Fyctia

Lorsque Jenna téléphone à Phil, celui-ci ne lui laisse pas le temps de parler :

— Je suis encore au boulot et je suis occupé. Je te rappelle dans un quart d’heure, déclare-t-il avec sécheresse avant de raccrocher.

Charmant… s’agace Jenna.

Tout en maugréant au sujet de Philippe, elle se prépare un thé, s’allume une cigarette puis zappe pour mettre Sunset Beach.

Les deux épisodes terminés, Jenna grince des dents. Cela fait presque une heure et Phil ne l’a toujours pas recontactée. Après un nouveau quart d’heure d’attente, elle téléphone de nouveau à Phil.

— Ah oui… j’ai complètement oublié que je devais te rappeler, avoue-t-il. Tu arrives à quelle heure vendredi ?

— Justement, c’est de ça dont je voulais te parler. Il y a un changement de programme, on a un nouveau au centre et je dois bosser ce week-end.

— Pffff, ça tombe mal, il y a les parents de Yannick qui viennent visiter le coin. Tu ne peux pas changer avec ta collègue pour qu’on puisse passer le week-end avec eux ?

Hein ?! Mais moi je m’en fous de ces gens-là ! Je ne les ai vus qu’une fois et c’était ennuyeux à mourir. Si Phil croit que je vais organiser mon emploi du temps en fonction d’eux, il se fourre le doigt dans l’œil jusqu’au trou du cul.

— Non désolée, ce n’est pas possible. Christine a un truc familial de prévu et je lui ai promis qu’elle serait tranquille avec le taf, ment Jenna afin d’éviter une dispute et d’inévitables reproches.

Philippe soupire.

— Bon bah c’est tout… c’est juste qu’avec Yannick on avait prévu d’aller tous les six au resto vendredi soir.

Youhouuu j’échappe à cette corvée ! C’est trop de la balle, comme dirait l’autre con.

— Ce n’est pas possible au moins pour le resto ? continue Phil. Si tu mets tes rendez-vous le samedi après-midi c’est joua …

— Je quitte à vingt heures vendredi, le coupe Jenna. On est en période scolaire donc les gamins viennent après l’école.

L’argument est imparable et Phil se résigne à l’absence de Jenna.

— Enfin, c’est quand même dommage… conclut-il.

Tout est une affaire de perspective… perso, je suis bien contente d’avoir une bonne excuse pour ne pas m’infliger ça.

— Ah bah, c’est la vie ! rétorque Jenna d’un ton léger.

Phil soupire :

— Oui… C’est juste que ça me fait chier… j’ai dit à Yannick qu’on serait là.

— Rien ne t’empêche de les voir sans moi, rebondit Jenna. Je ne vais pas en faire une maladie si tu ne viens pas vendredi, tu sais.

Le soulagement de Phil est immédiat.

— Vraiment ? Dans ce cas, j’irai au moins au resto avec eux et je rejoins chez toi samedi. Tu bosses comment ?

— Je commence à quatorze et je finis à dix-huit.

— OK, je viendrai te chercher au centre, assure Phil.

Ils bavardent encore quelques instants puis se quittent sur leur rituel « salut ».

***

Jenna passe la soirée avec Diana et elles parlent de Pascal.

— Je ne sais pas encore ce qu’on fait ce week-end, explique Diana. En plus c’est bientôt son anniversaire et je n’ai pas d’idée pour son cadeau.

— Une perruque ? suggère Jenna.

Diana glousse :

— Arrête, tu es con !

— Bah vu la vitesse exponentielle à laquelle ses cheveux tombent, je trouve ça judicieux, rétorque Jenna pince sans rire.

Diana pouffe de nouveau :

— Je suis d’accord avec toi, mais l’objectif n’est pas qu’il se vexe et me largue…

— Certes, lui accorde Jenna.

Après avoir passé en revue les différentes possibilités, Diana doute :

— Un jeu pour sa Playstation ? Tu crois vraiment ?

— Vu le nombre d’heures qu’il passe à trifouiller son joystick, oui.

Une fois de plus, Diana s’esclaffe et elles évoquent les réjouissances à venir avant que Jenna ne s’avise :

— Au fait, tu as répondu au mail d’Elsa ?

— Euh… non, j’ai zappé ! Merde… elle va se vexer.

Ni une, ni deux, elles téléphonent à Elsa, mettant le haut-parleur. Celle-ci décroche tout de suite et se montre aussi volubile qu’à l’accoutumée, les régalant d’anecdotes sur les préparatifs de son mariage après leur avoir demandé de leurs nouvelles.

— Sinon, intervient Jenna à la faveur d’un blanc. On t’appelait pour le dix-neuf. On a rameuté les gens : Marjo et Kris seront là aussi.

Elsa toussote :

— Ah… alors en fait, Éric rentre de mission plus tôt que prévu donc je ne sais pas encore si on pourra venir. Ça dépendra s’il bosse ou pas le lendemain.

Diana se crispe :

— Je ne comprends pas trop…

— Rooo, s’il bosse, je ne viens pas non plus ! Je ne vais pas le laisser tout seul à la maison pour aller faire la fête, explique Elsa.

Diana et Jenna échangent un regard éloquent. Bah si, justement, songent-elles toutes les deux.

— Je vous envoie un texto dès que je sais si on vient ou pas, conclut Elsa. Sinon, Diana tu es assise ?

— Oui pourquoi ?

— Figure toi que j’ai découvert ce week-end en parlant avec un pote que ton ex, Matthieu, allait se marier aussi ! Tu étais au courant ?

Oh putain de merde… peste Jenna en voyant Diana se décomposer à cette annonce. Merci Elsa ! Sympa de lui balancer avec autant de délicatesse que son grand amour de jeunesse s’apprête à convoler. Ça se voit que ce n’est pas toi qui passes la soirée avec elle.

— Je… non, tu me l’apprends, se trouble Diana. Tant mieux pour lui.

— Après, c’était prévisible, ça fait un moment qu’il est avec sa copine, poursuit Elsa, inconsciente de l’impact de ses paroles. Et vu qu’ils ont un gamin ensemble…

— Ils se marient quand ? demande Diana d’une voix blanche.

— L’année prochaine, je n’ai pas encore la date. Je te dirai quand je le saurai, rit Elsa. Bon, les gonzes… je bosse demain et je ne vais pas tarder à mettre la viande dans le torchon. Je vous dis quoi pour le dix-neuf, bisous, bisous !

Jenna retient un soupir d’appréhension devant la mine affichée par Diana, consciente qu’en dépit de Pascal, son amie a toujours une affection particulière pour son premier amour et qu’elle est — tout comme elle-même— souvent nostalgique. Se mordant nerveusement les lèvres, elle attend que Diana prenne la parole.