il y a 25 jours