Fyctia
Chapitre 3
Swan - Partie 2
Je préférai parler d'autre chose :
— Ça ne nous dit pas ce qu’on mange.
— C’est Bast’ qui vient avec le repas, répondit Estelle en plaçant la bouteille de champagne au frais.
— Ah, c’est pour ça que tu m’as demandé d’acheter de la salade. Tu savais qu’il oublierait les légumes.
— Soit il ramène des pizzas, soit il nous ramène ses fonds de placards. La seule chose qu’on est sûr d’avoir, c’est le fromage.
— Et encore, il n’a plus de lait en ce moment, ses chèvres n’ont pas encore mis bas.
— Super, il va nous ramener ses vieux trucs secs, marmonna Marianne.
Les phares de la voiture de Bastian projetèrent alors leur lumière dans la cuisine. Il tapa ses pieds sur le paillasson avant d’entrer.
— C’est moi !
— On sait, il ne manquait plus que toi, répondit Marianne.
— Toujours aussi accueillante ! s’amusa-t-il. Tu peux me rappeler pourquoi on t’invite ?
— Parce que Swan, lui, apprécie mon humour.
Bastian laissa ses affaires dans l’entrée. Je lui soufflai que c’était l’anniversaire d’Estelle.
— Je sais, je n’ai pas oublié, moi.
À son tour, il posa un panier sur l’îlot et en sortit un bocal un magret fumé aux épices.
— J’ai le fromage aussi. Il est un peu sec, faut en faire des copeaux pour l’apéro ou le faire fondre.
J’échangeai un regard complice avec les filles.
— J’ai raté quelque chose ? demanda le fromager.
— Pas du tout, sauf que Swan connaît le type qu’il accueille lundi, expliqua Estelle. Il prétend qu’il est con, chauve et gros.
— Hé, je n’ai pas dit ça ! Bon, une fois que vous aurez de quoi boire et manger, vous arrêterez de dire n’importe quoi. Allez hop, dans le salon !
Je poussai tout le monde hors de la cuisine afin d’être tranquille le temps de préparer plusieurs plateaux avec toutes ces bonnes choses.
Je les apportai dans le salon. La pièce était grande, avec plusieurs « coins » : lecture près de la fenêtre côté jardin, pour bénéficier de la lumière ; et cosy autour de la cheminée. Un feu flambait dans celle-ci. Les filles avaient pris le divan. Bastian jeta une bûche dans le feu avant de s’installer dans le fauteuil à droite de l’âtre, me laissant la place la plus loin de la chaleur.
Je posai mes plateaux sur la table basse et ramenai ensuite le champagne.
— À ton anniversaire ! dis-je à Estelle en levant mon verre.
Nous trinquâmes et bûmes une première gorgée.
— Ça veut dire que, potentiellement, Swan pourrait… avoir une aventure, dirons-nous, dans les prochains jours ? reprit Bastian en revenant au sujet de « l’hôte ».
— Tu peux dire « tirer son coup », renchérit Marianne.
Je faillis m’étrangler avec mon champagne.
— Alors, ce n’est pas parce qu’un homme gay va dormir au manoir que je vais lui sauter dessus ! protestai-je. Vous me diriez la même chose si j’accueillais une femme seule ?
Les autres s’entre-regardèrent.
— Ouais, sûrement, reconnut Bastian.
— Peut-être pas, avoua Estelle. Pardon.
— Faut dire que c’est tellement rare que des hommes gays séjournent ici qu’on voudrait que tu en profites pour vivre un peu, renchérit Marianne.
— Alors, si, ça arrive, vu que le manoir est répertorié comme établissement gay friendly. Et je vis quand même, merci Marianne, je ne suis pas encore mort.
Elle souleva un sourcil perplexe. Bon, d’accord, je ne sortais pas beaucoup, mais quand même !
Bastian en rajouta une couche :
— C’était quand, la dernière fois que tu as couché avec un mec ?
— Le dernier, c’était Pierre-Yves, avouai-je.
Pierre-Yves était mon ex. Notre couple n’avait pas survécu à mon exil volontaire dans la région, loin de chez nous. Remettre le couvert avait été merveilleux. On se connaissait par cœur, ça avait été tellement facile, et tellement bon. Et une bonne façon de se dire adieu.
— Quatre ans sans sexe ! s’exclama Bastian comme si ça lui était inconcevable.
— Non, c’était après notre séparation, rectifiai-je.
— Ah oui, il était venu en vacances ! Bon, bah trois ans, calcula Estelle.
J’ouvris le bocal de foie gras dans l’espoir que l’appel de la bonne chère détourne leur attention.
— Et si on l’attaquait ? Après tout, c’est ton anniversaire !
— Et les nanas ? reprit Marianne.
Je soupirai. Ils n’allaient pas me lâcher. Cette fois, je dus calculer. J’étais sorti en boîte, sur Limoges, et une jeune femme m’avait dragué. Nous avions terminé la nuit chez elle. Ouh, ça remontait aussi, mais moins que Pierre-Yves. En fait, c’était comme tout le reste, je tendais vers l’auto-suffisance.
— Plus récemment, si tu veux tout savoir, lâchai-je. Bon, on peut parler d’autre chose que de ma vie sexuelle ? La tienne, elle est comment ?
— À piles et très satisfaisante, répondit Marianne avec aplomb.
— Bon, Bastian on ne te demande pas…
— Marié, heureux, comblé, dit-il.
— C’est pour ça que tu es ici avec nous, se moqua-t-elle.
— Ça participe à notre bonheur conjugal, se défendit-il. Ma chère et tendre a besoin que je lui laisse du temps et de l’espace.
Bastian se tourna vers Estelle qui s’empressa de boire.
— Je n’ai pas envie de m’emmerder avec un mec, même pour une nuit, dit-elle un peu gênée. Je me passerai des hommes et du sexe. On s’en passe très bien. Des deux.
— Parfaitement, renchéris-je, d’accord avec elle. Donc on a fait le tour de la question. Moi, je goûterai bien au magret.
Je découpai quelques tranches, y goûtai et retournai en cuisine avant que ce soir moi, qui passe de nouveau sur le grill. Je fis fondre un peu de fromage sur du pain. Un tour au four, une cuillère de miel par-dessus et nous reprîmes notre dîner. Nous parlâmes de nos activités respectives, des chevreaux à naître chez Bastian, de Marianne qui espérait ne pas avoir perdu trop d’abeilles à la fin de l’hiver, d’Estelle qui préparait les assortiments de Noël. Elle s’était associée à Marianne pour proposer des boîtes « Noël local ».
— On va être embêté, cette semaine, dit Marianne. Vous avez vu la météo ? Ils annoncent du verglas, voire de la neige, ils ne savent pas trop. Si ça se trouve, on va être coincés quelques jours, le temps que ça fonde.
Je n’espérais pas. Je n’avais pas envie que le séjour d’Alexandre s’éternise. Je n’étais pas certain que nous arrivions à cohabiter plus d’un ou deux jours.
Nous nous consolâmes avec de la tarte, du café et des tisanes, discutant jusqu’à ce que le feu meure dans la cheminée.
Une fois les autres partis, j’éteignis tout et montai me coucher. Les remarques de Marianne et de Bastian m’avaient un peu blessé. Je n’étais pas du genre à sauter sur le premier mec qui se présentait. J’avais retrouvé mon équilibre après une période difficile, je n’étais pas prêt à ce qu’une relation, que ce soit avec un homme ou une femme, vienne le perturber. J’avais le manoir, mes amis et ma main pour se satisfaire. La vie était plus simple ainsi. Et puis, les années passant, les habitudes de célibataire s’ancraient et elles étaient vachement confortables, ces habitudes ! Par exemple, j’avais un grand lit pour moi tout seul, pouvais prendre toute la place et personne ne me ronflait dans l’oreille. Ce soir-là, je savourai son confort.
12 commentaires
Nora Rosen
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Il y a 25 jours
Aurore_K
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Il y a 25 jours