Aurore_K Amour, ossements et boules de neige Chapitre 2

Chapitre 2

Swan - Première partie


J’ouvris la porte et la poussai avec le pied, gêné par mon chargement de draps. J’avais déjà fait les poussières sur les bois de lit sculptés et chassé les araignées qui avaient pris leurs quartiers entre les poutres massives du plafond. J’avais choisi des draps bleu marine qui s’accordaient avec le papier peint orné de fleurs blanches. Il ne me restait qu’à faire le lit. L’épreuve d’enfilage de la housse de couette en solo aurait dû être inscrite aux Jeux olympiques, tant cela demandait stratégie et adresse. J’en attrapai chaud. La chambre était prête à accueillir mon seul hôte de l’hiver. J’espérais qu’il apprécierait le décor rustique et authentique, sans être vieillot non plus, malgré l’ancienneté de la bâtisse.


Celle-ci était dans ma famille depuis le XVIIe siècle, on racontait même qu’Henri IV y avait séjourné. Ce n’était pas complètement impossible, mais cela signifiait que le roi s’était probablement perdu, car nous étions plus ou moins au milieu de nulle part. Bref. Mes ancêtres appartenaient à la petite noblesse limousine, alors le manoir n’avait rien d’extravagant. Il était tout de même haut de deux étages si on comptait les chambres sous les combles, avec de belles cheminées dans quasiment toute les pièces. Un immense jardin l’entourait. D’ailleurs, nous étions déjà en hiver : ce matin, la pelouse était blanche de givre. Les arbres de la propriété, et ceux de la forêt tout autour, afin fini de perdre leurs feuilles.


Je m’occupai ensuite de la salle de bains, de l’autre côté du couloir, m’assurant qu’il y avait assez de serviettes dans le placard sous le lavabo. Mon hôte ne serait là que deux nuits, probablement, il n’en aurait pas besoin d’autant, mais avant de me laisser les clés du manoir, ma mère m’avait dit un truc du genre « un client qui n’a pas assez de serviette te laissera assurément une mauvaise note ». Alors, je veillais à ce qu’ils n’en manquent pas.


Enfin, tout fut vraiment prêt à accueillir l’archéologue.


J’ignorai le petit pincement au niveau de mon estomac et chassai les souvenirs qui l’accompagnaient. Moi aussi, j’avais été archéologue, mais j’avais l’impression que c’était dans une autre vie. Même si j’appréhendais de toucher à nouveau à une truelle, je ne laisserais pas tomber Flore qui pensait avoir besoin de mon aide pour ces fouilles qu’elle avait eu tant de mal à obtenir du service régional d’archéologie. Cette histoire durait depuis des semaines, il était temps que quelqu’un s’occupe des ossements qu’on avait trouvé dans le champ du vieux Graveix, et qu’on apporte un semblant de réponses. Au passage, cela allait me rapporter une ou deux nuitées. Flore s’était bien débrouillée en proposant au SRA de louer une chambre au manoir.


— Swan, tu es là ? appela une voix féminine depuis le rez-de-chaussée.


Estelle était arrivée. C’était le samedi où ses enfants étaient chez leur père et où elle venait, avec Marianne et Bastian, passer la soirée à la maison. Comme si nous avions toujours dix ans et que mes grands-parents me laissaient organiser une soirée pyjama avec mes copains. J’avais passé toutes mes vacances scolaires ici jusqu’à la fin du lycée, c’était ainsi que j’avais rencontré ces trois-là.


— En haut ! criai-je à Estelle. Enlève tes chaussures si tu montes !


Pour toute réponse, je n’entendis que le mot « cuisine ». Je rangeai mes produits de nettoyage, vérifiai une dernière fois que je n’avais rien oublié, et redescendis.



Habituée à la maison, Estelle était déjà en train de préparer l’apéritif. La petite blonde, sur la pointe des pieds, essayait d’attraper les flûtes à champagne. Bien que plus grande, Mariane ne faisait rien pour l’aider. J’eus pitié d’elle – et peur pour mes verres – et attrapai les flûtes au fond du placard avant de les déposer près de l’évier pour les rincer. Les pieds étaient un peu poussiéreux. Elles ne servaient pas souvent.


— Que nous vaut l’honneur de sortir les coupes ? demandai-je.

— C’était mon anniversaire hier, espèce de rustre. Mais bien sûr, tu l’as oublié, me rabroua Estelle.

— Désolé. Joyeux anniversaire en retard, ma belle.


J’enroulai mes bras autour de ses épaules et l’embrassai sur la joue.

Marianne, qui déballait le contenu de son panier sur le grand îlot central, soupira face à nos démonstrations d’affection.


— Câlin ? la taquinai-je.


Elle me renvoya un regard qui disait « ose, et tu verras ce qu’il t’en coûte ». Marianne était aussi brune et rude qu’Estelle était blonde et rayonnante. Pourtant, les deux femmes étaient amies depuis l’enfance et elles s’entraidaient, en tant qu’entrepreneuses. D’ailleurs, les biscuits que Marianne sortait de son panier venaient de chez Estelle et le miel était le fruit de son travail avec les abeilles. Elle avait aussi ajouté des sucettes.


— Super, merci ! repris-je en mettant une sucrerie de côté. Je vais pouvoir faire le machin de bienvenue de mon hôte, même si je doute qu’il l’apprécie.

— Ça a l’air de t’enchanter, ironisa Estelle.

— Figure-toi que je connais l’anthropologue que Bordeaux nous envoie. Nous étions à la fac ensemble.

— C’est plutôt chouette, ça, non ?

— Sauf si Swan lui a brisé le cœur, répliqua Marianne.

Elle me tendit du pain aux noix afin que je le place dans la corbeille.

— Qu’est-ce qu’on mange ? m’enquis-je dans une vaine tentative de changer de sujet.

— Tu éludes la question.

— Non, je ne lui ai pas brisé le cœur, lâchai-je. Je n’étais pas out à l’époque. Lui, oui, par contre. Je me souviens qu’il embrassait son mec à la sortie des cours. À part ça, c’était un garçon assez antipathique qui refusait les travaux de groupe et ne parlait à personne.

— Un con, quoi, résuma Marianne avec son franc-parler habituel.

— Ouais, je ne sais pas. Il avait peut-être ses raisons. Et puis, il a peut-être changé.

— Ça fait beaucoup de « peut-être ».

— Ce n’est que pour deux jours, rappelai-je. Je devrais pouvoir le supporter.

— Et il était mignon, à l’époque ? demanda Estelle.


Je fouillai dans ma mémoire. Je me rappelai vaguement des traits de son visage, de cheveux bruns, d’un type assez grand et mince, du genre brindille.


— Oui, plutôt, répondis-je finalement. Mais, tu sais, il avait vingt ans.

— Parce qu’on est moche en approchant de la quarantaine ? répliqua Marianne. Merci pour nous.

— Je n’ai pas dit ça ! m’esclaffai-je. Tu es toujours aussi belle qu’à vingt ans, chérie, ne t’inquiète pas. Mais lui, il a peut-être pris vingt kilos et perdu ses cheveux.


J’exagérais un peu. Certes, il avait trente-neuf ans, comme moi, et je n’avais pas encore perdu le moindre cheveu et j’étais plutôt fier de ma silhouette athlétique. Depuis mon retour au manoir, quatre ans plus tôt, le travail physique avait même davantage sculpté mon corps. J’abordai la quarantaine sereinement, sans craindre ce petit ventre qui allait souvent avec. Alexandre avait très bien pu s’entretenir, lui aussi. Nous serions fixés à son arrivée, lundi matin.

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5 commentaires

Nora Rosen

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Il y a 25 jours

Sympathique atmosphère, à la Porcherie ! Mais le pauvre Alexandre va devoir rattraper une mauvaise première impression. Des trentenaires presque quarantenaires, je valide 😂👌 Pas facile, la 1PS au passé, je trouve que c'est la voix la plus ardue, mais tu t'en sors bien, c'est très fluide.

Aurore_K

-

Il y a 25 jours

N'est-ce pas ! Les deux ont un caractère explosif. Plus je vieillis, plus mes personnages prennent de l'âge ;) J'ai l'habitude de la première au passé simple, j'ai toute une série écrite comme ça ^^ (Merci pour les commentaires/corrections).
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