Fyctia

Les Bretons hors de portée de voix, Phil se tourne vers Jenna :

— Pourquoi tu fais tout le temps ça ? lui reproche-t-il.

— Quoi ?

— Rabaisser les gens et les faire passer pour des cons ! Yann ne sait plus où se mettre à cause de toi.

Jenna inspire pour reprendre son calme.

— Désolée, mais il m’a cherchée donc il m’a trouvée. J’aurais pu laisser passer — comme souvent — s’il n’avait pas été aussi paternaliste. Je suis navrée, je suis peut-être une pauvre conne sans cervelle comme il le pense, mais je ne supporte pas qu’on parle de moi à la troisième personne alors que je suis là. Et franchement, je sais que tu l’aimes bien mais admets quand même que Yann est un gros con.

Phil inspire et lâche :

— Je reconnais que, pour le coup, il n’a pas été fin. Mais Jen, tu dois apprendre à laisser pisser.

— Donc je dois me laisser marcher dessus ? rebondit-elle en s’allumant une cigarette.

— Raaa arrête de fumer ! s’énerve Phil. Personne ne te marche dessus, tu es juste butée sur tes opinions. Et Yann l’est aussi je le reconnais. Au fond, tu n’as pas tout à fait tort et il n’a pas entièrement raison.

— Et donc ? C’est quoi ta conclusion ?

— Arrêtes de polémiquer et de foutre la merde.

— En clair, je dois fermer ma gueule et m’écraser. Une fois de plus, conclut Jenna avec amertume.

— Mais non ! Simplement tu aurais pu être un peu moins agressive…

— Désolée mais j’en ai marre que Yann rabaisse toutes les personnes qui ne pensent pas comme lui. Pour le coup, ça ne lui fait pas de mal de voir ce que ça fait.

— Ce que tu es butée, soupire Phil. Enfin, essaie de mettre de l’eau dans ton vin, je n’ai pas envie que la soirée soit gâchée.

— Je te rassure, je ne dirai plus rien du tout, rétorque Jenna avec un sourire doucereux.

La soirée se termine sans autres incidents et ils se séparent sur la promesse de se revoir bientôt même si Yannick évite de s’adresser à Jenna.

***

Après un dimanche calme, Jenna repart quelques jours chez ses parents. En effet, même si les vacances d’été débutent, l’activité du centre est au point mort. Une fois à la campagne, Jenna profite du jardin et travaille sur le mémoire qu’elle a à rendre dans le cadre de son DU. En dépit de ses efforts pour se concentrer, son esprit dérive vers Kristian. Cela fait trois semaines qu’elle n’a aucune nouvelle de lui et elle redoute que Diana ait raison en avançant qu’il a rompu avec elle en douceur. Elle hésite plusieurs fois à lui envoyer un texto mais s’abstient. S’il ne veut plus de moi, je ne vais certainement pas lui courir après.

Comme elle ne travaille pas, Jenna reste chez ses parents jusqu’au vendredi.

— Vous venez toujours vendredi prochain avec Phil ? lui demande sa mère pendant que Jenna fait son sac de voyage.

— Oui, mais n’oublie pas qu’on n’est pas là samedi, c’est le mariage d’Elsa donc on rentrera dans la nuit et on y retournera sûrement le lendemain midi.

Le regard de la mère de Jenna se pose sur la bibliothèque où tous les journaux intimes passés de Jenna sont alignés.

— Tu ne devrais pas les laisser comme ça à portée de main quand Phil vient, la prévient-elle. Pourquoi tu ne les ranges pas dans le secrétaire ? En plus, il ferme à clefs.

— Je ne vois pas pourquoi je ferais ça, réplique Jenna. Phil sait très bien que c’est privé et en plus il y a des cadenas, donc il n’y a rien à craindre.

— Mmm, je ne sais pas, j’ai un mauvais pressentiment.

— Rooo, toi et tes pressentiments, s’amuse Jenna.

— Il n’empêche que quand ton père a eu son accident de voiture, je l’ai senti, objecte sa mère. Et là, j’ai vraiment une prémonition bizarre.

Jenna s’esclaffe :

— On t’a déjà dit que tu es parfois un peu parano ? Franchement Maman, le propre d’un journal intime est justement d’être intime, tout le monde sait ça. Cela ne viendrait à l’idée de personne de lire, ce serait un viol de la vie privée.

— Comme tu voudras, grimace sa mère visiblement troublée.

Spoiler alert : Jenna va regretter de ne pas avoir accordé plus d’attention au pressentiment de sa mère.

***

Sans nouvelles de Kristian et de ses copines, hormis de Diana la prévenant que Pascal lui en veut à mort, Jenna retrouve Phil chez lui le vendredi soir. Ils terminent de manger lorsque Pascal frappe à la porte.

— Salut… lance-t-il à Jenna d’un ton dépité.

Incertaine sur les sentiments de Pascal à son égard, Jenna répond prudemment :

— Salut…

— Tu veux une bière ? propose Phil.

— Tu n’as pas un truc plus fort ? Genre un whisky ? réclame Pascal.

— Si, si. Je vais t’accompagner, Jen tu en veux un aussi ?

Prévoyant que la soirée va être longue, Jenna accepte et se tourne vers Pascal :

— Pour ce que ça vaut, ça me fait mal au cœur pour toi tu sais. Je ne pensais pas que ça tournerait comme ça.

Pascal lui adresse un sourire un peu tremblant.

— Je sais bien Jen. Depuis le début tu as toujours fait tout ce que tu pouvais pour nous aider. Mais Diana…

Au lieu de terminer sa phrase il soupire et remercie Phil qui lui tend son verre.

— Tu sais, si tu as besoin de parler avec Phil, je peux aller bouquiner dans la chambre, propose Jenna. Je ne me vexerai pas, j’imagine bien que ça doit être compliqué pour toi.

— Euh en fait, je préférerais que tu restes, répond Pascal. Pour être franc, je suis venu parce que je savais que tu serais là.

Attendu que Diana n’a cessé de clamer que Pascal la déteste et la surnomme même « la catin », Jenna reste bouche bée en l’entendant. Elle se reprend après quelques secondes.

— Je… OK mais je ne veux pas prendre parti, le prévient Jenna.

— Je sais, je comprends, soupire Pascal. Je t’avoue que je n’ai pas compris son ultimatum. Je lui ai expliqué des tas de fois que je ne pouvais pas me libérer comme je le voulais. J’ai des astreintes et je ne peux pas trop m’éloigner de mon taf. Je lui ai dit et redit que c’était mieux pour moi que ce soit elle qui vienne mais elle m’a dit que le trajet de train était trop long et qu’elle avait autre chose à faire que de perdre son temps dans les transports. Quand elle est finalement venue, le mois dernier, je me suis dit qu’elle avait enfin compris et qu’on était bien partis. Je me suis planté.

— J’hallucine, grince Phil. Tout ça parce qu’elle n’aime pas prendre le train. Elle est vraiment égoïste cette fille.